mardi 29 juin 2010

Ne pas confondre insomnies et inepties… (Des travaux de l’Institut national du sommeil et de la vigilance - ISV - et de ce qu’ils révèlent)

Plus on vieillit, moins on dort. De 16 à 17 heures chez un nourrisson, la nuit passe ensuite à 13 heures (vers l'âge de quatre ans) puis à 7/8 heures par étapes successives, entre dix et seize ans. Cela étant, chaque individu a ses propres besoins, dans une fourchette variant entre 6 et 10 heures. Les médias portent un intérêt tout particulier à ces dérèglements du sommeil - au point qu'elle prend toutes les allures du marronnier - parce qu'ils affligent un nombre grandissant de personnes. Curieusement, l'analyse s'arrête généralement à une succession d'idées reçues plus ou moins vérifiées, d'omissions et d'attaques en règle contre tel ou tel fléau supposé. Les cas les plus spectaculaires font les délices des émissions - plateaux : personnes hantées par des cauchemars atroces, personnes souffrant d'apnées du sommeil, ou de narcolepsie, hypersomniaques, somnambules, mais encore simples agités nocturnes.
Au cours d'une nuit normale se succèdent une phase dite lente et une phase dite paradoxale. Quatre étapes de plus en plus longues se suivent, chacune caractérisée par sa propre activité cérébrale. La première (stade 1 / 10 % du temps d'endormissement) assure la transition entre la veille et le sommeil. La deuxième (stade 2 / 50 %) correspond à un sommeil léger et la troisième (stade 3 / 10 %) à un sommeil profond. Le sommeil paradoxal apparaît lors de la quatrième et dernière étape (stade 4 / 20 %), avec une intense activité oculaire et une atonie musculaire. Un petit enfant peut avoir très tôt des problèmes pour s'endormir, souvent en lien avec la recherche de propreté. Les insomnies épisodiques s'avèrent assez banales : somniloquie, bruxisme, somnambulisme, cauchemars et terreurs nocturnes troublent la nuit et réveillent parfois l'enfant.
Les choses se compliquent à l'âge adulte, car se surajoutent des facteurs extérieurs (soucis personnels, professionnels, angoisses, etc.), la baisse de l'activité physique, la consommation de drogue ou de médicaments, l'alimentation déséquilibrée engendrant un surpoids. Le simple fait de vieillir suffit apparemment à perturber tout ou partie du sommeil, nuisant à la complicité du couple, court-circuitant l'activité diurne, rendant dangereux l'utilisation sur longs trajets de l'automobile. Il existe presque autant de variétés d'insomnies que d'individus, même si on distingue généralement les insomnies secondaires - au contraire de celles qualifiées de primaires - parce qu'elles révèlent d'autres symptômes.
Les médecins opposent aussi les phénomènes épisodiques - théoriquement sans conséquences - à ceux chroniques qui peuvent détruire quelqu'un, moralement et physiquement. « Les insomnies ont une prévalence de 3 à 48 % selon les études. Elles augmentent avec l'âge. Elles représentent 50 % des motifs de consultation chez le généraliste ou le spécialiste. 15 % des patients prennent des somnifères de manière régulière. Il n'existe aucun examen complémentaire de confirmation diagnostique. » [Faculté de médecine d'Angers].
Marine Lamoureux, dans La Croix du vendredi 16 janvier 2009 insiste toutefois davantage sur les instruments que sur les responsabilités individuelles : En cinquante ans, des rythmes de vie chahutés. Elle trouve son accroche dans l'annonce récente par le gouvernement de la suppression de la publicité sur les chaînes publiques. Celle-ci ramène à des horaires un peu moins tardifs les programmes de première et de seconde partie de soirée. Sauf à considérer que les autres chaînes émettent des programmes pour rien, l'argument de la journaliste ne tient pas. On peut lire dans l'article que l'Institut national du Sommeil et de la Vigilance déplore en tout cas en France un raccourcissement net des nuits depuis les années 60, de 8h30 à 7h30 en moyenne. S'ensuit une énumération de mécanismes ressemblant à un enfilage de perles, avec un contresens concernant le seuil des années 60. Rappelons que la société française a basculé dans le monde urbain bien avant, dès l'entre-deux-guerres : au recensement de 1931, moins de 50 % de Français résident à la campagne. L'exode rural a commencé près d'un siècle plus tôt.
L'électricité, la télévision et Internet ont révolutionné le monde. Mais le président de l'IVS paraît cependant n'en retenir que du négatif. Il tait le poids de l'ennui avant l'arrivée du son et de l'image animée pour une majorité de Français. Seuls s'en souviennent aujourd'hui les plus âgés. Le travail a changé, apprend-on aussi grâce à Marine Lamoureux. Le stress n'existait donc pas autrefois : tout n'était que travail stimulant, épanouissant et sans risques, assorti d'indemnités confortables, avec des rapports professionnels excluant tout caporalisme et toute brimade. La journaliste ferme le ban avec des institutionnels. Or ceux-ci confisquent le débat. Un médecin gémit parce que notre société est « en privation chronique de sommeil.» Mais on ignore quelle conspiration il dénonce. Un ministre instaure une journée nationale du Sommeil le 18 mars. A problèmes complexes, conclusions simples : c'est la faute à Voltaire...
Sur la Toile, une recherche rapide renvoie en l'espace d'un instant à des dizaines de sites - personnels ou non - qui rassemblent des informations. Certains proposent des parades, comme la luminothérapie. D'autres se résolvent aux recettes de grands-mères, aux plantes (passiflore, aubépine, etc.), aux médecines douces ou parallèles, non sans tomber parfois dans le farfelu : massages avec des pierres chaudes, gymnastique zen, incantations diverses ou comptage de moutons [Mr Bean]. A moins d'avaler des pilules en fin de soirée, le problème demeure donc entier, et les matinées commencent péniblement. La télévision accusée de supprimer l'envie de dormir tente désespérément de secouer son auditoire : Youpi matin !
Lorsque l'insomnie devient quasi systématique, les causes précédentes n'interviennent qu'à la marge. Les personnes affectées gagnent alors à consulter un médecin. Mais il ne s'agit que d'une minorité. A ce stade, il convient de parler de maladie, même si elle constitue souvent la partie émergée de l'iceberg. En restant éveillée pendant des nuits entières, une personne manifeste éventuellement sa dépression (celle-ci touche trois millions de Français / Rémy Clément), ses difficultés professionnelles ou une vie de couple cahotique. Pour mémoire, les juges aux affaires familiales prononcent chaque année entre 100.000 et 120.000 divorces, ce total ne prenant pas en compte les séparations [source]. Revenons toutefois aux causes annexes de l'insomnie. La faculté de médecine d'Angers [voir plus haut] indique trois sources : la mauvaise hygiène de vie, l'environnement de la chambre à coucher (le chauffage par exemple), et les maladies associées. Au fond, la dégradation du sommeil donne des renseignements précieux sur la population.
Un grand nombre de Français boivent du café, fument du tabac - la nicotine est un excitant - et consomment chaque année davantage de médicaments. Les dîners trop copieux retardent l'endormissement ? L'éloignement entre domicile et lieu de travail conduit à une réduction progressive du déjeuner. Le soir, la faim tenaille alors l'estomac au plus mauvais moment de la journée. Encore faut-il rentrer chez soi et préparer le repas. Les trajets s'allongent entre le lieu de travail et le domicile, entre l'école et la maison pour les enfants. En même temps, la phase de déplacement à pied ou à vélo n'augmente pas, bien au contraire. Nul ne peut cependant se passer de sa voiture s'il vit en périphérie d'agglomérations, dans un quartier purement résidentiel éloigné de tous commerces et services (Une Poignée de Noix Fraîches). La sédentarité se conjugue parfois à l'excès d'alimentation, deux fauteurs de trouble reconnus pour le sommeil. Selon les statistiques les plus alarmistes, 14,4 millions de Français sont en situation de surpoids [enquête Insee 2002 / Source].
En attendant, l'électricité, la télévision et Internet ressemblent à l'arbre cachant la forêt... Le mode accusatoire économise les interrogations sur l'origine des troubles du sommeil ! Ne pas confondre insomnie et inepties.

PS./ Geographedumonde sur l'obésité : Cocooning et engraissement, et Si tu es pauvre, fais du sport...
Incrustation... Tableau de Dali : le sommeil.

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