lundi 28 juin 2010

La crise à London ?! (Du Royaume-Uni dans la tourmente, et de ses implications de ce côté du Channel)

La sortie en salle du film Mes amis, mes amours de Lorraine Lévy date du début du mois de juillet 2008, libre adaptation du roman éponyme de son frère Marc. Ce film présente plusieurs défauts du point de vue du rythme ou du conformisme du scénario (voir ici). Il réunit en revanche en quelques prises tous les clichés hexagonaux sur la capitale britannique. Car les deux héros vivent avec enfant mais sans femme à Londres. L'un (Vincent Lindon) récemment arrivé, et l'autre (Pascal Elbé) installé depuis plusieurs années, se décident à partager une maison. Ils désirent bénéficier d'un plus grand espace au meilleur prix, car les loyers londoniens dépassent l'entendement. Il n'y a rien à redire dans cette base de départ et les comédiens captent l'attention du spectateur. L'idée de filmer la grande ville londonienne à la place de Paris ne peut que séduire, tant les cinéastes français s'intéressant à l'outre Manche se comptent sur les doigts d'une main (le Mur de l'Atlantique). Malheureusement, le récit s'enlise par la suite dans la description fastidieuse de la vie de ce faux couple, le rapport parents - enfants, ou les relations qu'entretiennent Mathias et Antoine avec les femmes : l'ex-épouse, la copine de passage, la voisine fleuriste, la confidente cafetière. Que retient-on de Londres dans Mes amis mes amours ?
Cette agglomération se réduit à une rue ponctuée de magasins tenus par des Français, à l'exception d'un bref tour d'horizon en taxi via le Parlement, la Tamise et Tower Bridge. Antoine - Vincent Lindon découvre à cette occasion sa ville d'adoption. Il a en effet acheté une librairie à un Anglais flegmatique habillé en tweed et muni d'un parapluie. Forcément, puisqu'il est Anglais. S'il avait été Grec, il aurait porté une jupe. Et puis il pleut à Londres. Dans le film, les personnages habitent, mettent leurs enfants à l'école et travaillent dans le même quartier : cela leur évite les désagréments de la vraie vie, l'encombrement quasi perpétuel de la ville à l'extérieur de la zone payante. Les trottoirs, prolongements des entresols aux vives couleurs empiettent largement sur une rue - décor, sans circulation, avec piétons et cyclistes. La langue de Shakespeare a cédé la place à celle de Marc Lévy. Les Londoniens raffinés, agréables et jamais raleurs se distinguent des Parisiens. Londres, ou le petit paradis terrestre. Il est vrai que Londres n'émerveille pas que les Français. Woody Allen y situe trois de ses films les plus récents : Match point, Scoop et Le rêve de Cassandre.
Le géographe Roger Brunet place la métropole en tête de la dorsale centre - européenne - surnommée bien vite banane bleue - censée relier le bassin de Londres à l'Italie du Nord via le Benelux et la Rhénanie. Les agglomérations concernées ont des points communs. A Londres, Milan, Francfort, Bruxelles, les moyens de transport sont développés et les services de très haut niveau. Comme souvent en pareil cas, les commentateurs ont donné à l'intuition première de Brunet une dimension maximaliste et étouffante. Le cofondateur de la nouvelle géographie (GIP-Reclus) basé à Montpellier ne méconnaissait ni les limites physiques (présence de la mer du Nord ou des Alpes), ni les limites géo-économiques (déclin des bassins miniers, de la sidérurgie et du textile) de son schéma. Il a même nié par la suite avoir des arrière-pensées. Roger Brunet n'a pas cherché à réhabiliter le centralisme parisien, en théorie mis à mal par l'attractivité de la banane bleue pour les régions de l'Est. Il n'avait pas davantage l'intention de promouvoir des grands programmes d'équipement dans le bassin parisien : TGV - Est, troisième aéroport parisien, grandes voies de contournement de la région capitale. Les disciples ont surinterprêté la pensée du maître. Au cours de l'été 2005, le Comité International Olympique choisit Londres plutôt que Paris pour les JO de 2012. Outre les mauvais perdants (ici), des Cassandre ont extrapolé. Paris était out, et la candidature française oubliait la supériorité intrinsèque de l'adversaire. Pour Pierre Lellouche, Paris n'illumine plus le monde ; la banane bleue ressurgit.
En 2004, Claude Chaline et Delphine Papin [1] succombent aux idées à la mode pour étudier le Royaume-Uni. Sans doute y voient-ils un modèle, le fait que les Britanniques - en particulier ceux travaillant à Londres - surpassent des Français englués dans leurs archaïsmes et incapables de suivre la voie étroite suggérée par le sous-titre : L'exception britannique. Les auteurs consacrent une partie entière à sonder les racines d'une économie qualifiée de prospère. Ils en dénombrent cinq : les fondamentaux du système économique contemporain, une autonomie énergétique renouvelée, un secteur industriel simplifié, restructuré et sélectif, le poids prépondérant des services et l'ampleur des échanges d'une économie très externalisée. Dans les faits, le Royaume-Uni a bénéficié des cours du pétrole soutenus (1991 - 2007), a perdu plus d'emplois industriels (automobile) qu'il n'en a créé : voir Full Monty. Chaline et Papin citent l'agroalimentaire, le papier, la chimie, l'électronique ou l'armement.
Mais les sociétés évoquées (Cadbury, Unilever, ou BAE Systems) sont des multinationales, dont les usines se répartissent sur plusieurs continents. Le montage d'ordinateurs ou de téléviseurs à partir de pièces détachées fabriquées en Asie dans des usines en partie financées par des aides publiques a déçu. On n'a observé aucun effet boule de neige en terme d'activités ou d'emplois. La vitalité des parcs scientifiques tant vantée par les auteurs dépend elle aussi des investissements publics. Pour le reste, le gouvernement britannique a favorisé le secteur des services (tertiarisation), en partant des points forts de la place de Londres : allègement de l'impôt sur les sociétés et les particuliers, politique monétaire et financière dynamique visant à faire du Royaume-Uni le pont entre l'Amérique du Nord et l'Europe continentale. Chaline et Papin en éludent les implications. Les banques, assurances, et autres activités liées à la finance dopent l'immobilier et poussent vers le haut les coûts de main d'oeuvre, appel d'air pour des immigrés à la recherche de petits emplois précaires (comme les Polonais revenant chez eux désormais / source). La middle class londonienne repoussée loin dans les périphéries ou la désindustrialisation en découlent.
C'était avant 2007. Depuis, le vent souffle n'a pas changé de sens, mais les observateurs jouent désormais aux censeurs... RBS et HBoS peinent à se recapitaliser. L'Etat nationalise la Northern Rock. La Barclays ne dément pas des rumeurs de refinancement interne. Chacun guette une défaillance [source]. Virginie Malingre [2] détaille les étapes du glissement de la livre sterling par rapport à l'euro, ou au dollar. Elle conclut sévèrement : « La crise financière et économique, qui frappe le monde entier, sera plus violente au Royaume-Uni. D'abord parce que son secteur financier et bancaire pèse lourd dans son économie : il représente 14 % de son PIB si l'on tient compte des services annexes comme la comptabilité, le droit ou encore le consulting. Ensuite parce que les Britanniques se sont énormément endettés pour être propriétaires alors que les prix immobiliers s'envolaient. » Le mal islandais frappe encore. Hugo Dixon et Edward Hadas [3] annoncent l'Apocalypse, mais décrivent ensuite un risque pour l'instant inconsistant : si l'Etat britannique ne trouvait pas d'argent à emprunter... Il y aurait des conséquences graves. Certes. Cela étant, le chômage touche 5,8 % de la population active au troisième trimestre de 2008 : deux points en-dessous des taux français, tandis qu'une livre sterling s'échange encore contre 1,2 euro et 1,5 dollar. En réalité, le Royaume-Uni demeure, même si les critiques sont apparues.
Il reste une constante : la crise en France ? Allons donc ! [Le Figaro]. Londres, à l'extrémité de la banane bleue continue d'accueillir à bras ouverts les Français. Si l'on en croit Virginie Malingre ils « prennent de plus en plus souvent l'Eurostar pour aller faire leur shopping à Londres. Chez Liberty, ce grand magasin chic aux abords de Regent Street, près de Picadilly, on en voit tous les jours. Ils viennent même acheter des marques françaises. 'La semaine dernière, une Parisienne nous a acheté plein de vêtements Vanessa Bruno' témoigne ce vendeur. » Il va falloir tirer les conséquences en France de ce qui passe de l'autre côté des frontières, par-dessus les frontières. A propos des nouvelles du monde, on attend encore le juste milieu entre l'admiration béate et le dénigrement systématique.

PS./ Geographedumonde sur le Royaume-Uni : Liverpool, capitale pour papy-boomers.

[1] Claude Chaline et Delphine Papin / Le Royaume Uni ou l'exception britannique / Ellipses (2004).
[2] « La livre sterling accompagne l'économie britannique dans sa chute. » / Le Monde / 15 novembre 2008 / Virginie Malingre
[3] « Le syndrome islandais guette le Royaume-Uni » / Breakingnews et Le Monde / 17 novembre 2008 / Hugo Dixon et Edward Hadas.

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