mardi 29 juin 2010

Klaus a tempêté. (Des bourrasques du 24 janvier 2009 dans les Landes)

Pierre Serryn est l'auteur d'un guide pratique édité en 1950 par Bordas. Cette quatrième édition a pour titre « la Géographie au baccalauréat / Première partie - La France et l'Union Française ». L'agrégé d'Histoire et de Géographie en classes préparatoires au Lycée Claude-Debussy - c'est ainsi qu'il se présente - consacre sa leçon numérotée 58 aux « pays du Sud du Bassin Aquitain ». Il commence par le climat océanique, puis continue par la description du plateau de Lannemezan, des collines de l'Armagnac, de la Lomagne et de la Chalosse. Au sujet des Landes, il évoque les sols sableux originaires des Pyrénées ou apportés par le vent à partir du littoral Atlantique au cours des glaciations du Quaternaire. « C'est une grande plaine, presque parfaitement plate, mais souvent marécageuse, car les sables sont agglutinés en profondeur et forment l'alios, qui rend le pays imperméable ».
Il omet de préciser que cette couche a forcé les sylviculteurs à multiplier les travaux de terrassements dès la création du massif, à la fin du 18ème siècle (Brémontier). Il a fallu creuser des rigoles et fossés d'écoulements avant de commencer à planter, car l'alios repousse le système racinaire des pins vers la surface. Faute de pouvoir s'enfoncer, les arbres donnent prise au vent. Dans les Landes, l'eau ne pénètre pas facilement les sols et tend à s'accumuler lorsque la pente ralentit les écoulements. « L'eau forme des rivières (jalles) ou des étangs », rappelle Pierre Serryn. Il poursuit sa leçon par l'évocation de la côte monotone, ponctuée par un bourrelet dunaire. « Ces dunes gênent l'écoulement des eaux qui forment des étangs d'eau douce de Biscarosse, Cazaux..., lesquels communiquent entre eux par des courants. Le bassin d'Arcachon est un estuaire en train de se fermer. »
Du point de vue économique, les ingénieurs du 19ème siècle ont métamorphosé les paysages en accélérant l'enrésinement. La forêt s'étend progressivement et garantit une prospérité relative, essentiellement pour quelques centaines de propriétaires. Certains, comme les parents de François Mauriac, vivent des dividendes de l'exploitation forestière, confortablement installés à Bordeaux. Pierre Serryn se tait également sur la brutale coupure de 1914. Alice Ferney en fait le décor de son livre Après la guerre. La plupart des communes des Landes perdent une partie de leurs hommes dans les tranchées. Personne ne les a jamais remplacés. Après 1918, les mines de charbon européennes cessent de se développer et consomment moins de poteaux et de traverses. La pétrochimie concurrence la chimie utilisant la résine (térébenthine). Le géographe mentionne cependant les difficultés de la Reconstruction. A la fin des années 1940, « Les Landes, transformées par le drainage et les plantations de pins, vivent de leur forêt, la plus vaste de France, malheureusement très abîmée pendant la guerre (exploitation abusive, incendies) et réduite de 1 million d'hectares à 700.000 hectares. »
Le massif forestier a changé de physionomie entre les années 1930 (photo A / Geographedumonde) et les années 2000. En soixante-dix ans, le réseau routier a gagné ce qu'a perdu le réseau ferré. La préfecture des Landes se situait au centre d'une étoile départementale, alors qu'elle est devenue une étape entre Bordeaux et Pau. Entretemps, la SNCF a démonté les lignes reliant Mont-de-Marsan à Saint-Symphorien (au nord), à Captieux et à Casteljaloux (au nord-est), à Nérac (à l'est). En 2005, de nouvelles routes desservent la petite agglomération, la contournent (D.932) ou l'évitent : la D.934 passe un peu plus à l'est, qui présage un futur tracé pour l'autoroute Bordeaux - Pau. Le réseau routier est aujourd'hui plus dense, complètement noyé dans les pins...
[A]
Mont-de-Marsan avant la Seconde Guerre Mondiale ressemble à un gros bourg dépassant à peine le carrefour des routes départementales. Une quinzaine de milliers d'habitants y résident. Depuis, la ville s'est étendue, comptant 20.000 habitants en 1962 et 30.000 en 2005 (source), au centre d'une agglomération d'un peu plus de 40.000 habitants. Les communes de Saint-Jean d'Adour (nord-ouest) et de Saint-Pierre du Mont autrefois bien séparées prolongent la ville de Mont-de-Marsan sans rupture paysagère. On observe en outre sur la carte de 2005 (B) une urbanisation inédite des vallées des rivières Douze et Midou.
[B]
Mais les activités agricoles régressent incontestablement entre les deux relevés cartographiques, non pas en Chalosse, dans la partie la plus méridionale du département, mais au nord de la préfecture. Au sud se maintient la culture du maïs, l'élevage (canards et bovins) et la vigne (Tursan). Au nord, on ne relève pratiquement plus de tâches blanches caractéristiques de clairières cultivées. La forêt ne laisse aucune place libre en dehors du champ de tir que l'on devine en limite de la photo, contrairement à ce qui se passait soixante dix ans plus tôt. Cette forêt landaise a connu peu de grands incendies dans le dernier demi-siècle grâce à une amélioration des techniques forestières, à un meilleur entretien des sous-bois, et à la surveillance constante du massif (source). Elle ne fait plus vivre grand monde de façon directe, les papeteries constituant désormais avec le bois d'œuvre le principal débouché pour les résineux. Si Mont-de-Marsan reflète un certain dynamisme, ce n'est pas le cas en revanche du cœur du département. Les villages ont laissé place à des lieux dits isolés, dont la population vieillissante se retrouve facilement coupée de tout en cas de tempête. A la belle saison, les propriétaires de résidences secondaires animent un peu la vie locale, et renflouent les petits commerces.
Moins de dix ans après celle de 1999, les rafales du 24 janvier 2009 ont tout couché sur leur passage. Klaus a tempêté. Le gouvernement rassure les Landais en décrêtant à l'avance l'état de catastrophe naturelle. Certains extrapolent sur l'accélération du rythme desdites catastrophes. D'autres dressent un bilan, comme Gaëlle Dupont. Aucune des caractéristiques décrites par Pierre Serryn n'apparaît cependant. Les Landes se transforment en pays de cocagne. Pour la journaliste, les choses vont mal, et en plus elles empirent. Les scientifiques sollicités ne cherchent pas pour leur part à disserter sur l'inconnu. La vitesse des vents observée par endroits n'a laissé aucune chance aux arbres (170 km/h). Les jeunes autant que les vieux : pas une tranche d'âge n'a été épargnée. Les aiguilles de pin donnent en outre une prise au vent (les conifères sont sempervirents). Les scientifiques notent logiquement qu'un pin de plus de 50 ans ne se remplace pas. Il n'existe qu'une parade : ne pas reporter les coupes sous peine de prendre des risques inconsidérés. Mais le métier de forestier consiste justement à ne pas se montrer trop prudent, car le bois rapporte peu si l'on vend au mauvais moment.
Décennie après décennie, la forêt de conifères s'accroît. En France, les surfaces consacrées aux arbres (15 millions d'hectares) ont plus que doublé depuis le début du 19ème siècle. Plus les arbres sont nombreux, moins les tempêtes passent inaperçues. Il reste bien sûr à espérer que les dégâts provoqués par la tempête ne réduiront pas à néant cette transformation, et que le découragement n'abattera pas ceux qui ont beaucoup perdu...

PS./ Geographedumonde sur l'environnement [Faire pipi dans les roseaux] et sur les risques naturels : Séisme destructeur et certitudes inébranlables.


Incrustation / 20 Minutes.

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