vendredi 25 juin 2010

Des cerfs sans châtaignes (Du combat contre la désertification rurale au Japon).

Dans l'ensemble des pays développés, les plus de 65 ans prennent une place grandissante. La population vieillit, se concentre sur quelques portions de territoires et en néglige d'autres [voir Une poignée de noix fraîches]. En février dernier, j'abordais cette question à la lumière de l'exemple japonais. Dans l'archipel, la population totale diminue et l'âge médian avance : 30 ans en 1965, 41 ans en 2000 et 50 ans en 2027. Le Japon illustre, relevais-je alors, la complexité des questions soulevées par le vieillissement.
Le financement des retraites s'avère moins problématique que celui de la santé. Mais en déchargeant l'Etat de ce fardeau au détriment des collectivités locales, le premier ministre de l'époque a déplacé le problème en accentuant les disparités entre régions. Au sud d'Honshu – l'île principale de l'archipel – se concentrent plus de 50 millions de Japonais, avec une population plus jeune que la moyenne nationale. Dans les aires urbaines de Tokyo, de Nagoya et d'Osaka – Kobe, les plus de 65 ans représentent moins de 19 % de la population, c'est-à-dire moins que leur proportion dans la population totale du Japon.
La même carte de la répartition spatiale met en lumière un Japon vieillissant, dont la population anticipe le mouvement national de vieillissement. Sur Honshu, on distingue le littoral occidental (côté mer de Chine) et les extrémités (préfecture d'Akita au nord et d'Hiroshima au sud). Dans les deux îles secondaires de Kyushu et de Shikoku, la part des plus de 65 ans excède aussi nettement la moyenne nationale. Sur cette dernière, la préfecture de Kochi constitue un cas extrême. Les habitants de plus de 65 ans constituent un bloc, à eux seuls un quart de la population, tout comme à Akita et Hiroshima. Voir carte. Mais les déséquilibres de répartition des Japonais sur leur territoire national – s'ils trouvent des corollaires en Europe et en Amérique du Nord, suscitent des interrogations sur l'utilité des politiques visant à en atténuer les conséquences négatives, ou en combattre les symptômes.
Le journal Asahi Shimbun constate en effet que 8.000 localités ont leur avenir derrière elles (un quart vont disparaître dans quelques mois), puisque la moitié de leurs habitants ont plus de 65 ans. Isolées et rurales, très en amont des vallées intramontagnardes, elles subissent l'enclavement, le manque de commerces et de services. Elles ne gardent que des reliques d'activités primaires, dans l'agriculture et l'artisanat. Le journal ne tourne toutefois pas autour du pot : « De 1970, année de l'adoption de la loi contre l'exode rural, à 2004, quelque 76 000 milliards de yens [470 milliards d'euros] ont été alloués à des opérations visant à venir en aide aux régions dépeuplées. L'auteur de l'expression 'hameaux en situtation critique', Akira Ono, professeur à l'université de Nagano, désapprouve pourtant la politique qui a été suivie jusqu'ici. 'Des mesures standardisées pondues par des bureaucrates ne parviendront jamais à s'enraciner. C'est en s'appuyant sur les spécificités locales et les initiatives des habitants que l'on verra vraiment l'efficacité de l'aide apportée', estime-t-il. » La critique sur la forme ne cache-t-elle pas une volonté de ne pas discuter du fond ?
En marge de l'article principal, Courrier International évoque une réorganisation dans la préfecture d'Hiroshima. Douze zones administratives remplacent désormais 84 hameaux montagneux, avec pour objectif de coordonner les moyens financiers [vu dans Yomiuri Shimbun]. Dans le Nihon Keizai Shimbun, on apprend qu'à Iwate, la préfecture propose aux habitants en voie d'isolement un défraiement s'ils consentent à déménager. Ces mesures serviront-elles ? L'exemple sélectionné par Asahi Shimbun dans l'article principal ne peut conduire en tout cas qu'à un échec.
Dans la région de Kyoto (au centre d'Honshu), l'ancienne capitale impériale s'apprête à subventionner cinq hameaux isolés et dépeuplés, parmi lesquels celui d'Ayabe. Grâce à une enveloppe de 245.000 euros, les édiles vont relancer la fabrique traditionnelle de mochi [pâte de riz cuit à la vapeur / traduction C.I.]. Le journal explique que l'on a cessé de concocter sur place des mochi aux châtaignes, parce que les cerfs trop nombreux mangeaient les fruits. Désormais, « afin de tenir les cerfs à distance, le hameau a fait appel à des bénévoles pour tendre un filet autour des châtaigniers, puis la mairie a aménagé une ancienne salle de réunion en atelier de confection. Depuis cet automne, les habitants âgés produisent à nouveau des mochi aux châtaignes. » Mais un Japonais s'installera-t-il à Ayabe ?
Parions sur une réussite du projet ; probabilité faible. Les mochi trouvent preneurs. Un dilemme se pose alors : soit l'on développe l'activité avec l'espoir d'attirer du personnel (donc de nouveaux habitants), soit l'on maintient l'activité telle quelle, mais sans effet d'entraînement. Dans la première perspective, un industriel de l'agroalimentaire produira ailleurs à court terme des mochi. Peut-être n'auront-ils pas les mêmes saveurs (?). Ils attireront de toutes façons les consommateurs parce que l'industriel vendra moins cher ses produits, sur un site à même de fabriquer les mochi par fournées plus rapides ou plus volumineuses : dans un grand centre urbain, ou à côté d'un port d'importation (de châtaignes européennes, qui sait ?). En résumé, la désertification rurale menace toujours le Japon, et Kyoto prive des cerfs de châtaignes.

PS./ Dernier papier sur le Japon : Vieillissement en Extrême-Orient.

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