samedi 26 juin 2010

Ne pas confondre ‘analyste mythomane’ et ‘pompier pyromane’. (De la jeunesse algérienne et d’une chronique d’Alexandre Adler)

Dans son édition du 17 avril, El Watan lance un anathème. L’éditorialiste juge la jeunesse algérienne désespérée. Il rentre sans le savoir en résonance avec ce que j’écrivais en février 2007 [Vague, vaguelettes et fossé]. Fayçal Metaoui crie plus qu’il n’écrit son inquiétude devant ce fossé qui en Algérie sépare les privilégiés des malheureux. Les jeunes s’auto-mutilent, cherchent en vain du travail, mais personne ne s’intéresse à leur sort. Fayçal Metaoui ne tourne pas autour du pot en évoquant « l’image crue de la faillite générale d’un système politique incapable de retenir les leçons. » Les autorités maintiennent une chape de plomb sur la société, mentent sur les chiffres du chômage, détournent les bénéfices tirés du pétrole (19 milliards de dollars placés en réserve par la Sonatrach). Contre les grévistes de la fonction publique ou contre des jeunes en colère, « la répression est devenue un langage automatique face à la furie des jeunes. »Le journaliste d’El Watan aurait pu évoquer le désastre agroalimentaire de l’Algérie, et l'argent dépensé à cause de la fixation des prix des matières premières importées. Car l’agriculture algérienne a cessé depuis longtemps de produire de quoi nourrir la population des grandes villes de la côte, des près de 10 millions de citadins que compte le pays. L’échec de l’ère Boumediene [au centre de la photo (le diplomate à gauche est Bouteflika)] a pu passer inaperçu au cours du dernier quart de siècle, quand les prix internationaux étaient bas. Mais les cours flambent désormais, et les Algériens s’apprêtent à payer cher les choix idéologiques d’hier. Pour une activité aussi durable que l’agriculture, les déclarations d’intention tardives ne suffisent pas. En 1960, tous les espoirs étaient pourtant permis. L’industrie – hors secteur pétrolier – reste lacunaire ; Le Monde 2 enquêtait l’an passé sur les chantiers de construction d’immeubles... réalisés par des ouvriers chinois. Les services manquent. Le potentiel touristique algérien a un demi-siècle de retard par rapport à celui des deux pays voisins. Le régime nie pourtant son impéritie, se rabat sur l’évocation maladive d’un passé aussi trouble hier qu’idéalisé et déformé aujourd’hui.
Un titre de gloire demeurerait (...), qui rejaillit à la fois sur le président actuel et sur les généraux qui l’ont jadis porté au sommet de l’Etat : l’Algérie rempart contre le terrorisme. Alexandre Adler livre dans le Figaro du 19 avril 2008 sa propre version du contexte. Il regrette que l’on ne parle plus dans la presse française de l’Algérie, ou plus exactement que l’on ne dise pas assez de bien de son président. En Algérie, « la stabilité que le pays a atteinte lors des deux mandats réparateurs de Bouteflika ne fait plus couler beaucoup d’encre... » Que les milliers d’articles pondus dans la décennie 1990 reflètent surtout l’aveuglement des commentateurs du moment ne l’effleure pas. Ceux qui ont disserté sur le péril islamiste. Que le danger ait disparu soudainement grâce aux militaires d’Alger devrait toutefois éveiller sa curiosité. Quel recette ont-ils suivi ? Adler s’intéresse au résultat seul, et ne mégote pas sur la dithyrambe [« la longue et ondoyante présidence d’Abdelaziz Bouteflika »]. Lui voit en profondeur, quand d’autres – tous les autres – se leurrent.La croissance économique en Tunisie et l’ouverture politique au Maroc ne seraient rien sans le centre stabilisateur que constitue l’Algérie. Le Maghreb doit tout à Alger. Adler élargit le compliment à Tripoli, comme chacun sait, Khadafi ayant tant combattu le terrorisme (!). Mais au sud de la Méditerranée, le climat généreux impose des grands parasols, et celui de notre analyste s’avère particulièrement large. Les journalistes français affublent les généraux algériens du sobriquet d’éradicateurs ? Combien impertinents sont-ils... Adler se montre chagrin. Car il faut se souvenir, répète-t-il : d’un danger qu’il se garde bien de définir – El Para ne servait-il pas dans l’armée algérien avant de s’enrôler dans le GSPC ? – les généraux ont préservé le monde ; nous ; tous les gens qui osent ne pas même y réfléchir.Variant l’angle d’attaque, Adler invoque la Résistance française. C’est osé. Il ne dit pas qui joue en revanche le rôle du milicien ou de l’occupant. Le géostratège interrompt le parallèle historique à peine esquissé. L’idée générale prime sur les détails. Bouteflika – De Gaulle a sauvé la nation et restauré la paix civile. Il « a su à sa manière, gérer le cap au centre nécessaire à la guérison des plaies les plus ouvertes. » L’éloge flotte dans le vague. Adler le soutient pourtant mordicus : il n’existe aucune alternative politique en Algérie. Les rivaux de Bouteflika ? Des « technocrates », assène-t-il. Le compliment siérait pourtant à son modèle. L’avenir réserve en Algérie plein de bonnes surprises, si l’on en croit la même source. L’armée abandonnera son rôle de « police politique quadrillant la société ». Le Parlement constituera un rempart dans la « bataille antifasciste », le tout dans un pays enfin pacifié. Je le souhaite autant qu’Alexandre Adler, mais il ne me communique ni le processus pour y parvenir, ni le calendrier.« Un bilan modeste, mais sans équivalent ailleurs dans le monde arabe. » Adler place son opinion sur un sommet d’inexactitude. Son analyse passe par les mots magiques et le manichéisme d’un monde déchiré entre forces totalement antagonistes. Jusqu’au bout de son article amateur d’anachronisme, il compare pour conclure Bouteflika à Joffre, en semblant d’ignorer les raisons de la controverse née de la bataille de la Marne [1]. Personne n’oublie que des corps d’armée allemands envahissaient la France en août 1914. A l’inverse, Adler n’explique pas ce qui menaçait précisément l’Algérie après 1988. Un peu moins de flagornerie l’amènerait à envisager les manœuvres d'un régime en passe de perdre le pouvoir à cause des urnes. Non pas à cause d’élections enfin libres, mais à cause des échecs continus du FLN. Le commentateur mythomane reste évidemment libre de vanter les mérites du président algérien pompier pyromane. Qu’il ne s’étonne pas si l’on ne partage pas son enthousiasme.

PS./ Geographedumonde sur le discours géostratégique : Discours guerrier et apologie du Pacifique.

[1] « Je ne sais pas qui a gagné la bataille de la Marne, mais je sais qui on aurait accusé de l’avoir perdue. » Joffre répondait à ceux qui prétendaient qu’il s’agissait d’une bataille perdue par les Allemands et non gagnée par les Français.

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