Dans son étude consacrée au rapport entre Vieillissement de la population et cycle immobilier en France , Olivier Eluere (direction des études économiques – Crédit Agricole) fournit paradoxalement matière à réflexion, car sa démonstration suscite le scepticisme. A juste titre, il nomme vieillissement la croissance de la part des plus de 65 ans dans la population totale (12,2 millions de Français en 2015), et la réduction proportionnelle des actifs âgés de 25 à 65 ans. [1] Cette notion de vieillissement renvoie donc à des données statistiques, et non à une réalité médicale individuelle : on commence à vieillir dès le jour de sa naissance. Or, l'auteur considère le vieillissement sous l'angle comportemental. Ce qui était valable pour 10 millions de personnes le deviendra à terme pour 12 millions ? En réalité, l'espérance de vie en complète autonomie évolue en parallèle avec l'espérance de vie globale. En termes plus éclairants, un sexagénaire du XIXème siècle s'apparente à un septuagénaire du XXème siècle et à un octogénaire du XXIème siècle ; du point de vue de la santé, des capacités intellectuelles et de la mobilité. Dans cette optique, le nombre de vieillards impotents gonflera de façon très progressive. Et s'il ne faut sans doute pas négliger les besoins de structures d'accueil, le péril se situe probablement ailleurs.
L'avenir de la pierre n'est pas assuré, même si Olivier Eluere s'évertue au cours de la démonstration à démentir son hypothèse de départ, le lien entre vieillissement et l'offre immobilière. Pour une proportion notable d'une classe d'âge, vivre au-delà de 65 ans constitue un événement récent à l'échelle de l'histoire de France. L'espérance de vie augmente, ce qui contribue à maintenir au-dessus de zéro la croissance démographique française. L'auteur de l'étude trouve là un argument pour envisager le futur avec optimisme. Les équilibres démographiques se modifient – admet-il – mais ne remettent pas en cause le mouvement général, c'est-à-dire la demande de logements : tout change, mais rien ne change. Banquiers, dormez tranquilles.
Tout le monde est déjà propriétaire d'une maison ? Tout le monde va bientôt l'être d'une seconde ! Le nombre d'individus par famille stagne ? Le nombre des ménages augmente ! [2] La demande d'origine comportementale suppléerait les trous creusés par le vieillissement. Rien ne remet en cause le dogme : la pierre, elle, ne ment pas... Les retraités craignent de ne plus recevoir de pension décente, et vivent dans l'angoisse de la dépendance. Ils doivent par conséquent placer leurs économies dans l'immobilier. Est-ce si évident ? Les locataires arrivés à l'âge de la retraite ne se transformeront pas automatiquement en propriétaires. Seule une baisse des prix le permettrait. Celle-ci, on le verra, est ouvertement combattue par les pouvoirs publics. Olivier Eluere imagine en tout cas que le recours aux viagers va s'imposer [3]. Quoi qu'il en soit, il néglige visiblement la force du nombre.
Les effectifs du groupe des moins de 65 ans se tassent, avec un maintien probable du nombre des actifs. La réduction du nombre d'années d'études après le bac et l'allongement du temps de travail rémunéré (avec un âge de la retraite effective repoussé) conditionnent ce maintien. Dans le même temps, le nombre des moins de 25 ans régresserait d'ores et déjà sans le léger regain des naissances apparu à la fin des années 1990. Concernant l'ensemble des moins de 65 ans, l'équilibre résultant peut abuser, car les ménages se fragmentent. Olivier Eluere en convient, lorsqu'il évoque l'ampleur des phénomènes de décohabitation et évalue à 280.000 l'augmentation annuelle du nombre de ménages (avec une croissance inférieure à 0,5 % par an).
Même s'il a tort d'associer trop vite une famille monoparentale à un ménage âgé comprenant un(e) veuf(ve), il reconnaît là une tendance forte, le besoin d'un type de logements bien spécifique : de trois à quatre pièces, d'une surface comprise entre 50 et 100 m². Pour en faire l'acquisition, les acheteurs ont souvent recouru à la vente de leur ancien logement, parce qu'ils ont trouvé des acheteurs. Un des noeuds du problème se situe là. Le stock des logements de baby-boomers devenus papy-boomers s'accroît. Il suffit de revenir un peu en arrière pour se rendre compte du décalage entre ce qui est vendu d'une part et ce qui est recherché d'autre part, d'un côté la périphérie plus ou moins lointaine et de l'autre les parties centrales d'agglomération. Olivier Eluere observe là les signes d'un marché en bonne santé [4], alors qu'il faut à mon sens en déduire un profond et dangereux déséquilibre, annonciateur d'effondrement des prix.
L'expression de bulle immobilière [5] apparaît bien dans l'étude, mais de façon très orientée. Olivier Eluere insiste sur ce qui diffère entre les deux derniers cycles haussiers observés en France (1985 – 1991 et 1996 – 2006). Il noircit visiblement le premier pour mieux blanchir le second. Hier, explique-t-il, les écervelés ont spéculé. Ils ont voulu tirer trop vite des dividendes sans prendre garde aux escrocs (les marchands de biens et les organismes de crédit). Aujourd'hui, le ciel serait dégagé : la bourse déçoit et l'immobilier donne satisfaction... On le comprendra, je reste sceptique ! Outre qu'ils éloignent du sujet, ses arguments interchangeables ne démontrent rien. Au détour d'une phrase, Olivier Eluere touche du doigt néanmoins un autre aspect de la question, la variation de l'offre. « L’introduction de plusieurs dispositifs (Périssol, Besson, Robien puis Borloo) permettant à un investisseur, sous conditions, de bénéficier d’avantages fiscaux significatifs, a suscité une hausse de l’investissement locatif. Ces dispositifs, d’autant plus attractifs que les taux de crédit étaient bas, ont donc permis de stimuler la demande. »
Les investissements dans les infrastructures de transports et les services publics ont puissamment favorisé l'étalement périurbain et en parallèle l'accès à la propriété pavillonnaire. Le temps d'une offre immobilière dopée par l'Etat semble désormais révolu, et pas seulement à cause d'une rigueur budgétaire imposée par Bruxelles. Les recettes publiques stagnent tandis que les dépenses augmentent. Citons deux causes parmi d'autres : les retraites et les dépenses de santé renvoient toutes deux à la question du vieillissement. S'il devient plus intéressant d'investir ailleurs que dans la pierre, les intéressés ne s'y tromperont pas, et les prix de l'immobilier glisseront, réduisant d'autant le montant du patrimoine des propriétaires, au premier rang desquels les retraités. Olivier Eluere évoque ce risque dans les régions dotées d'un parc important de résidences secondaires [6]. Décidément, le titre de cette étude d'Olivier Eluere s'avère très bien choisi. Banquiers, dormez inquiets !
L'avenir de la pierre n'est pas assuré, même si Olivier Eluere s'évertue au cours de la démonstration à démentir son hypothèse de départ, le lien entre vieillissement et l'offre immobilière. Pour une proportion notable d'une classe d'âge, vivre au-delà de 65 ans constitue un événement récent à l'échelle de l'histoire de France. L'espérance de vie augmente, ce qui contribue à maintenir au-dessus de zéro la croissance démographique française. L'auteur de l'étude trouve là un argument pour envisager le futur avec optimisme. Les équilibres démographiques se modifient – admet-il – mais ne remettent pas en cause le mouvement général, c'est-à-dire la demande de logements : tout change, mais rien ne change. Banquiers, dormez tranquilles.
Tout le monde est déjà propriétaire d'une maison ? Tout le monde va bientôt l'être d'une seconde ! Le nombre d'individus par famille stagne ? Le nombre des ménages augmente ! [2] La demande d'origine comportementale suppléerait les trous creusés par le vieillissement. Rien ne remet en cause le dogme : la pierre, elle, ne ment pas... Les retraités craignent de ne plus recevoir de pension décente, et vivent dans l'angoisse de la dépendance. Ils doivent par conséquent placer leurs économies dans l'immobilier. Est-ce si évident ? Les locataires arrivés à l'âge de la retraite ne se transformeront pas automatiquement en propriétaires. Seule une baisse des prix le permettrait. Celle-ci, on le verra, est ouvertement combattue par les pouvoirs publics. Olivier Eluere imagine en tout cas que le recours aux viagers va s'imposer [3]. Quoi qu'il en soit, il néglige visiblement la force du nombre.
Les effectifs du groupe des moins de 65 ans se tassent, avec un maintien probable du nombre des actifs. La réduction du nombre d'années d'études après le bac et l'allongement du temps de travail rémunéré (avec un âge de la retraite effective repoussé) conditionnent ce maintien. Dans le même temps, le nombre des moins de 25 ans régresserait d'ores et déjà sans le léger regain des naissances apparu à la fin des années 1990. Concernant l'ensemble des moins de 65 ans, l'équilibre résultant peut abuser, car les ménages se fragmentent. Olivier Eluere en convient, lorsqu'il évoque l'ampleur des phénomènes de décohabitation et évalue à 280.000 l'augmentation annuelle du nombre de ménages (avec une croissance inférieure à 0,5 % par an).
Même s'il a tort d'associer trop vite une famille monoparentale à un ménage âgé comprenant un(e) veuf(ve), il reconnaît là une tendance forte, le besoin d'un type de logements bien spécifique : de trois à quatre pièces, d'une surface comprise entre 50 et 100 m². Pour en faire l'acquisition, les acheteurs ont souvent recouru à la vente de leur ancien logement, parce qu'ils ont trouvé des acheteurs. Un des noeuds du problème se situe là. Le stock des logements de baby-boomers devenus papy-boomers s'accroît. Il suffit de revenir un peu en arrière pour se rendre compte du décalage entre ce qui est vendu d'une part et ce qui est recherché d'autre part, d'un côté la périphérie plus ou moins lointaine et de l'autre les parties centrales d'agglomération. Olivier Eluere observe là les signes d'un marché en bonne santé [4], alors qu'il faut à mon sens en déduire un profond et dangereux déséquilibre, annonciateur d'effondrement des prix.
L'expression de bulle immobilière [5] apparaît bien dans l'étude, mais de façon très orientée. Olivier Eluere insiste sur ce qui diffère entre les deux derniers cycles haussiers observés en France (1985 – 1991 et 1996 – 2006). Il noircit visiblement le premier pour mieux blanchir le second. Hier, explique-t-il, les écervelés ont spéculé. Ils ont voulu tirer trop vite des dividendes sans prendre garde aux escrocs (les marchands de biens et les organismes de crédit). Aujourd'hui, le ciel serait dégagé : la bourse déçoit et l'immobilier donne satisfaction... On le comprendra, je reste sceptique ! Outre qu'ils éloignent du sujet, ses arguments interchangeables ne démontrent rien. Au détour d'une phrase, Olivier Eluere touche du doigt néanmoins un autre aspect de la question, la variation de l'offre. « L’introduction de plusieurs dispositifs (Périssol, Besson, Robien puis Borloo) permettant à un investisseur, sous conditions, de bénéficier d’avantages fiscaux significatifs, a suscité une hausse de l’investissement locatif. Ces dispositifs, d’autant plus attractifs que les taux de crédit étaient bas, ont donc permis de stimuler la demande. »
Les investissements dans les infrastructures de transports et les services publics ont puissamment favorisé l'étalement périurbain et en parallèle l'accès à la propriété pavillonnaire. Le temps d'une offre immobilière dopée par l'Etat semble désormais révolu, et pas seulement à cause d'une rigueur budgétaire imposée par Bruxelles. Les recettes publiques stagnent tandis que les dépenses augmentent. Citons deux causes parmi d'autres : les retraites et les dépenses de santé renvoient toutes deux à la question du vieillissement. S'il devient plus intéressant d'investir ailleurs que dans la pierre, les intéressés ne s'y tromperont pas, et les prix de l'immobilier glisseront, réduisant d'autant le montant du patrimoine des propriétaires, au premier rang desquels les retraités. Olivier Eluere évoque ce risque dans les régions dotées d'un parc important de résidences secondaires [6]. Décidément, le titre de cette étude d'Olivier Eluere s'avère très bien choisi. Banquiers, dormez inquiets !
PS./ Geographedumonde sur le vieillissement en France : Le cancer n'est pas mort, vive le cancer !
[1] « D’une part, selon les projections de l’INSEE, la population de 65 ans et plus sera en forte hausse, passant de 10,2 millions en 2005 à 12,2 millions en 2015, soit + 1,8 % par an en moyenne. [...] D’autre part, la hausse de la population âgée de 25 à 65 ans sera bien plus mesurée. Elle passerait de 32,5 millions en 2005 à 34,1 millions en 2015, soit + 0,5 % par an en moyenne. [...] Dès lors, le taux de dépendance démographique (personnes de 65 ans et plus/personnes de 25-64 ans) va s’accroître nettement : 36 % en 2015 contre 31 % en 2005. Cette tendance devrait s’accentuer au-delà, avec un taux de dépendance passant à 41 % en 2020 et à 50 % en 2030. » / Vieillissement de la population et cycle immobilier en France / Olivier Eluere – direction des études économiques – Crédit Agricole / http://kiosque-eco.credit-agricole.fr/medias/HB335_mars2008.pdf Page 75 à 82.
[2] « La demande potentielle de logements sera mécaniquement accrue. Le facteur retraite et son impact sur l’investissement immobilier vont s’amplifier. Le vieillissement va induire une série de changements de comportement des ménages âgés, qui joueront positivement sur les métiers de l’immobilier au sens large (transactions, services, construction...). La demande est d’abord liée mécaniquement à l’évolution du nombre de ménages, qui dépend elle-même de la progression de la population et du nombre de personnes par ménages. » [Id.]
[3] « Le vieillissement de la population devrait stimuler les opérations du type viager. En effet, la réduction du niveau des pensions de retraite, comme l’allongement de l’espérance de vie, pourrait conduire les personnes âgées à quitter leur résidence principale ou du moins, à la mettre en gage, afin d’obtenir un niveau de vie plus confortable. Ainsi, le recours à deux procédures de valorisation des actifs patrimoniaux pourrait se développer : le prêt viager hypothécaire et la vente en viager. » [Id.]
[4]« Un effet sur l’offre via le segment des logements anciens Les personnes âgées de 65 ans à 74 ans jouent un rôle crucial dans les mises en ventes de logements anciens. Ces ventes totalisent en effet environ 20 % des revenus de ces ménages par an, contre 10 % pour l’ensemble des ménages. Les mises en vente de logements anciens progresseront au cours de la période, suite à la hausse du nombre de ménages de plus de 65 ans. De ce fait, le vieillissement de la population, en alimentant l’offre de logements anciens, contribuera à la bonne tenue du marché immobilier. » [Id.]
[5] « Le premier cycle est considéré comme une bulle immobilière,c’est-à-dire la formation d’un écart cumulatif et auto-entretenu entre la valeur observée d’un actif immobilier et sa valeur fondamentale. » [Id.]
[6] « Ils peuvent toutefois accroître le risque de retournement de l’immobilier dans ces régions (PACA, Rhône-Alpes, Languedoc-Roussillon, Aquitaine). Celles-ci ont enregistré des hausses de prix cumulées plus fortes que dans le reste de la France. Les facteurs de soutien se conjuguent : attractivité économique, nombre de résidences secondaires élevé, poids important des ménages retraités et d’une clientèle étrangère aisée. Les ratios de solvabilité y sont plus dégradés qu’ailleurs et les prix commencent à devenir surévalués. Le tout montre un niveau de risque plus marqué. » [Id.]
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