mercredi 23 juin 2010

Quillards et cocaïne. (De la géographie antillaise aux filières de la drogue)

Derrière l’appellation générique et usuelle d’Antilles, il y a une réalité géographique souvent méconnue des Français de métropole. Distinguées par les adjectifs grandes et petites, elles s’étendent sur 3.000 kilomètres, de la pointe occidentale de Cuba (Grandes Antilles) à l’île orientale de la Barbade (Petites Antilles). Les deux départements français de Guadeloupe et de Martinique baignent dans un océan commun, mais dans deux aires maritimes séparées, puisqu’une île aujourd’hui indépendante – la Dominique – les sépare. De quelle terre ferme sont-elles les plus proches ? Le Venezuela se trouve à environ 500 kilomètres au sud, la Guyane et la Colombie deux fois plus loin ; quant à la métropole, c’est un autre monde…
L’alignement en arc de cercle de toutes ces îles conduit l’observateur pressé à imaginer une origine géologique unique, liée à la tectonique. Bien sûr, les volcans ne manquent pas, et l’éruption de la montagne Pelée provoquant la destruction de la ville de Saint-Pierre il y a un peu plus d’un siècle reste présente dans les esprits. Mais les formations calcaires ne manquent pas, comme par exemple à Cuba. A la Guadeloupe, s’imbriquent les deux types de roches – calcaires (Grande Terre et Marie Galante) et volcanique (Basse Terre) – avec des reliefs et des paysages très différenciés. Les Antilles présentent en outre un double visage : humide et luxuriant pour les façades au vent (de temps en temps violemment fouettées par des cyclones), sec et semi-aride pour les façades sous le vent.
Les touristes viennent par milliers chaque année dans les Antilles, en hiver surtout, auxquels s’ajoutent dans le cas des DOM les voyageurs habituels, les Guadeloupéens et Martiniquais travaillant en métropole, ou les métropolitains faisant l’inverse. Les aéroports de Pointe-à-Pitre et Fort-de-France se classent logiquement parmi les plus fréquentés de France. Beaucoup de touristes viennent aux Antilles pour faire du bateau. Il n’y a guère de difficultés à trouver une embarcation lorsqu’on se trouve dans la région : sur un moteur de recherches bien connu, les trois mots “location bateau Antilles” donnent plus de 400 000 entrées (dont bon nombre d’annonces commerciales).
Les Petites Antilles présentent un avantage extraordinaire pour la majorité des navigateurs – plaisanciers à peine expérimentés. Les alizés (Est – Ouest ou Ouest – Est) sont des vents constants qui gonflent les voiles de la meilleure façon ; ni de face, ni par l’arrière. Regardons maintenant la carte : les vents de côté rendent aisée le déplacement des voiliers du Sud vers le Nord, ou du Nord vers le Sud. Sans avoir à affronter l’immensité océanique, et par sauts de puce d’une cinquantaine de kilomètres à chaque fois, les quillards passent de la Guadeloupe à la Dominique, de la Dominique à la Martinique, de la Martinique à Sainte-Lucie, de Sainte-Lucie à Saint-Vincent et de Saint-Vincent à Grenade. Grâce à une dernière traversée, l’Amérique du Sud se situe à portée de cabotage. Presque l’enfance de l’art.
Mettons que l’on a parfois affaire à des touristes qui n’oublient pas que les Anglais dénommèrent les alizés, Trade winds (vents du commerce). A moins que des trafiquants se camouflent en caboteurs innocents. Que peut-on acheter à bon prix dans un port vénézuélien ou colombien, surtout si l’on a quelques tuyaux préalables ? De la cocaïne, par exemple. « [U]ne tonne de feuille de coca peut être annuellement récoltée sur 2,5 acres de culture de coca. Cette tonne donne environ 10 kilos de pâte de coca qui produisent environ 2,5 kilos de base de cocaïne, qui rapporte finalement plus ou moins 2,2 kilos de cocaïne pure. En Colombie, le prix de 4,5 kilos de pâte de coca, donnant environ un kilo de cocaïne, tourne autour de 4.500 dollars. » [source] Dans les grandes villes d’Europe, au bout de la chaîne qui commence par la cale du quillard et utilise les aéroports décrits plus hauts, le consommateur final de cocaïne paiera 50 fois le prix initial. La voile dans les Antilles permet donc d’incroyables bénéfices (voir aussi cette enquête de la préfecture de police de Paris).
Il arrive parfois – en début du mois (voir ici) – que les trafiquants troquent leur quillard contre un cargo effectuant des traversées de l’Atlantique : compétition déloyale, pourrait-on dire. Mais les trafiquants ont perdu leur pari, en mettant tous leurs œufs dans un seul panier. La marine française a arraisonné le cargo. Mais derrière ce succès, quel est l’ampleur du trafic inter – antillais ? Combien de quillards cabotent sans encombres dans l’archipel ? En face, de combien de navires de surface dispose la Royale pour assurer ces missions de contrôle des eaux territoriales ?

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