vendredi 25 juin 2010

Tailles larges et têtes coupées (De la violence provoquée par les narcotrafiquants au Mexique)


Dans son dernier numéro (n°900 / Du 31 janvier au 6 février 2008), Courrier International reprend en page 18 un article d'un journaliste sur la recrudescence des assassinats collectifs commandités par des organisations criminelles dans les grandes villes mexicaines : le bilan officiel atteindrait pour le seul mois de janvier 150 personnes, parmi lesquelles 35 policiers. Emporté par son sujet, Rubén Mosso n'épargne pas le lecteur par la description de la violence des actes, en particulier le recours à la décapitation. Les scènes de crime se suivent, sans ordre chronologique ni hiérarchique apparent. Le journaliste utilise d'abord le style indéfini pour décrire un quotidien banal mais atroce : « Les tueurs tendent des embuscades aux militaires, abattent des policiers en plein jour, font irruption dans des établissements publics et laissent des têtes coupées, ou ils s'introduisent dans des domiciles pour y massacrer les familles. Ils vont jusqu'à se retrancher dans des écoles fréquentées par des enfants de 4 ou 5 ans. » Il évoque un peu plus loin sur le même ton les luttes à morts entre gangs : vengeance, conflits de territoire.
Dans le reste de l'article, il donne des détails macabres sur des crimes qui ont défrayé la chronique du mois de janvier (2008). Dans l'aéroport international de Mexico, la saisie de cinq cents kilos de cocaïne le 12 décembre 2007 expliquerait un règlement de compte sanglant et la récente découverte de six corps décapités. A Tijuana, des tueurs poursuivis par la police se réfugient le 17 janvier dernier dans une école maternelle de la ville. Deux jours plus tôt, un commando y exécute trois policiers et certains membres de leurs familles. Ils agissent apparemment en réponse à une condamnation à perpétuité d'un chef de cartel prononcée quelques semaines auparavant. Dans l'Etat de Tamaulipas, bordé au nord par la frontière avec le Texas, « Des députés fédéraux ou des musiciens gruperos ont été assassinés, ainsi que d'anciens maires. »
Cette présentation de l'insécurité au Mexique vise à attiser les émotions et nuit à la nécessaire compréhension des enjeux. Pour Rubén Mosso, le doute n'existe pas. Dès la deuxième phrase comparaît le coupable. « Le gouvernement de Vicente Fox a fait preuve d'inertie face au problème, et nous en payons le prix aujourd'hui. En effet, il a permis aux organisations criminelles d'accroître leur pouvoir et de défier les autorités, en prenant pour cibles l'armée, la police fédérale, les fonctionnaires à tous les échelons, les politiques, et même les familles des serviteurs de l'Etat. » Le pouvoir laxiste laisserait donc aller et venir impunément les cartels de Tijuana, du Golfe et du Sinaloa, l'Etat occidental qui fait face à la pointe méridionale de la presqu'île de Basse-Californie [carte]. Toujours selon Rubén Mosso, les criminels ne craindraient ni la puissance de feu des forces de l'ordre, ni les condamnations et les peines de prison. Ils tiennent le haut du pavé, mais le journaliste n'avance aucune explication. Pourquoi possèdent-ils généralement des armes automatiques si ce n'est en constituant au préalable des trésors de guerre ? Quant à la corruption des forces de l'ordre, le journaliste imagine-t-il qu'elle date de l'arrivée de Vicente Fox au pouvoir ? En 2001, Soderbergh (Traffic) incriminait les forces de police gangrénées par l'argent des cartels, jusqu'aux forces spéciales.
Contrairement au reste de la presse mexicaine si prompte en ce moment à dénoncer les effets pervers de la signature d'un grand marché continental (Alena) sur la petite paysannerie, l'envahissement des produits américains en même temps que la hausse des prix, Rubén Mosso n'y fait qu'une allusion. Il s'y réfère inconsciemment en parlant du « trafic d'armes à grande échelle » existant de part et d'autre de la frontière. De l'ouverture économique vers l'Amérique du Nord, les Mexicains ont tiré le plus grand profit, faut-il encore le redire. La question des armes apporte évidemment un bémol. Cela étant, n'importe qui peut faire ses emplettes dans une armurerie américaine : la vente est libre. Le mot trafic fait à mon sens oublier que des personnes seules, ou des groupes disposent des moyens financiers pour acheter des armes aux Etats-Unis. Justement, le journaliste ne dit mot de la politique migratoire sévère décidée à Washington. Les clandestins continuent de passer la frontière pourtant sécurisée par les Américains, mais payent désormais beaucoup plus cher, et assurent ainsi la fortune des passeurs. Il est en outre tentant pour les wetback pauvres ou vénaux de financer leur passage en jouant les mules (transport de drogue). La forte augmentation des échanges commerciaux entre les deux pays implique de toutes façon un va-et-vient incessant de véhicules sur plusieurs points de la frontière.
Dans une tentative de mise en perspective géographique et historique, enfin, Rubén Mosso veut en arriver à démontrer que le Mexique a pris la place détenue il y a encore une vingtaine d'années par la Colombie. Le rapprochement est instructif, à condition de garder en mémoire les raisons pour lesquelles ce dernier pays a abrité les premiers cartels de la drogue latinoaméricains (dans leur formes récentes). Les Farc et les groupes d'auto-défense qui trouvent dans la drogue des modes de financement ne donnent pas naissance au cartel de Medellin. La Colombie était un pays stable politiquement, doté d'une économie en phase de diversification industrielle, avec une croissance des échanges et l'apparition d'une classe moyenne : probablement le pays le plus prospère de la zone Caraïbe, si l'on met de côté des micro – Etats insulaires. Contrairement aux idées reçues, la Colombie n'est pas devenue un narco – Etat (que vaut cette expression ?) à cause des consommateurs nord-américains, mais parce que son niveau de développement permettait d'y parvenir, compte tenu des conditions naturelles : routes et infrastructures de transport, laboratoires de raffinages, banques, etc. Il me semble que la virulence des narcotraficants fait la preuve que le Mexique des années 2000 suit les traces de la Colombie, et pour de bonnes raisons : son intégration au marché américain, le rapprochement insensible de la population mexicaine et de la population mexicaine en terme de mode de vie et de consommation, plutôt - pour l'instant -qu'au point de vue du pouvoir d'achat.
Mais Rubén Mosso préfère reprocher aux Américains cette situation. « Du fait de la collaboration avec les Etats-Unis et la Colombie, les trafiquants n'ont plus accès aux filières traditionnelles [...] » Pour lui, les cartels ont fermé boutique en Colombie, et ont en quelque sorte réapparu au Mexique. C'est un fait, la prohibition aboutit à l'augmentation des prix. Mais le journaliste se trompe dans sa conclusion : « Résultat, les prix ont grimpé mais la drogue est restée sur le territoire mexicain, d'où une hausse de la consommation. » D'une part des milliers d'Américains continuent de consommer de la drogue, même à prix fort. D'autre part, des milliers de Mexicains en font de même tout simplement parce qu'ils présentent les mêmes dispositions mentales, affectives... et financières. Autre signe d'une intégration continentale, l'obésité progresse à vive allure (voir ce fait divers) dans la population mexicaine : la mode est aux tailles larges et têtes coupées.

PS./ Dernier papier sur le Mexique : Des Barbares et des Mexicains.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire