jeudi 24 juin 2010

Ne pas confondre Allemande et Albanaise (de l’impact de la politique nataliste outre - Rhin)

Ainsi l’Allemagne vieillit et comble de malheur, les prélats catholiques condamnent les bonnes solutions, les seules recettes qui vaillent… Voilà en un mot la substance d’un article récent du Monde signé de Cécila Calla… « En proposant, il y a trois semaines, de créer 500.000 places supplémentaires dans les crèches et garderies pour les enfants âgés de moins de 3 ans d'ici à 2013, la ministre de la famille, Ursula von der Leyen (CDU), mère de sept enfants, a déclenché une véritable tempête politique. » Mais faut-il absolument avoir donné naissance à sept enfants pour occuper convenablement ce poste ?

« Constatant un important déficit du nombre de crèches et de garderies, particulièrement en Allemagne de l'Ouest, où, en moyenne, seuls 8 % des enfants de moins de 3 ans peuvent bénéficier d'une prise en charge hors du foyer familial, la ministre a décidé d'agir pour mieux aider les parents à concilier famille et carrière professionnelle. » Il y a un hic : les länder de l’est disposent en moyenne d’une meilleure couverture en crèche (nous dit la journaliste), mais leurs habitants ont moins d’enfants.

En 2005, tous les anciens länder de l’ex – RDA se trouvent dans la liste des dix länder pâtissant de la plus faible natalité (ils sont soulignés / chiffres x 1000) : Brème (5), Sarre (7), Mecklembourg (12), Hambourg (16), Saxe – Anhalt (17), Thuringe (17), Brandebourg (18), Schleswig – Holstein (23), Berlin (29) et Saxe (33) [Voir ici]. Au plan de la répartition régionale, l’est et le nord protestants se distinguent de l’Allemagne rhénane et bavaroise à majorité catholique. Il faut certes relativiser ce classement, étant donné que les Allemands vivent en plus grand nombre dans les länder de l’ouest. Au total il y a eu moins de naissance en Allemagne (690 000) qu’en France (760 000) en 2005, l’indice conjoncturel de fécondité s’établissant à 1,3 enfant par femme.

Cécilia Calla rappelle que la coalition au pouvoir à Berlin a instauré un salaire parental au mois de janvier 2007. « Mais l'intervention de l'Etat dans ce domaine suscite encore des réticences, surtout dans les milieux conservateurs. Aussi, les premières réactions négatives aux propositions de la ministre sont venues de l'Union chrétienne. [Le parti au pouvoir, représenté par la ministre de la famille…] » Les conservateurs critiquent le projet – nous dit la journaliste – parce qu’ils ne voient pas plus loin que les 3 K : Kinder, Küche, Kirche (enfants, cuisine, Eglise).

Elle n’en rappelle pas moins que l’ingérence de l’Etat dans les foyers a des précédents dans l’histoire allemande, et fait une brève allusion à la RDA « où les jeunes enfants étaient parqués du matin au soir dans les crèches. » La réminiscence s’arrête là, malheureusement. Or il conviendrait de remonter plus avant, à la période qui précède 1945. Le régime nazi orchestre alors une politique familiale à l’aune de ses objectifs raciaux et géopolitiques : Hitler réclame des milliers d’enfants de sang aryen ; blonds, blancs et donc purs. Cette population allemande devenue débordante, à l’étroite sur un territoire corseté (à cause du traité de paix de Versailles honni) lui offrait tous les justificatifs pour mener sa politique de l’espace vital en Europe centrale et orientale. Même si l'eau a coulé sous les ponts, un Allemand peut légitimement concevoir quelques réticences à entendre un ministre se mêler de trop près de la vie des ménages.

Lorsque Walter Mixa, évêque d'Augsbourg accuse la ministre de réduire les femmes à « des machines à procréer », il renvoie justement ses auditeurs à cette histoire. La journaliste affirme qu’il se trouve assez isolé, en désaccord avec l’Allemagne entière. Cela ne constitue ni une réplique, ni un démenti. Le cardinal Karl Lehmann cité un peu après dans l’article cherche lui l'apaisement. Mais il rappelle en même temps une évidence : imaginer que « c'est l'Etat qui prend le mieux soin des enfants » est au mieux un présupposé invérifiable.

Il faut donc se poser la question de l’utilité des deux mesures prises par la coalition d’Angela Merkel ; vont-elles oui ou non relancer la natalité en Allemagne et repousser le spectre du vieillissement ? Rien n’est moins sûr, parce qu’elles se contredisent au moins en apparence (j’ignore les détails de leur mise en application ; peut-être a-t-on prévu une complémentarité ?). Le salaire parental vise les mères (et pères) au foyer, tandis que l’ouverture de nouvelles crèches permet de poursuivre une activité professionnelle sans renoncer à avoir des enfants.

Il s’agit de ne pas faire de confusion. Une mesure n’est pas efficace parce qu’elle est populaire. Aucun foyer ne se plaindra de recevoir de l’argent, mais voudra-t-il en contrepartie davantage d’enfants ? En France, tout le monde met en avant le succès des allocations en tous genres, mais regarde-t-on à l’inverse l’imposition des célibataires sans enfant(s). Celle-ci s’avère particulièrement lourde, et devrait pousser les personnes concernées à assurer au plus vite leur postérité, ne laissant que quelques inconscients richissimes à l’écart de cette fécondité fiscalement assistée. OR IL N’EN EST RIEN…

Quant au travail des femmes, il n’agit évidemment pas à l’encontre de la natalité – les Etats-Unis, l’Islande, ou la France en témoignent – mais rien ne prouve qu’une femme a plus d’enfants PARCE QU'elle travaille ! Dans ce tableau on note que 40 % des Albanaises travaillent, et 39 % des Allemandes. Dans le premier cas, les femmes ont 2,3 enfants en moyenne, et dans le second cas, 1,3... Faut-il préciser en outre que l'Etat albanais a d'autres soucis que l'encouragement de la natalité. Quelles conclusions faut-il en tirer ?

Et si la natalité relevait des aspirations individuelles, d'un apaisement avec le passé ? C'est une hypothèse à envisager, ma foi !

PS.: Dernier article sur l'Allemagne : Berlin paiera !

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