samedi 26 juin 2010

Les villes boulimiques se nourrissent des campagnes anorexiques. (De la valeur des terres agricoles en France / Rapport Agreste n°197)

La semaine dernière, le ministère de l'Agriculture a rendu publiques les statistiques concernant l'évolution du prix des terres agricoles en France [Agreste / Chiffres et Données Agriculture / n°197]. Entre 2005 et 2006, les prix progressent de 3 %. Le prix moyen s'établit à 4.000 euros l'hectare, entre un minimum pour la Franche – Comté à 2.410 euros, et un maximum en Picardie (6.580 €). Le prix du mètre carré à Paris ou dans une grande ville de province équivaut donc à celui de l'hectare agricole. Si l'on retient les cinq régions dans lesquelles les ventes de propriétés agricoles se négocient au prix le plus élevé, on trouve l'Île de France (5.730 €), la Haute – Normandie (6.140 €), la région Nord – Pas-de-Calais (6.200 €), la région Provence – Alpes – Côte d'Azur (6.280 €) et la Picardie. Cette dernière est devenue grâce à la mécanisation et l'irrigation la première région céréalière française (voir une Poignée de Noix Fraîches) : 36 % de la production nationale de betteraves, 31 % des pommes de terres. 22 % des protéagineux, 12 % de la production nationale de blé, 8 % de l'orge, et 7 % du colza [source].
Les autres régions citées ne présentent aucun atout au plan agricole. Les prix révèlent le manque de surfaces disponibles, du fait d'éléments naturels mais plus encore de facteurs anthropiques : étalement urbain autour des grandes agglomérations (Paris, Marseille, ou Lille) et pression foncière sur les bords de la Méditerranée (PACA). Car à l'inverse, de grandes régions agricoles se trouvent dans le bas du tableau, avec des prix à l'hectare en dessous de la moyenne nationale. Le Grand Ouest se trouve ainsi presque au niveau des régions de montagnes (Franche – Comté, Limousin et Corse). En Bretagne et Pays de Loire, les éleveurs de volailles et de porcs se passent en partie des prés (élevage hors-sol). Au coeur du Bassin Parisien, dans la région Centre, les prix restent en deçà (3.660 € par hectare) de 4.000 euros.
En progression annuelle, les départements français reflètent une triple réalité. Dans un quart d'entre eux, les prix montent nettement, confirmant la tendance précédemment décrite. Quatre des cinq départements connaissant une croissance à deux chiffres appartiennent en effet à des régions où les prix moyens sont d'ores et déjà les plus forts : l'Oise (+ 13 % entre 2005 et 2006) et la Somme (+ 15 %) pour la Picardie ; les Bouches-du-Rhône (+ 11 %) et les Alpes-Maritimes (+ 27 %) pour PACA. Pour les autres départements, le pourcentage de progression dépasse rarement 5 %, à l'exception de la Creuse (+ 11 %). Ce dernier département (prix moyen de l'hectare à 2.070 euros) illustre en réalité une sorte de rattrapage pour les départements du Grand Ouest (Loire-Atlantique, Deux-Sèvres, Maine-et-Loire), du Bassin Parisien (Cher, Indre-et-Loire) ou de moyenne montagne (Jura, Hautes-Alpes et Corse du Sud) pour lesquels les prix partent de très bas (voir Carte).
Dans une quarantaine de départements français, la progression des prix rentre dans une fouchette comprise entre 2 et 4 %. Compte tenu de l'inflation (1,8 % en 2005 et 1,6 % en 2006 / source), les statistiques mettent en lumière une consolidation générale. Les départements concernés se répartissent équitablement entre le nord et le sud de l'Hexagone. Nombre d'entre eux se situent sur la façade de l'Atlantique et de la Manche. Les hausses reflètent la flambée des prix du foncier constructible. Sur les dix-sept départements se partageant le littoral ouest, deux font exception : l'Ile-et-Vilaine (+ 1 %) et la Charente-Maritime (0 %). On relève également l'impact urbain de Lyon (Rhône + 3 %, Loire + 2 %, Saône-et-Loire + 3 %), mais aussi de Paris au coeur du Bassin Parisien. Dans le Sud-Ouest le développement de Bordeaux et de Toulouse, et l'achat de résidences secondaires se combinent pour pousser les prix vers le haut (voir carte).
Pour un tiers environ des départements français, la valeur des terres agricoles décline, soit en termes réels, soit relativement à l'inflation (progression inférieure à 2 %). La partie orientale et le centre -ouest du Bassin Parisien sont touchés, de la même façon que le sud du Massif Central et le Languedoc-Roussillon. Dans cette dernière région, les statistiques tiennent compte néanmoins du prix des terrains sur le littoral – même s'il existe un écart manifeste avec la côte varoise et la Côte d'Azur – mais aussi dans les périphéries d'agglomérations, et en particulier de Montpellier. Les difficultés persistantes des vignobles de plaine, la déprise de l'élevage dans les Cévennes, la Montagne Noire ou dans les vallées pyrénéennes (Cerdagne, Conflent, Vallespir) se conjuguent sans doute. Pour les mêmes raisons, en Haute-Corse, les prix dévissent : – 5 % entre 2005 et 2006. (voir Carte)
Le tableau d'ensemble paraît relativement sombre. Depuis deux ans, les prix internationaux des matières premières agricoles ont cependant fortement augmenté. la valeur du foncier français surprend d'autant plus qu'elle reste très en-dessous des moyennes européennes. Car en France, il n'existe pas de marché libre. On achète et on vend des maisons ou des sociétés, mais les propriétés agricoles ne se négocient pas librement. La mise en exploitation est soumise à une autorisation préfectorale depuis un demi-siècle. Il faut par conséquent revenir à la Libération puis aux débuts de la Cinquième République pour comprendre la situation. L'interventionnisme et le corporatisme d'hier conditionnent la situation d'aujourd'hui. En contrepartie des lois de modernisation de l'agriculture française, qui visaient à doper les rendements et repousser le spectre de la pénurie alimentaire, les gouvernements successifs ont garanti aux exploitants l'absence de concurrence, le bloquage des enchères pour l'achat de nouvelles terres.
Avec la loi d'orientation agricole de 1962 et celles qui l'ont complétée, le législateur instaure des surfaces minimales d'installation, ou encore l'obligation pour le futur acheteur de présenter des diplômes reconnus par l'Etat. Les Commissions Départementales d'Orientation de l'Agriculture constituées de représentants de la profession et de membres nommés par les préfets statuent sur chaque dossier d'achat. Les SAFER jouent un rôle d'intermédiaire. [source]. Le coût de ce contingentement s'avère élevé. Contrairement à ce que l'on escomptait, le nombre d'actifs travaillant dans l'agriculture a continué à décroître. Ceux qui s'accrochent encore, prendront une retraite étriquée. En outre, le grand public se méfie des paysans et de la PAC, de l'agro-industrie polluante et des aliments sans goût et standardisés.
La terre ayant perdu une partie de sa valeur marchande, la constitution d'un capital foncier a pour la première fois cessé de constituer l'objectif d'une vie de paysan. La course subventionnée à la productivité a dans le même temps entraîné la destruction du bocage, accentué l'utilisation d'intrants polluants, favorisé le gaspillage des ressources en eau. Le simple pré ne devient finalement intéressant qu'une fois viabilisé. Chaque année, des dizaines d'hectares disparaissent sous le bitume. Les villes boulimiques se nourrissent des campagnes anoxériques. Dans les couronnes périurbaines françaises les futurs propriétaires périurbains achètent des parcelles en passe d'être viabilisées dix fois le prix de l'hectare agricole. Dans la deuxième puissance agricole du monde, la terre agricole ne vaut toujours rien.
Dans le dernier Télérama (n°3042 / 30 avril 2008), l'ancien ministre de l'Agriculture du général De Gaulle, Edgard Pisani, livre sa propre version des faits. Peu soucieux de revenir sur des erreurs passées, il ressort sans gêne des slogans vieux comme le club de Rome. Pour lui, la surpopulation a déclenché la crise alimentaire mondiale. Pourquoi brusquement depuis quelques mois ? Il se tait sur ce point. Edgard Pisani se garde d'incriminer les politiques publiques si coûteuses à long terme, en Europe et en Amérique du Nord responsables de l'affaissement des prix des matières premières alimentaires et d'une concurrence déloyale vis-à-vis des pays en voie de développement. Quels coupables désigne-t-il en revanche ? Le réchauffement climatique et le FMI. Si les animaux consomment 45 % des céréales mondiales, la faute en revient... aux consommateurs de viande ! Posant une ultime question sur le bien fondé des négociations de l'OMC sur la libéralisation des échanges de produits agricoles, Weronika Zarachowicz montre que le fringant nonagénaire ne craint aucune contradiction : « La politique de l'OMC est absurde : vous ne pouvez pas réguler par le marché mondial une denrée aussi essentielle à la vie que la nourriture, et dont les coûts varient du simple au triple suivant les régions du monde. Au contraire, il faudrait que les gouvernements puissent fixer des prix intérieurs favorables à la production et abordables pour le consommateur. » Comme en Corée du Nord ?


P.S. / Geographedumonde sur les questions environnementales : La douloureuse au Nord et la faucheuse au Sud.

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