Malgré la progression rapide du nombre d'incinérations (choisi en France à la suite d'un décès sur quatre), les cimetières augmentent en superficie et en nombre de concessions. Ce phénomène s'inscrit dans une évolution urbaine plus globale. Les cimetières participent de la périurbanisation. Jusqu'à une période assez récente (1804 en France), ils restaient en Occident dans des limites géographiques relativement stables. La population totale augmentait très lentement, et régressait même parfois à cause des guerres et des épidémies. Les notables, princes de sang, nobles et riches bourgeois payaient pour être enterrés isolément, souvent à l'intérieur même d'une église. Dans sa biographie du jardinier de Louis XIV, Eric Orsenna raconte que Le Nôtre intrigua à la fin de sa vie pour obtenir le blanc-seing du curé de Saint-Roch, à Paris. D'autres personnages en vue postulaient à peu près à la même période pour se faire ensevelir dans cette même église [Diderot ou l'abbé de l'Epée]. Pour le quidam, sans proches fortunés ou dépourvu de descendance, la dernière demeure était la fosse commune du cimetière paroissial. Une fois celle-ci comblée, on recouvrait de terre les corps puis on plantait des arbres. La récolte des fruits constituait un revenu éventuel pour la paroisse. [voir Une poignée de noix fraîches]
Au bout de quelques années, le temps nécessaire à la dégradation naturelle des corps variant selon le contexte bio-climatique, on réouvrait les fosses puis on prélevait les ossements pour faire place nette... Le corps de Mozart fut ainsi enterré en 1791 dans le cimetière Saint – Marx de Vienne, aux côtés d'autres défunts. Par un contresens désormais facile à comprendre, les admirateurs du compositeur en ont tiré une légende reprise par Milos Forman (Amadeus) : Mozart, le génie que l'on aurait oublié de son vivant, enterré comme un pauvre. « Son cercueil a [plus tard] été déterré pour laisser place à d'autres décédés tout frais. Il est possible que ses os aient été broyés, pour prendre moins de place, en tout cas, ils furent réenterrés quelque part dans le cimetière. La légende prétend qu'un fossoyeur aurait dérobé le crâne de Mozart durant cette 'réorganisation', perdant la maxillaire inférieure au passage. Finalement, on ne sait pas trop comment, le crâne atterit au Mozarteum en 1902. » [sources]
Dans les cimetières médiévaux et modernes, la pollution des nappes phréatiques était redoutée, même si le lien avec la décomposition des corps n'était sans doute pas comprise de façon très précise. Le choix de l'emplacement répondait en théorie à un certain nombre de critères : selon la pente du terrain et l'existence d'une roche imperméable empêchant les infiltrations. Sans même parler de respect de la nature, la coutume conciliait l'obéissance à un impératif religieux (le respect dû aux corps), le souci de limiter le coût des obsèques tout en laissant aux membres de la famille et aux proches du défunt la possibilité de se recueillir sur sa tombe, de matérialiser sa disparition. Qu'en résultait-il du point de vue des étapes du deuil ? [voir ici] Peut-être éprouvait-on moins de problèmes à faire son deuil que face à une urne funéraire ?
Je constate pour en revenir à l'agrandissement des cimetières que la demande d'une tombe individuelle perdure dans l'ensemble du monde occidental, non pas par l'effet d'une quelconque revanche sociale – qui n'a plus lieu d'être – mais par la simple force de l'habitude. Or une tombe cesse généralement d'être visitée au-delà de deux générations, et même d'une génération à l'autre. Comment entretient-on l'existant ? En 2006, le nombre de décès a atteint 531.000 en France [sources]. Mettons qu'un quart des personnes avaient opté de leur vivant pour une crémation. Une moitié comptaient sur un caveau familial ou avaient acheté une concession déclarée vacante pour cause de fin de droit : à titre d'exemple, dans le cimetière de Montparnasse à Paris, 1.000 tombes sur 35.000 sont récupérées de cette façon chaque année .
Partons donc sur un besoin théorique en France de 150.000 nouvelles tombes chaque année : cela correspond à l'ouverture de deux fois le cimetière parisien du Père – Lachaise dans le XXème arrondissement : entre 80 et 90 hectares gelés annuellement, dont une bonne partie en zone urbaine. Compte tenu du vieillissement de la population française, cette nécropolisation risque fort de s'accentuer, en particulier dans les périphéries urbaines : ce néologisme fait référence au mot nécropole. Dans l'Antiquité, les vivants étaient censés pouvoir dialoguer dans les nécropoles avec les morts, par le biais de d'offrandes, ou de séances divinatoires.
En attendant, le dernier numéro de Courrier International [n°868 / Du 21 au 27 juin 2007 / P.58] reprend un article d'El Paìs intitulé Le bio séduit aussi les croque-morts. Carmen Morán consacre la première moitié de son article à la pollution des eaux à la suite d'une mise en terre (par décomposition des corps, et dissémination des produits toxiques incorporés dans le cercueil), mais également pour cause de dispersion des cendres résultant d'une incinération. Cette pollution indirecte aurait selon elle incité les autorités compétentes à prononcer des interdictions en France, en Allemagne et en Australie. La journaliste poursuit par un « on pourrait faire plus » moins convaincant, simple chronique promotionnelle, passant des sachets contenant des bactéries qui accélèrent la décomposition organique aux urnes biodégradables. Pendant ce temps, processus d'individualisation et de nécropolisation s'auto-alimentent dans des aires urbaines à la fois étalées, privatisées... Et polluées.
Au bout de quelques années, le temps nécessaire à la dégradation naturelle des corps variant selon le contexte bio-climatique, on réouvrait les fosses puis on prélevait les ossements pour faire place nette... Le corps de Mozart fut ainsi enterré en 1791 dans le cimetière Saint – Marx de Vienne, aux côtés d'autres défunts. Par un contresens désormais facile à comprendre, les admirateurs du compositeur en ont tiré une légende reprise par Milos Forman (Amadeus) : Mozart, le génie que l'on aurait oublié de son vivant, enterré comme un pauvre. « Son cercueil a [plus tard] été déterré pour laisser place à d'autres décédés tout frais. Il est possible que ses os aient été broyés, pour prendre moins de place, en tout cas, ils furent réenterrés quelque part dans le cimetière. La légende prétend qu'un fossoyeur aurait dérobé le crâne de Mozart durant cette 'réorganisation', perdant la maxillaire inférieure au passage. Finalement, on ne sait pas trop comment, le crâne atterit au Mozarteum en 1902. » [sources]
Dans les cimetières médiévaux et modernes, la pollution des nappes phréatiques était redoutée, même si le lien avec la décomposition des corps n'était sans doute pas comprise de façon très précise. Le choix de l'emplacement répondait en théorie à un certain nombre de critères : selon la pente du terrain et l'existence d'une roche imperméable empêchant les infiltrations. Sans même parler de respect de la nature, la coutume conciliait l'obéissance à un impératif religieux (le respect dû aux corps), le souci de limiter le coût des obsèques tout en laissant aux membres de la famille et aux proches du défunt la possibilité de se recueillir sur sa tombe, de matérialiser sa disparition. Qu'en résultait-il du point de vue des étapes du deuil ? [voir ici] Peut-être éprouvait-on moins de problèmes à faire son deuil que face à une urne funéraire ?
Je constate pour en revenir à l'agrandissement des cimetières que la demande d'une tombe individuelle perdure dans l'ensemble du monde occidental, non pas par l'effet d'une quelconque revanche sociale – qui n'a plus lieu d'être – mais par la simple force de l'habitude. Or une tombe cesse généralement d'être visitée au-delà de deux générations, et même d'une génération à l'autre. Comment entretient-on l'existant ? En 2006, le nombre de décès a atteint 531.000 en France [sources]. Mettons qu'un quart des personnes avaient opté de leur vivant pour une crémation. Une moitié comptaient sur un caveau familial ou avaient acheté une concession déclarée vacante pour cause de fin de droit : à titre d'exemple, dans le cimetière de Montparnasse à Paris, 1.000 tombes sur 35.000 sont récupérées de cette façon chaque année .
Partons donc sur un besoin théorique en France de 150.000 nouvelles tombes chaque année : cela correspond à l'ouverture de deux fois le cimetière parisien du Père – Lachaise dans le XXème arrondissement : entre 80 et 90 hectares gelés annuellement, dont une bonne partie en zone urbaine. Compte tenu du vieillissement de la population française, cette nécropolisation risque fort de s'accentuer, en particulier dans les périphéries urbaines : ce néologisme fait référence au mot nécropole. Dans l'Antiquité, les vivants étaient censés pouvoir dialoguer dans les nécropoles avec les morts, par le biais de d'offrandes, ou de séances divinatoires.
En attendant, le dernier numéro de Courrier International [n°868 / Du 21 au 27 juin 2007 / P.58] reprend un article d'El Paìs intitulé Le bio séduit aussi les croque-morts. Carmen Morán consacre la première moitié de son article à la pollution des eaux à la suite d'une mise en terre (par décomposition des corps, et dissémination des produits toxiques incorporés dans le cercueil), mais également pour cause de dispersion des cendres résultant d'une incinération. Cette pollution indirecte aurait selon elle incité les autorités compétentes à prononcer des interdictions en France, en Allemagne et en Australie. La journaliste poursuit par un « on pourrait faire plus » moins convaincant, simple chronique promotionnelle, passant des sachets contenant des bactéries qui accélèrent la décomposition organique aux urnes biodégradables. Pendant ce temps, processus d'individualisation et de nécropolisation s'auto-alimentent dans des aires urbaines à la fois étalées, privatisées... Et polluées.
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