Presque coup sur coup, Courrier International offre deux éclairages aussi originaux que peu flatteurs sur la Grèce, dans les numéros 862 (du 10 au 16 mai), et 868 (du 21 au 27 juin 2007), sans rapport avec la civilisation hellenistique et le tourisme dans les îles méditerranéennes. Sous la plume même de ses journalistes, on découvre un Etat impuissant, la Grèce comme un prolongement du Tiers-monde au sud de l'Europe. Dans l’article datant du mois de mai – L’évasion fiscale en passant à la caisse – Thanassis Lyrtsogiannis (To Ethnos / Athènes) utilise l’expression métaphorique de sport national pour qualifier la propension de ses concitoyens à escamoter les taxes indirectes, à mentir sur leurs déclarations de revenus, et à corrompre les agents du fisc. Il succombe toutefois à un idiotype que je souhaiterais éviter personnellement : « les contribuables grecs ont pris l’habitude d’essayer par tous les moyens d’échapper au paiement de l’impôt » ; tous ? L’envie de se soustraire à l’impôt n’est-elle pas au contraire particulièrement répandue ? J’opterai un peu plus tard pour un angle d’attaque plus satisfaisant mais délaissé par le journaliste : la tricherie à l’impôt ne serait-elle pas plus facile en Grèce que dans un autre pays européen ? Quel rôle jouent les facteurs géographiques ?
Revenons à T. Lyrtsogiannis. « Le salaire minimum plafonnant à 668 euros, il est difficile de refuser un rabais de 15 à 25 % sur un achat quotidien. […] Les vendeurs proposent un rabais de 5 % si le client paie en espèces, et lui proposent une seconde remise – jusqu’à 25 % – s’il ne demande pas de facture. […] L’Etat a donc décidé de réagir et propose, dans un premier temps, une déduction fiscale de 40 % aux particuliers qui demandent une facture pour l’entretien de leur voiture, ou pour des travaux de plomberie, d’électricité ou de peinture. » Au plan de la mécanique financière, l’opération provoque un manque à gagner pour l’Etat grec, et elle décrédibilise indirectement la TVA. Le journaliste cite le chiffre de 15,5 milliards d’euros, sans autre ordre de proportions. Cette somme représente entre un cinquième et un sixième du budget de l’Etat grec évalué à 99,5 milliards de dollars en 2005.
Dans l’article de cette semaine, Ioanna Sotirhou s’inspire quant à elle d’un rapport d’Amnesty International pour traiter du trafic de femmes en pleine expansion dans son pays (Eleftherotypia / Athènes). En l’an 2000, l’Ong chiffre à 90.000 le nombre de clandestines ayant transité ou séjourné en Grèce. Dans un pays comme la France, comptant près de six fois plus d’habitants (61 millions contre 11), cela équivaudrait à un effectif d’environ 500.000 femmes ! La journaliste peste contre les autorités qui choisissent selon elle de minimiser délibérément le problème, reconnaissant « 100 à 200 femmes et enfants victimes », qui légifèrent mal ou en retard et pêchent par laxisme. « Selon les Ong, sur le millier d’arrestations annoncé par la police ces quatre dernières années, seuls dix ou quinze cas ont fait l’objet d’une enquête judiciaire, une seule condamnation définitive a été prononcée et un jugement est actuellement en appel. […] Quatre-vingts pour cent des femmes victimes de trafic sont violées puis envoyées et exploitées dans des bars lugubres où la prostitution est illégale mais permet aux trafiquants de rester loin du regard de la police. » Ionna Sotirhou relate en outre des exactions policières lors de gardes à vues.
Les hic de la plaque tournante grecque. Dans les deux articles, la question des frontières s’impose, d’un pays à la croisée des chemins. Ainsi, la fraude fiscale s’organise d’autant mieux que « les Grecs économisent en utilisant – au noir, bien sûr – la main d’œuvre bon marché issue de l’immigration frontalière. » Et dans le deuxième article, on note que les maisons closes et autres hôtels de passe fructifient d’autant plus qu’ils sont les lieux de biens d’autres trafics. La journaliste ajoute même que « Cette situation jette une ombre sur la bonne volonté de la Grèce de mobiliser ses voisins albanais, bulgares et roumains afin de mettre en place avec eux des programmes de coopération anticriminelle. Dans ces trafics, des Grecs s’enrichissent en jouant le rôle de passeurs d’êtres humains. »
Dans un extrait d’Une poignée de noix fraîches, j’évoquai la fin de l’empire Ottoman, l’histoire de la séparation entre la Grèce et la Turquie et les tensions résultantes en mer Egée [carte ] . On y trouvera l’étude du cas spécifique de Rhodes, si proche des côtes de l’Asie mineure mais dépendant juridiquement d’Athènes. Toutes les îles grecques de la mer Egée orientale se prêtent en fait aux échanges illégaux, aux trafics de main d’œuvre décrit plus avant. Mais ce vieux morceau d’empire qu’est la Grèce contient plusieurs populations sujettes aux échanges transfrontaliers, sur la partie balkanique cette fois. Il s’agit de minorités séparées par les frontières septentrionales, comme les Arvanites, à tort assimilés aux Albanais depuis que dans les années 1990 des réfugiés albanais se sont installés dans les villages albanophones du nord-ouest de la Grèce. « Bien que cette situation n’implique aucunement l'apparition de sentiments d’ ‘appartenance commune’ avec les Albanais et l'Albanie – en fait, c’est même plutôt le contraire qui se produit – elle a fait l’objet de commentaires négatifs de la part des services secrets grecs. » [sources].
Les Macédoniens (d’origine slaves), les Bulgares et les Pomaques présentent les mêmes spécificités : voir ici et là. Les routes reliant la Grèce au reste des Balkans ne sont pas nombreuses (comme le constatèrent en 1917 les forces françaises de Franchet d’Esperey). Du fait de la chaîne montagneuse des Rhodopes, les deux cent cinquante kilomètres de frontière entre la Bulgarie et la Grèce ne comptent par exemple que deux passages ; à peu près autant qu’à l’ouest du côté adriatique. En réalité, la voie fluviale du Vardar – Axios (voir ici et là ), le lac Prespansko et des milliers de sentiers montagnards échappent – en partie ou non – à la surveillance douanière grecque…
A des degrés divers, toutes ces minorités plutôt à l’écart des grandes destinations touristiques et souvent mal intégrées disposent donc d’atouts pour contourner la législation grecque et vivre de trafics transfrontaliers (voir plus haut). Ceux-ci s'accroissent sans nul doute (?) depuis un quart de siècle et l’entrée de la Grèce dans la CEE, véritable tête de pont de l’Union Européenne au sud-est du continent. Depuis quelques mois, l’intégration de la Bulgarie place il est vrai le pays dans une nouvelle configuration (concurrence ?), avec pour la première fois une frontière commune avec un Etat membre. Ne pas confondre tête de pont et plaque tournante.
Revenons à T. Lyrtsogiannis. « Le salaire minimum plafonnant à 668 euros, il est difficile de refuser un rabais de 15 à 25 % sur un achat quotidien. […] Les vendeurs proposent un rabais de 5 % si le client paie en espèces, et lui proposent une seconde remise – jusqu’à 25 % – s’il ne demande pas de facture. […] L’Etat a donc décidé de réagir et propose, dans un premier temps, une déduction fiscale de 40 % aux particuliers qui demandent une facture pour l’entretien de leur voiture, ou pour des travaux de plomberie, d’électricité ou de peinture. » Au plan de la mécanique financière, l’opération provoque un manque à gagner pour l’Etat grec, et elle décrédibilise indirectement la TVA. Le journaliste cite le chiffre de 15,5 milliards d’euros, sans autre ordre de proportions. Cette somme représente entre un cinquième et un sixième du budget de l’Etat grec évalué à 99,5 milliards de dollars en 2005.
Dans l’article de cette semaine, Ioanna Sotirhou s’inspire quant à elle d’un rapport d’Amnesty International pour traiter du trafic de femmes en pleine expansion dans son pays (Eleftherotypia / Athènes). En l’an 2000, l’Ong chiffre à 90.000 le nombre de clandestines ayant transité ou séjourné en Grèce. Dans un pays comme la France, comptant près de six fois plus d’habitants (61 millions contre 11), cela équivaudrait à un effectif d’environ 500.000 femmes ! La journaliste peste contre les autorités qui choisissent selon elle de minimiser délibérément le problème, reconnaissant « 100 à 200 femmes et enfants victimes », qui légifèrent mal ou en retard et pêchent par laxisme. « Selon les Ong, sur le millier d’arrestations annoncé par la police ces quatre dernières années, seuls dix ou quinze cas ont fait l’objet d’une enquête judiciaire, une seule condamnation définitive a été prononcée et un jugement est actuellement en appel. […] Quatre-vingts pour cent des femmes victimes de trafic sont violées puis envoyées et exploitées dans des bars lugubres où la prostitution est illégale mais permet aux trafiquants de rester loin du regard de la police. » Ionna Sotirhou relate en outre des exactions policières lors de gardes à vues.
Les hic de la plaque tournante grecque. Dans les deux articles, la question des frontières s’impose, d’un pays à la croisée des chemins. Ainsi, la fraude fiscale s’organise d’autant mieux que « les Grecs économisent en utilisant – au noir, bien sûr – la main d’œuvre bon marché issue de l’immigration frontalière. » Et dans le deuxième article, on note que les maisons closes et autres hôtels de passe fructifient d’autant plus qu’ils sont les lieux de biens d’autres trafics. La journaliste ajoute même que « Cette situation jette une ombre sur la bonne volonté de la Grèce de mobiliser ses voisins albanais, bulgares et roumains afin de mettre en place avec eux des programmes de coopération anticriminelle. Dans ces trafics, des Grecs s’enrichissent en jouant le rôle de passeurs d’êtres humains. »
Dans un extrait d’Une poignée de noix fraîches, j’évoquai la fin de l’empire Ottoman, l’histoire de la séparation entre la Grèce et la Turquie et les tensions résultantes en mer Egée [carte ] . On y trouvera l’étude du cas spécifique de Rhodes, si proche des côtes de l’Asie mineure mais dépendant juridiquement d’Athènes. Toutes les îles grecques de la mer Egée orientale se prêtent en fait aux échanges illégaux, aux trafics de main d’œuvre décrit plus avant. Mais ce vieux morceau d’empire qu’est la Grèce contient plusieurs populations sujettes aux échanges transfrontaliers, sur la partie balkanique cette fois. Il s’agit de minorités séparées par les frontières septentrionales, comme les Arvanites, à tort assimilés aux Albanais depuis que dans les années 1990 des réfugiés albanais se sont installés dans les villages albanophones du nord-ouest de la Grèce. « Bien que cette situation n’implique aucunement l'apparition de sentiments d’ ‘appartenance commune’ avec les Albanais et l'Albanie – en fait, c’est même plutôt le contraire qui se produit – elle a fait l’objet de commentaires négatifs de la part des services secrets grecs. » [sources].
Les Macédoniens (d’origine slaves), les Bulgares et les Pomaques présentent les mêmes spécificités : voir ici et là. Les routes reliant la Grèce au reste des Balkans ne sont pas nombreuses (comme le constatèrent en 1917 les forces françaises de Franchet d’Esperey). Du fait de la chaîne montagneuse des Rhodopes, les deux cent cinquante kilomètres de frontière entre la Bulgarie et la Grèce ne comptent par exemple que deux passages ; à peu près autant qu’à l’ouest du côté adriatique. En réalité, la voie fluviale du Vardar – Axios (voir ici et là ), le lac Prespansko et des milliers de sentiers montagnards échappent – en partie ou non – à la surveillance douanière grecque…
A des degrés divers, toutes ces minorités plutôt à l’écart des grandes destinations touristiques et souvent mal intégrées disposent donc d’atouts pour contourner la législation grecque et vivre de trafics transfrontaliers (voir plus haut). Ceux-ci s'accroissent sans nul doute (?) depuis un quart de siècle et l’entrée de la Grèce dans la CEE, véritable tête de pont de l’Union Européenne au sud-est du continent. Depuis quelques mois, l’intégration de la Bulgarie place il est vrai le pays dans une nouvelle configuration (concurrence ?), avec pour la première fois une frontière commune avec un Etat membre. Ne pas confondre tête de pont et plaque tournante.
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