Imaginez une ville qui comptait 456 habitants en 1982, 1.545 en 1990, et 9.205 en 1999. Selon le recensement provisoire de l’INSEE de 2005, elle en compte 16.980. La population concernée a donc connu une courbe de progression vertigineuse. Il s’agit par conséquent d’une sorte de jardin d’Eden, et les statistiques disent l’ampleur de l’engouement. Bien sûr, le prix de l’immobilier – à moins de trente kilomètres à l’est de Paris – constitue le premier attrait. La commune rentre dans l’aire urbaine d’une ville nouvelle (Marne la Vallée), mais s’en distingue par le nom et par la position excentrée. Grâce (?) ou en lien avec le parc d’attractions Euro-Disney, elle bénéficie d’un avantage essentiel : avec une station RER, le buxangeorgien a la possibilité de rallier le centre de Paris dans les plus brefs délais (…). Du point de vue autoroutier, il existe en outre une alternative au réseau ferré avec l’A 4 (Reims – Paris) passant au sud de la commune.
Il serait facile de critiquer la croissance rapide de Bussy Saint-Georges au beau milieu d’un plateau au riche potentiel agricole, l’étalement de l’habitat pavillonnaire. Le succès du site balaie ces arguments : tant de Franciliens ne peuvent se tromper sur leur nouvelle commune d’élection. Celle-ci ne présente pas d’intérêt au plan du patrimoine ou des monuments : une tour médiévale transformée en pigeonnier et une église Renaissance dont le clocher a été rehaussé au XIXème siècle pour cause d’Angelus. Mais Bussy accueille en revanche des entreprises, offrant ainsi la possibilité théorique à ses habitants de travailler dans l’espace communal.
Qu’offre aux yeux de l’internaute l’image satellitale de la commune ? Un rectangle de direction ouest-sud-ouest / est-nord-est long de quatre kilomètres et large de deux. Aucune distinction n’apparaît entre le centre indistinct et les périphéries, le tissu urbain se caractérisant par une densité aussi desserrée qu’homogène. Des dizaines de terrains se collent les uns à côté des autres, ponctués de petits carrés oranges couleur tuile ; la vue d’altitude empêche d’établir une distinction entre ruelles, rues et avenues : l’espace public est aussi rare que les bâtiments du même nom. Mais à y regarder de plus près, une certaine hétérogénéité s’esquisse entre quartiers, se devinant grâce aux subtiles variations de la taille des parcelles.
Contrairement à d’autres communes, on sait qu’à Bussy, quasiment toutes les constructions datent de la même période, c'est-à-dire des deux dernières décennies : les distinctions entre lotissements révèlent autre chose qu'une évolution des goûts ou des techniques de construction. On observe en réalité des différences de standing entre pavillons. Car le rêve américain d’une middle class uniforme dans ses aspirations à la propriété (et donc dans le type de constructions) n’est justement qu’un rêve. A Bussy, les plus aisés ont choisi de faire construire au nord du rectangle, sur des terrains plus étendus limitant au maximum les vis-à-vis, desservis par des minuscules voies d’accès toutes en courbures et en arrondis. A l’arrière, le pavillon donne sur un golf, les plus chanceux ayant vue sur un plan d’eau.
Au sud du rectangle et proche de l’A 4, l’image satellitale donne à voir un lotissement au tracé géométrique, avec des pavillons plantés en rangs serrés… Quelques centaines de mètres séparent des CSP différentes. A Bussy Saint-Georges, et pour paraphraser (George) Orwell, tous les périurbains sont égaux, mais certains plus que d’autres ! Mais est-ce si important ? Tant de personnes y ont trouvé leur compte : ne faut-il pas laisser de côté les considérations spécieuses, à la fois sociologisante et paysagère… Le très utile article d’Elise Vincent dans le Monde donne néanmoins à réfléchir :
« Quand ‘on aime’, c'est souvent parce qu'on s'est installé avec un rêve. Celui du pavillon à soi, du jardin attenant, et de la campagne à proximité. [… Les infrastructures n’ont pas suivi] Alors que la région Ile-de-France tente de contrôler l'étalement urbain, des résidents de Bussy, qui en souffrent, évoquent leurs désillusions. Un certain nombre d'entre eux se disent déçus de la faible animation du centre-ville. Comme d'autres habitants de la commune, tous les jours, [Thierry Zeller, 47 ans, technicien de gestion dans l'automobile] prend sa voiture pour se rendre à son travail. Mais pour l'instant, Bussy ne dispose que d'un seul échangeur autoroutier. Et quotidiennement, matin et soir, d'importants embouteillages engorgent la ville. ‘En habitant à 30 km de la capitale, je pensais n'avoir des bouchons qu'en arrivant aux portes de Paris, or ce n'est pas le cas !’, regrette-t-il. Ces problèmes d'encombrements, Thierry Baptiste, 23 ans, webmestre, les retrouve lui sur la ligne de RER. Bussy Saint-Georges est l'avant-dernière station avant Disneyland. Aux heures de pointe, ‘il ne faut même pas espérer trouver une place assise’, déplore-t-il.
Le nombre insuffisant de places en crèches, collèges et lycées, fait également partie des reproches réguliers des résidents. […] Depuis le salon de son agréable pavillon, Bernard Noblet, président d'AVF, une association qui accueille les nouveaux arrivants, constate également le manque criant de lieux d'accueil pour les très nombreuses associations que compte la ville. ‘Les gymnases sont saturés, et lorsqu'on demande une salle municipale il n'y a jamais de créneau’, dit-il. A la mairie, on ne cache pas la difficulté à ‘aller aussi vite’ que l'explosion urbaine. […] Philippe Nicolas, le directeur de cabinet du maire (UDF) Hugues Rondeau, préfère dénoncer la baisse des financements de l'Etat aux villes nouvelles. ‘On a une clientèle exigeante qui achète non seulement un logement, mais le package de services qui vont avec’, explique-t-il. Le slogan de Bussy, rappelle-t-il, c'est : ‘La ville à la campagne.’ L'interprétation est libre. »
A Bussy, le périurbain veut la tranquillité rurale en même temps l’animation et les services urbains. Il se félicite de l’offre en transports en commun, mais ne se départit pas de sa voiture. Le buxangeorgien – père de famille réclame des équipements, mais le buxangeorgien – contribuable refuse toute augmentation des impôts locaux. A Bussy enfin, les édiles portent la responsabilité de la multiplication par 37 de la population, mais donnent en public le sentiment que le ciel leur est tombé sur la tête…
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