vendredi 25 juin 2010

L’argent n’a pas d’ordures. (De la gestion des déchets à Genève, et de ses implications à l’échelle de l’aire urbaine)

Le Service Industriel de Genève collecte et retraite les ordures du canton suisse, même s'il préfère parler de valorisation des déchets. Ici, l'enfouissement appartient à une époque révolue. L'incinérateur dispose d'un atout notable, puisqu'il peut brûler beaucoup plus d'ordures que n'en produit l'agglomération genevoise. Cette surcapacité a permis dans un passé récent de prendre en charge des déchets extérieurs à la région (dessin). Jusqu'à ce que des écologistes se rendent compte que le SIG valorise les poubelles des autres. Les éboueurs bafouent soudain l'honneur genevois ? Ils révélent à mon sens un déni, l'inconscient d'une population taraudée par l'idée du pourrissement et travaillée par le remords du consommateur – la consommation c'est mal –. Le SIG renie un contrat moral sans s'en rendre compte. L'organisme retraite chaque année près de 350.000 tonnes d'ordures, dont une partie sert à produire de l'électricité (13 % de l'énergie produite dans le canton) et de l'eau chaude pour les riverains (Onex).
En voulant bien faire, c'est-à-dire en agissant de telle façon que des bénéfices viennent équilibrer ses coûts, le SIG a toutefois commis un sacrilège. Un grand nombre de Genevois expriment leur réprobation. Ils désirent que l'on cesse d'accueillir les poubelles des voisins. Qu'ils payent pour ce service importe peu : rendez aux Italiens ce qui est aux Italiens ! La municipalité et le canton effrayés par la polémique naissante enjoignent contre toute logique le SIG de cesser la seule partie de son activité qui gonfle sa trésorerie. Le communiqué de presse laisse poindre l'amertume et la rancune. Car l'organisme n'agit pas sans avoir reçu l'approbation de ceux-là même qui crient halte ! Le Canton finance en effet le SIG à hauteur de 50 %, la ville de Genève 35 % et ses banlieues 15 %.
« SIG prend acte de la décision du Conseil d’Etat de la République et canton de Genève de ne pas traiter aux Cheneviers les déchets de Naples. SIG rappelle que la décision de son Conseil d’administration et de sa Direction générale s’appuyait sur des considérations industrielles conformes aux trois dimensions du développement durable. SIG comprend les impératifs politiques liés notamment aux polémiques soulevées à Genève. Dans les semaines à venir, SIG définira et planifiera des solutions alternatives (ressources, infrastructures) de traitement et de valorisation énergétique des déchets, en tenant compte des nouvelles conditions fixées par le Gouvernement genevois. Genève, le 11 mars 2008. » [Source]
Dans le Monde, Agathe Duparc prend la défense de l'exécutif cantonal qui plaide à décharge... Il prétend « ne pas pouvoir mesurer l'impact d'une telle opération sur l'environnement, estimant aussi que la traçabilité des déchets italiens n'est pas garantie. » La journaliste veut croire à la thèse de l'erreur bête. En signant un contrat pour trois ans avec des communes autrichiennes (129.000 tonnes) et italiennes (181.000 tonnes), le SIG en a négligé les implications géographiques. Il s'agit de ne pas transiger. On accepte à Genève des poubelles avec traçabilité (sic !) des poubelles qui fleurent bon. Or venant de Naples, l'argent n'a pas d'ordure. La Camorra se cacherait derrière cette affaire. Geographedumonde. « Car si les détritus autrichiens ne semblent pas poser de problèmes, les Napolitains, eux, ont mauvaise réputation. Outre le spectre de la Camorra, c'est leur possible toxicité qui a été brandie. » On espère qu'en plus de leurs agissements, la journaliste n'accuse pas les Napolitains d'être toxiques. Le Canton ne veut en tout cas plus accepter des fonds qui sentent mauvais : à Genève, on ne badine pas avec l'éthique financière !
Une question demeure en suspens : un Autrichien rejette-t-il autre chose qu'un Italien ? La communication du SIG embrouille plus qu'elle n'éclaire l'observateur impartial. Son porte-parole explique que les organisations criminelles italiennes recevant, contre espèce sonnante et trébuchante, des ordures venues du reste du continent se contentent ensuite de les disperser dans la nature. Tout de même, il ne faudrait pas prendre des Macaronis pour ce qu'ils ne sont pas, des gens intelligents et propres qui vivent au bon air, dans les alpages. Finalement, « seuls les 'déchets frais, ramassés les jours précédents' seraient acceptés, des contrôles étant prévus à cet effet. » Ceux qui pourraient envoyer des détritus de mauvaise qualité savent désormais à quoi s'en tenir.
Cette affaire stimule on le voit le satiriste, mais comporte un volet géographique. Elle renvoie aux problèmes de la métropolisation et de l'étalement urbains ici liés. Car les habitants du Canton qui par leurs impôts financent le SIG, ne le font pas tous de la même manière. Tous interviennent doublement, par l'échelon communal d'abord, puis par l'échelon cantonal ensuite. Pour 100 francs suisses dépensés pour l'eau, l'énergie, les liaisons optiques ou la gestion des poubelles, un Genevois paie 60 francs (25 + 35) tandis qu'un habitant d'une commune périphérique de l'agglomération en paie 40 (25 + 15). Les foyers les plus aisés ne se retrouvent pourtant pas forcément dans la commune centrale de l'agglomération. Concernant l'incinérateur situé sur la commune de Cheneviers, Agathe Duparc constate qu'il ne fonctionne pas à plein régime et que son rendement a baissé « ces dernières années, baissé, du fait du bon comportement des Genevois en matière de tri des ordures ménagères. » Elle néglige le vieillissement, et la diminution du nombre d'habitants vivant à l'année dans la ville de Calvin.
A Genève, on peut de surcroit supposer que la gentryfication ne contrebalance pas l'étalement de l'aire urbaine. Ce dernier résulte de l'installation d'anciens résidents ou de personnes qui travaillent dans la ville, à grande distance de celle-ci (rurbanisation). L'encombrement grandissant du réseau routier le suggère. Non seulement ces deux tendances apparemment contraires se juxtaposent, mais la première engendre la seconde. Car des cadres supérieurs semblables à ceux qui gravitent à Paris, Londres, New York ou Tokyo imposent vraisemblablement un niveau de prix pour le foncier et les loyers inaccessibles pour la majorité des habitants du Canton. L'upper class suisse ou française se résout donc à s'installer en périphérie. On peut supposer que le niveau d'imposition lui ôte tout scrupule.
Si l'on s'en tient à cette hypothèse, les normes environnementales conduisent à renforcer la périurbanisation, c'est-à-dire l'allongement des réseaux et des infrastructures, le gaspillage d'énergie et la pollution ; précisément l'inverse du but recherché. L'incinérateur surdimensionné reçoit finalement un tonnage insuffisant de déchets, mais les habitants du bassin genevois viennent pourtant de renoncer à la possibilité d'équilibrer la gestion de l'équipement imaginé comme recours écologique à l'enfouissement des déchets.

PS./ Geographedumonde sur la Suisse : Genevois pas de solutions miracles.

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