vendredi 25 juin 2010

Salade niçoise sauce citron. (De l’écart entre action publique et réalité du risque. L’exemple de Nice)

Le carnaval de Nice ouvert le 18 février ressemble à une veillée d’armes. Il précède de quelques jours le premier tour des élections municipales de 2008 au cours duquel le maire sortant Jacques Peyrat s'oppose à un dissident soutenu par l'UMP, ministre dans le gouvernement de François Fillon. Le premier crie au parricide et s’estime victime d’un complot fomenté par un état-major parisien dans le but de l’abattre, tandis que le second jure de sa bonne foi. Christian Estrosi prétend sauver Nice d'un grand péril. L’ancien motard amateur de vols transatlantiques coûteux désire éviter aux Niçois une troisième législature. Il n’explique pourtant pas pourquoi il n'a ressenti aucune inquiétude à la veille de la réélection de Jacques Peyrat en 2002, ni durant les douze années précédentes. Le protégé de l'Elysée déplore soudain la corruption de l’équipe municipale, la saleté des rues et le manque de logements de la ville [source]. Par une heureuse coïncidence, on peut savourer cette salade niçoise au même moment que la fête du citron !
Pendant ce temps, le Paris – Nice se termine, l'OGC cherche à recruter de nouveaux joueurs et le prince Albert de Monaco lance une campagne pour la protection du thon rouge de Méditerranée, dont les effectifs chutent rapidement. Mais les risques pesant sur l’habitat et les activités humaines de la Côte d’Azur ne suscitent aucun débat électoral, ni ne constituent un sujet pour le journal Nice matin : par peur d'ennuyer les électeurs - lecteurs. Il convient donc de rappeler ici quelques faits tenaces, les multiples fragilités de ce littoral méditerranéen.
Pour l’électricité, les habitants des Alpes Maritimes dépendent à 90 % d’une alimentation extérieure, via une ligne unique à haute tension, sous la menace d’une rupture accidentelle (incendies, tremblement de terre). Les centrales hydroélectriques couvrent 10 % des besoins restants, mais avec des fluctuations en fonction de l'aléa climatique [source]. La CANCA (Communauté d'Agglomération Nice Côte d'Azur) lance néanmoins en fanfare la première turbine hydroélectrique installée sur le réseau d'eau potable communautaire. Fonctionnant à l'aide de l'eau du réservoir du Cap de Croix, dans le quartier de Cimiez (sur les hauteurs de la ville), elle produira en moyenne 170 à 180 kW/h et couvrira les besoins… de 60 foyers [source].
Nice souffre ensuite d’un encombrement chronique. L'augmentation estivale du nombre de voitures liée à la fréquentation touristique contrarie la fluidité de la circulation sur les (rares) axes transversaux. Pendant le reste de l’année, le moindre incident provoque des embouteillages monstres, comme ce fut le cas dans l’après-midi du lundi de Pentecôte 2007, à la suite de la fermeture de l’A8 par les pompiers qui luttaient contre un incendie sur les hauteurs de Monaco et Roquebrune. La mairie a cependant privilégié la construction d’un tramway, qui sillonne désormais la ville après des mois de travaux gênants.
La vulnérabilité de l'agglomération niçoise au risque sismique paraît constituer de la même façon une menace secondaire pour les candidats à la plus haute charge municipale, et un sujet oublié par les médias. Le Plan Local d'Urbanisme qui fixe les détails des projets d'extensions urbaines, et des prochaines sauvegardes – protection du patrimoine ou maintien de l'activité agricole – n’en souffle mot. Or un Plan de Prévention des Risques existe pour le département ; Nice rentre dans la Zone II qui regroupe 120 communes des Alpes Maritimes : 600 à 700.000 habitants directement menacés par un séisme violent, égal ou supérieur à VII sur l’échelle MSK.
Les conclusions des études sismiques menées dans d'autres régions du monde vont généralement dans le même sens : impossibilité d'une prévision exacte, mais prévention possible par une application stricte des normes de constructions et par une sensibilisation des populations. L'urbaniste peut au-delà reconsidérer l'organisation de la ville en fonction des besoins de la sécurité civile ; toutes choses absentes à Nice. A la suite du tremblement de terre de Kobe de 1995, le plan 'Phoenix' a ainsi prévu l'aménagement d'espaces verts et la percée d'axes larges pour la circulation et la prise en charge des blessés. Ces bonnes intentions se heurtent il est vrai au manque de terrains constructibles, dans l'île d'Honshu autant que sur la Côte d'Azur. A Nice, la croissance démographique s'est accompagnée d'un étalement urbain pourtant naturellement contrarié par la mer et par la montagne [carte]. En 1624, la ville demeure fidèle au site médiéval (différent du site antique sur les collines de Cimiez), adossé à un bloc rocheux fortifié – côté est – et limité à l'ouest par le Paillon, le fleuve côtier qui traversait la plaine avant son enfouissement sous la ville. Nice connaît une première phase de croissance au 18ème : la population double entre 1693 et 1790, de 10.000 à 20.000 habitants. La ville croît de nouveau à un rythme soutenu dans le dernier tiers du 19ème siècle, au moment de la Troisième République : 54.000 habitants en 1876, 77.000 en 1886, 94.000 en 1896, 134.000 en 1906 et 135.000 en 1926 [source]. Nice profite à la fois de l'exode rural, du développement des industries et des fonctions administratives, et de l'apparition d'un tourisme international, huppé et hivernal. Pour la dernière fois par la combinaison d'une forte natalité et de l'installation des rapatriés d'Algérie, Nice connaît un nouveau rebond entre 1946 et 1962, la population passant de 210.000 à 293.000 habitants. Le recensement de 1975 correspond à un pic démographique (345.000 habitants à Nice) jamais égalé depuis. Les terrains à bâtir manquent, comme l’illustrent la hausse régulière des prix de l’immobilier.
Au cours des derniers siècles, les Alpes méditerranéennes ont connu plusieurs épisodes sismiques de grande ampleur. Un système de failles parallèles au littoral ligure (Côte d’Azur, Riviera italienne) en marge du massif alpin est ici à l’origine de nombreux foyers de séismes (ou hypocentres) [1]. Dans les limites actuelles du département des Alpes Maritimes, cinq séismes ont fait des ravages (+ de VII sur l’échelle MSK) : en 1348, 1494, 1564, 1618 et 1644. Dans la vallée de la Vésubie (un affluent de rive gauche du Var) se concentrent d’après les chroniqueurs l’essentiel des dégâts. Depuis que l’on mesure leur intensité, plusieurs tremblements de terre supérieurs ou égaux à 5 sur l’échelle de Richter ont aussi frappé le littoral (1936, 1959 ou 1963). [2]
Celui de 1887 demeure sans équivalent dans la période contemporaine : Nice subit d’importantes destructions, en particulier dans les nouveaux quartiers gagnés sur les bords du Paillon et au pied des collines de Cimiez, les parties anciennes ayant mieux résisté. Les ondes sismiques se sont mieux répercutées dans la cuvette d’accumulation alluviale, provoquant davantage de dommages dans les quartiers neufs [azurseisme]. Les sondages géologiques les plus récents visent justement à évaluer la fragilité du bâti et l’éventualité d’une liquéfaction des sols telle qu’observée à Kobe. Il n’en reste pas moins que l’agglomération a envahi toutes les parties basses, recouvrant même la vallée terminale du Paillon (Avenue Jean Médecin). L’extension du premier aéroport français en dehors de la région parisienne a même nécessité l’aménagement d’un polder artificiel, à l’extrémité sud-ouest de la baie, de l’autre côté de la Promenade des Anglais. L’urbanisation n’a pas épargné non plus le lit mineur du Var, lui-aussi soumis au risque de crues soudaines, doté d’un delta sous-marin dont on craint un affaissement générateur de raz-de-marée – risque secondaire à l’occasion d’un tremblement de terre –.
Lorsque l’agglomération s’étend, le risque sismique se dilue mais ses besoins s’accroissent et son réseau se congestionne. Renforcer la ville centre conduit à limiter les effets induits mais repose la question du risque sismique ; ou comment passer de Charybde en Scylla. Il ne faut malheureusement rien attendre de très concluant de la nouvelle équipe, si nouvelle équipe il y a.
PS./ Dernier papier sur le risque sismique : Il n'y a pas de risques naturels dans les déserts.
[1] Cette carte du sous-sol de l'Hexagone [Atlas de France / Reclus (1995) / P.137] indique que les Alpes Maritimes appartiennent visiblement au domaine alpin, représenté par une hachure bleue sur fond blanc (les couleurs violettes et roses correspondent au soubassement primaire / Massif Central, Maures & Esterel, Corse). Le trait noir surmonté de chevrons représente le chevauchement des plaques italiques et européennes.
[2] Cette carte de la sismicité historique [Atlas de France / Reclus (1995) / P.143] localise dans les Alpes du Sud les épicentres (intensité > VI / échelle MSK). Pour les séismes les mieux situés, on trouve un cercle rouge surmonté d'un numéro ; dans le cas contraire, un carré rouge & fond blanc. n° 4 : 1494, n°6 : 1564, n°7 : 1618, n°8 : 1644, n°18 : 1831 et n°21 : 1887. Lambesc apparaît au n°22 (11 juin 1909).

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