jeudi 17 juin 2010

Cigarettes et mitraillettes aux confins algériens. (Des trafics transfrontaliers au Sahara)

Gérard Davet et Piotr Smolar livrent dans le Monde les conclusions d’une d’analyse réalisée par le renseignement français à propos du Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat (GSPC). Les premiers paragraphes donnent de nombreux détails sur l’origine de l’organisation, ses objectifs, et le contexte particulier de l’Algérie : en résumé, l’amnistie prononcée par le président Bouteflika à l’intention des terroristes repentis n’a déclenché aucun miracle.
Ne disposant personnellement d’aucune information confidentielle, je me garderai bien d’ajouter quoi que soit. D’autant que la filiation entre les GIA et le GSPC – rappelée par les deux journalistes – me renvoie à quelques souvenirs concernant l’origine des premiers, les liens découverts tardivement entre ceux-ci et les services algériens, soucieux de rendre crédible l’interdiction du FIS en 1991 en fomentant eux-mêmes des troubles. Je garde de l’amertume, parce que j’ai moi-même succombé à l’époque à cette pensée conforme qui justifiait (de part et d’autre de la Méditerranée) les exactions policières décidées à Alger au nom de la lutte contre les barbus assassins. Sous la table des diplomates et des militaires règneront toujours les coups bas : les erreurs d’hier semblent en tout cas avoir la vie dure… « Les Touaregs, qui représentent 80 % de la population dans le nord du Mali, sont entrés en conflit ouvert avec le GSPC. Ils reçoivent une aide logistique des services algériens, et même américains. » J’ai donc renoncé à démêler le vrai du faux dans ce genre d’affaire, pour tenter de m’attaquer à l’intangible.
D’abord l’histoire. La France officiellement séparée de l’Algérie depuis quarante-quatre ans, envoie son ministre de l’Intérieur mais n’obtient même pas la liste des anciens prisonniers bénéficiant de l’amnistie, et circulant librement dans la nature. Les termes de l’article décrivent l’organisation salafiste en 2006, mais les plus anciens reconnaîtront une vieille musique : « cellule d’Alger », « émir », « neuf régions », « attentats dans la banlieue d’Alger », « katibats », « frontières »…
Du point de vue géographique, la carte [ici] balaie les idées préconçues sur les pseudo - frontières extérieures de l’Algérie, qui recoupent le désert algérien au sud de l’Atlas. 4 000 kilomètres de champs de dunes (ergs) ou d’étendues pierreuses (regs) : autant dire l’infini. Sur une distance moindre de moitié – la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis – les Américains peinent à endiguer la migration des clandestins. Et les autorités algériennes prétendent exercer un contrôle strict de ses confins sahariens ? L’armée française en sait quelque chose. Les autorités maliennes ou mauritaniennes ont quant à elles depuis longtemps abdiqué.
Ainsi, les nomades continuent à pérégriner – la répartition des Touaregs et/ou Berbères colle à l’organisation physique et non politique du Maghreb –. Ils vivent en théorie de l’élevage. Mais si l’on en croit les sources de Gérard Davet et de Piotr Smolar, le commerce rapporte bien davantage. L’un des émirs du GSPC, « Abid Hamadou, chef du katibat Tariq ibn Ziad, voulait acquérir des AK-47, des mitrailleuses, des obus de mortiers, des roquettes ainsi que 1 000 grenades. » Comment des chèvres ou des chameaux suffiraient-ils à financer les groupes terroristes ?
Admettons qu’aucun argent extérieur ne leur parvienne. Les journalistes du Monde expliquent eux-mêmes que le GSPC essaie de renouer avec d’« anciens sympathisants, en France, en Italie et en Allemagne, qui avaient pris leurs distances pour se consacrer à divers trafics (vêtements, cigarettes, voitures, drogues). » Qu’en est-il des filières de migrants clandestins ? Comme la meilleure des reconversions consiste à effectuer le même travail pour son propre compte, on peut supposer que les groupes terroristes gagnent beaucoup d’argent en trafiquant, grâce à la politique de prohibition menée par les Etats européens qui fait monter les prix sur le marché au noir.
Je terminerai donc par l’exemple de la cigarette (que je n’allume jamais). Voyez ce tableau. Le coût de fabrication d’une cigarette par un industriel américain s’élève à 0,013 $ l’unité. Sachant qu’une cigarette est vendue en France 0,19 $ [0,25 €], le trafiquant peut potentiellement multiplier par 14,6 son investissement de départ en vendant sa marchandise au prix des buralistes. Trafic de cigarettes juteux.

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