« Comment être heureux en dix leçons » On trouvera sous ce titre un article du New York Times [*] consacré au développement dans les universités américaines d'une nouvelle discipline, et non au mariage de B. et L. . La psychologie positive se propose de formaliser le bonheur ; ni plus ni moins.
Dans le cours théorique, on trouve un chapitre consacré à l'optimisme, un à la gratitude, un à la pleine conscience [je reprends l'expression telle que traduite, sans savoir ce qu'elle revet], un à l'espoir et un autre à la spiritualité. Ainsi, à l'université George Mason de Virginie, l'enseignant commence par expliquer à l'assistance la différence entre se sentir bien et faire le bien. Dans le premier cas, l'étudiant doit comprendre qu'il s'agit d'un plaisir aussi passager qu'insatisfaisant. Etonnant.
Les étudiants sont ensuite invités à mettre en application ce qu'ils ont entendu ; les exercices pratiques appelés « devoirs expérentiels » sont conçus comme des étapes sur une route vers le bien-être. L'un a donné son sang, l'autre a collecté des vêtements pour une bonne oeuvre. Un dernier se vante d'avoir octroyé un généreux pourboire. Quelques jours plus tard, le journaliste soupçonneux se demande s'il ne s'agit tout simplement pas d'un cours de morale. L'enseignant lui rétorque que son ambition est ailleurs ; il veut démontrer qu'« il y a des façons de vivre dont les études montrent qu'elles ont des effets plus positifs. »
En Virginie, parmi les étudiants entendus par le journaliste, l'un raconte avoir touché au but en boxant, son voisin en se rendant sur la tombe de son père, un autre en discutant devant la télévision en compagnie d'un ami. Les temps de méditation personnelle doivent ponctuer les exercices pratiques, qui ressemblent à des séances de yoga ; à l'issue, « Certains [étudiants] ont dit qu'ils avaient remarqué pour la première fois la profusion d'essences d'arbres différentes qu'il y avait sur le chemin du campus. » Eblouissant.
Plus de deux cents universités proposeraient un cours de psychologie positive, jusqu'à Harvard. Dans cette dernière, 855 étudiants ont opté au second semestre 2006 pour l'introduction à la psychologie positive ; plus qu'aucune autre matière. Le journaliste relève qu'elle bénéficie d'une très bonne image, mais note qu'elle est réputée facile à valider en fin de semestre. Quant à l'évaluation finale du cours, seuls 23 % des étudiants reconnaissent un mieux dans leur vie grâce à la psychologie positive : cela signifie donc que 77 % demeurent sceptiques.
Pour étayer son enquête, le journaliste a rencontré l'un des fondateurs de cette nouvelle discipline, et son principal fer de lance, Martin Seligman. C'est sa fille Niki, âgée de 5 ans à l'époque, qui lui en a soufflé les rudiments. Celle-ci lui reprochait d'être constamment irrité alors qu'en retour, il ne supportait pas de l'entendre pleurnicher. « Si j'ai pu arrêter de pleurnicher, tu peux sûrement arrêter de râler tout le temps. » Et soudain, le grand esprit, l'universitaire qui avait travaillé pendant des décennies sur les dépressions nerveuses a choisi de s'orienter dans une nouvelle direction : « trouver ce qui fait que la vie vaut d'être vécue. » En 1998, Seligman réunit alors un premier cercle de confrères dans le sud du Mexique. Là, les pieds dans l'eau bleutée des Caraïbes, ils passent au crible les grandes religions et coutumes du monde. Ils dressent une liste de 24 points saillants, qu'ils dénomment vertus, dont le courage, la modestie, la spiritualité ou encore la capacité d'être un leader. Quelques mois passent et les adeptes pointent bientôt, universitaires qui à leur tour élargissent le premier champ d'investigation. S'ensuivent des publications, et un premier congrès à Washington en 2006 de psychologie positive. Des professionnels accourent, tels les coachs de vie qui vendent des conseils personnalisés à des clients prêts à payer ou des enseignants du supérieur encore ignorants de la discipline naissante.
Les uns et les autres s'inspirent d'études ponctuelles qui ne démontrent rien, comme celle mettant en rapport le sourire d'étudiantes californiennes prises en photo dans les années 1950 avec leur indice de satisfaction de vie actuel : un large sourire figé sur le papier jauni annoncerait des femmes satisfaites de leur vie de couple, avec « un niveau de bien-être élevé ». Analyse finale du journaliste : « la psychologie positive convient bien à notre époque troublée : elle prêche des valeurs sans les associer à un système de valeurs en particulier, et incorpore la spiritualité sans obliger quiconque à embrasser une religion. » C'est dans un lycée de Strath Haven, près de Philadelphie qu'une nouvelle étape a été franchie, qui vise à associer l'enseignement de la psychologie positive au cours de littérature. Les intervenants « contrebalancent » tout ce que peut contenir de sombre telle ou telle œuvre classique. Le promoteur de cette innovation explique que la compréhension de la littérature et de la complexité humaine passe évidemment au second plan, mais – dit-il – « mieux vaut être heureux que ne pas l'être ». « Si vous n'êtes pas optimiste, faites semblant ; si vous n'avez pas d'amis, faites-vous en. » Pourquoi ne pas extrapoler ? On pourrait imaginer la marquise de Merteuil en carmélite ou encore madame Bovary en clown.
Au seuil de cet épitre, vous imaginez bien que l'impatience cotoie en moi l'inquiétude : quand bénéficierons-nous enfin de cours de psychologie positive sur le Vieux Continent, dans nos universités qui jadis surent en finir avec les obscurités de la théologie ? Bienvenue à la philosophie rigolote, aux mathématiques sans chiffres, à l'histoire - version Petite maison dans la prairie, et à la géographie façon drapeaux et capitales. Pour notre enseignement supérieur qui porte si bien et de mieux en mieux ce qualificatif, je me réjouis déjà. En attendant, il faudra ronger son frein. Et vous qui n'avez pas suivi de formation en psychologie positive, chers B. et L., comment vous en sortirez-vous ? Je crains que vous ne succombiez à une vieille lubie, un bonheur qui dépendrait de la transcendance, un mariage engageant deux époux de sexes opposés de façon irréversible... Si par hasard vous persistiez - quelle bien funeste perspective - et que par le plus grand des hasards, vous parveniez à être heureux, sachez quand même que je partagerai ce sentiment !
J'écrirai alors "comment être heureux sans avoir suivi aucun cours."
Dans le cours théorique, on trouve un chapitre consacré à l'optimisme, un à la gratitude, un à la pleine conscience [je reprends l'expression telle que traduite, sans savoir ce qu'elle revet], un à l'espoir et un autre à la spiritualité. Ainsi, à l'université George Mason de Virginie, l'enseignant commence par expliquer à l'assistance la différence entre se sentir bien et faire le bien. Dans le premier cas, l'étudiant doit comprendre qu'il s'agit d'un plaisir aussi passager qu'insatisfaisant. Etonnant.
Les étudiants sont ensuite invités à mettre en application ce qu'ils ont entendu ; les exercices pratiques appelés « devoirs expérentiels » sont conçus comme des étapes sur une route vers le bien-être. L'un a donné son sang, l'autre a collecté des vêtements pour une bonne oeuvre. Un dernier se vante d'avoir octroyé un généreux pourboire. Quelques jours plus tard, le journaliste soupçonneux se demande s'il ne s'agit tout simplement pas d'un cours de morale. L'enseignant lui rétorque que son ambition est ailleurs ; il veut démontrer qu'« il y a des façons de vivre dont les études montrent qu'elles ont des effets plus positifs. »
En Virginie, parmi les étudiants entendus par le journaliste, l'un raconte avoir touché au but en boxant, son voisin en se rendant sur la tombe de son père, un autre en discutant devant la télévision en compagnie d'un ami. Les temps de méditation personnelle doivent ponctuer les exercices pratiques, qui ressemblent à des séances de yoga ; à l'issue, « Certains [étudiants] ont dit qu'ils avaient remarqué pour la première fois la profusion d'essences d'arbres différentes qu'il y avait sur le chemin du campus. » Eblouissant.
Plus de deux cents universités proposeraient un cours de psychologie positive, jusqu'à Harvard. Dans cette dernière, 855 étudiants ont opté au second semestre 2006 pour l'introduction à la psychologie positive ; plus qu'aucune autre matière. Le journaliste relève qu'elle bénéficie d'une très bonne image, mais note qu'elle est réputée facile à valider en fin de semestre. Quant à l'évaluation finale du cours, seuls 23 % des étudiants reconnaissent un mieux dans leur vie grâce à la psychologie positive : cela signifie donc que 77 % demeurent sceptiques.
Pour étayer son enquête, le journaliste a rencontré l'un des fondateurs de cette nouvelle discipline, et son principal fer de lance, Martin Seligman. C'est sa fille Niki, âgée de 5 ans à l'époque, qui lui en a soufflé les rudiments. Celle-ci lui reprochait d'être constamment irrité alors qu'en retour, il ne supportait pas de l'entendre pleurnicher. « Si j'ai pu arrêter de pleurnicher, tu peux sûrement arrêter de râler tout le temps. » Et soudain, le grand esprit, l'universitaire qui avait travaillé pendant des décennies sur les dépressions nerveuses a choisi de s'orienter dans une nouvelle direction : « trouver ce qui fait que la vie vaut d'être vécue. » En 1998, Seligman réunit alors un premier cercle de confrères dans le sud du Mexique. Là, les pieds dans l'eau bleutée des Caraïbes, ils passent au crible les grandes religions et coutumes du monde. Ils dressent une liste de 24 points saillants, qu'ils dénomment vertus, dont le courage, la modestie, la spiritualité ou encore la capacité d'être un leader. Quelques mois passent et les adeptes pointent bientôt, universitaires qui à leur tour élargissent le premier champ d'investigation. S'ensuivent des publications, et un premier congrès à Washington en 2006 de psychologie positive. Des professionnels accourent, tels les coachs de vie qui vendent des conseils personnalisés à des clients prêts à payer ou des enseignants du supérieur encore ignorants de la discipline naissante.
Les uns et les autres s'inspirent d'études ponctuelles qui ne démontrent rien, comme celle mettant en rapport le sourire d'étudiantes californiennes prises en photo dans les années 1950 avec leur indice de satisfaction de vie actuel : un large sourire figé sur le papier jauni annoncerait des femmes satisfaites de leur vie de couple, avec « un niveau de bien-être élevé ». Analyse finale du journaliste : « la psychologie positive convient bien à notre époque troublée : elle prêche des valeurs sans les associer à un système de valeurs en particulier, et incorpore la spiritualité sans obliger quiconque à embrasser une religion. » C'est dans un lycée de Strath Haven, près de Philadelphie qu'une nouvelle étape a été franchie, qui vise à associer l'enseignement de la psychologie positive au cours de littérature. Les intervenants « contrebalancent » tout ce que peut contenir de sombre telle ou telle œuvre classique. Le promoteur de cette innovation explique que la compréhension de la littérature et de la complexité humaine passe évidemment au second plan, mais – dit-il – « mieux vaut être heureux que ne pas l'être ». « Si vous n'êtes pas optimiste, faites semblant ; si vous n'avez pas d'amis, faites-vous en. » Pourquoi ne pas extrapoler ? On pourrait imaginer la marquise de Merteuil en carmélite ou encore madame Bovary en clown.
Au seuil de cet épitre, vous imaginez bien que l'impatience cotoie en moi l'inquiétude : quand bénéficierons-nous enfin de cours de psychologie positive sur le Vieux Continent, dans nos universités qui jadis surent en finir avec les obscurités de la théologie ? Bienvenue à la philosophie rigolote, aux mathématiques sans chiffres, à l'histoire - version Petite maison dans la prairie, et à la géographie façon drapeaux et capitales. Pour notre enseignement supérieur qui porte si bien et de mieux en mieux ce qualificatif, je me réjouis déjà. En attendant, il faudra ronger son frein. Et vous qui n'avez pas suivi de formation en psychologie positive, chers B. et L., comment vous en sortirez-vous ? Je crains que vous ne succombiez à une vieille lubie, un bonheur qui dépendrait de la transcendance, un mariage engageant deux époux de sexes opposés de façon irréversible... Si par hasard vous persistiez - quelle bien funeste perspective - et que par le plus grand des hasards, vous parveniez à être heureux, sachez quand même que je partagerai ce sentiment !
J'écrirai alors "comment être heureux sans avoir suivi aucun cours."
Jazeneuil / XXV août MMVII.
[*] Voir supplément du Courrier International n°874 - 875 - 876 / Du 2 au 22 août 2007 / P.15 / "Comment être heureux en dix leçons" / D.T. Max.
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