Dans un article d’El Mundo intitulé Les beaux jours du narcotrafic, (voir Courrier International), il y a de quoi méditer sur le regard que les Européens portent sur le Maghreb en général, et sur le Maroc en particulier. Cette interprétation fallacieuse de l’éloignement ponctue jusqu’aux discours : on parle des “liens qui unissent” l’Europe et l’Afrique du nord, de ce qu’il y a de commun “entre les deux rives de la Méditerranée” ; étant sous- entendu qu’un quasi océan nous sépare. Cette distance sous-entendue s’enrichit parfois de clichés exotiques : le désert, les muezzins, les palmiers, etc. Ces éléments constituent le décor d’un ailleurs de pacotille. Qu’importe si l’on trouve ces traits de paysages en Andalousie !Ali Lmrabet veut indiquer dans son article que le cannabis rapporte beaucoup d’argent aux montagnards marocains, et bien plus encore aux réseaux de trafiquants. Ceux-ci bénéficient d’une impunité garantie par des appuis au plus haut niveau de l’Etat. Le journaliste décrit comment les opérations de police ne parviennent pas à venir à bout du fléau. Pour lui - il s’appuie sur le ressenti des Marocains qu’il a rencontrés - la lutte contre la drogue obéit surtout à des impératifs de politique intérieure. Le régime met en scène les forces de l’ordre pour des “purges cycliques” censées augmenter sa popularité, “glorifier le travail du gouvernement“.L’article se termine par le renvoi à un rapport datant de 1996 et émanant de l’Observatoire géopolitique des Drogues. Celui-ci établissait des “liens étroits existant entre de hauts responsables du pouvoir et les narcotraficants“. Ali Lmrabet saisit cette dernière occasion pour rappeler que le monarque de l’époque - Hassan II - n’avait guère apprécié ce rapport et tenté d’en empêcher la diffusion. Le pouvoir éloigne les puissants des plus humbles, il corrompt ; saisissante nouveauté.Mais pourquoi le cannabis pousse-t-il si facilement au Maroc, dans ce pays apparemment si sec ? La montagne marocaine (ici) bloque au contraire les influences océaniques ; dans un environnement extérieur marqué par le manque d’eau, les reliefs reçoivent des précipitations qui dépassent même les standards de l’Europe océanique. De l’eau et de la chaleur : le cannabis ne demande rien de plus. Les surfaces cultivées ne cessent de s’étendre depuis les années 80 (voir rapport), à l’époque de la movida en Espagne qui suit la mort de Franco, à la période durant laquelle l’Espagne rattraper son retard économique et intègre la CEE (1986).Les réseaux de drogues se développent grâce aux consommateurs européens. Mais la demande préexiste. Une chose est nouvelle : l’augmentation des personnes susceptibles de véhiculer les marchandises, clandestins payant cher leur transbordement illégal vers l’Europe. Dans les années 1990, l’économie espagnole manque justement de main d’oeuvre faiblement qualifiée et mal payée, ouvriers bientôt employés ici dans les serres à tomates, là dans le BTP. Et puis les montagnards - en particulier ceux du Rif - se trouvent à quelques (dizaines de) kilomètres de la frontière terrestre entre le Maroc et l’Espagne (enclaves de Ceuta et de Melilla). Un peu plus à l’ouest à Gibraltar, seulement quatorze kilomètres séparent l’Europe de l’Afrique.Le “ouf ! C’est loin de chez nous” me laisse rêveur.
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