A l’occasion du trois – centième anniversaire de l’Acte d’Union des Parlements d’Edimbourg et de Londres, le correspondant du Monde relate l’événement en privilégiant l’actualité la plus récente. Dans le titre même apparaît le mot couple ; le mot désamour est utilisé dans le texte. Bien au contraire, l’union entre l’Angleterre et l’Ecosse entérinait à l’époque une démarche de logique et de raison. Elle n’officialisait pas un amour entre les deux nations. Que signifie ce type de personnalisation ? Pas plus que l’Angleterre l’Ecosse ne constitue un être doué d’intelligence et mu par des sentiments…
Avant de reformuler les questions une nouvelle fois soulevées par le réveil en Europe d’un national – régionalisme – voir ici deux liens avec des papiers récents sur la Catalogne et la Wallonie – je relève que l’article du Monde présente une importante lacune. Celle-ci en dit long sur l’ignorance complète des Français sur l’histoire anglaise. Or la fin du XVIIème et le début du XVIIIème siècles correspond à une période essentielle : non seulement pour le Royaume Uni, mais au-delà, dans la grande histoire de l’Occident.
Cette fenêtre historique s’étend de la grande peste à Londres (1666) suivie de la fin des guerres contre la Hollande (1674) jusqu’au milieu de la décennie 1710 : instauration de la maison de Hanovre [George Ier (1714 – 1727)] et en France, mort de Louis XIV. Pendant près de quarante ans, l’Angleterre (bientôt rejointe par l’Ecosse) devient avant toutes les autres une monarchie parlementaire ; les Français en connaissent une variante aseptisée un siècle et demi plus tard, à partir de 1830 avec le roi Louis-Philippe. Sous l’autorité des derniers Stuart – Charles II, Jacques II puis sa fille Anne – et de Guillaume d’Orange, l’Angleterre connaît une révolution en douceur. Bien sûr, les querelles dynastiques ont affaibli la monarchie anglaise et précipité la montée en puissance du Parlement de Londres. Mais le pays change d’ère sans que le sang ne coule, bénéficie d’une paix religieuse relative garantie par des souverains officieusement catholiques (Jacques II). Il évite dans ce même laps de temps la guerre civile à l’intérieur, et les guerres continentales à l’extérieur.
En mai 1679, le décret de l’Habeas Corpus protège désormais le citoyen contre l’arbitraire du prince en interdisant l’arrestation d’un innocent présumé et l’utilisation de la question. Le Parlement se transforme, d’une simple chambre d’enregistrement en un lieu de débat contradictoire, dont la majorité soutient ou au contraire fait tomber le gouvernement. Des deux principaux partis naissants, tories et whigs, le second tire son nom des jacqueries écossaises. En 1689, la Bill of Rights approuvée par Guillaume III fige jusqu’à aujourd’hui le caractère constitutionnel de la monarchie anglaise. Le monde contemporain naît de cette période… La question écossaise ne représente donc qu’un élément quasi anecdotique de cette histoire. Et l’Acte d’Union ne dissout même pas l’Ecosse : l’Acte d’établissement (en 1701) stipule par exemple que le souverain anglais doit protéger l’Eglise presbytérienne d’Ecosse au même titre que l’Eglise anglicane d’Angleterre.
De ce long prologue, il reste la question centrale de l’indépendance de l’Ecosse, telle que présentée par Marc Roche. Le journaliste affirme que les indépendantistes pèsent d’un poids grandissant, et que le nouveau Parlement ne provoque pas d’enthousiasme parmi les 5 millions d’habitants que compte le royaume. La dévolution – qui constitue une version locale de la décentralisation française – provoquerait même « un certain désenchantement des deux côtés de la rivière Tweed. » L’article se termine par un sondage : « 56 % des Ecossais contre 73 % des Anglais souhaitent rester dans le Royaume-Uni. Ils ne sont que 32 % en Ecosse à être favorables à une fracture ethnique au plan national. »
Il reste au géographe à replacer quelques lignes directrices. Comment peut-on distinguer un Ecossais d’un Anglais, si ce n’est par le nom de famille ? Or ce dernier ménage des pièges, en cachant souvent des ascendances non locales. La langue ne peut constituer une grille discriminatoire, car un pour cent seulement des habitants parle le gaélique (dans les îles occidentales) et moins d’un tiers comprend, à défaut de les parler, les dialectes des Lowlands – parmi lesquels le scot –.
L’Ecossais rural ne constitue presque qu’une curiosité touristique dans un pays où 90 % de la population est citadine. A l’inverse, presque un habitant du royaume sur trois vit entre les deux rias (Firths) de la Forth à l’est et de la Clyde à l’ouest, c’est-à-dire dans les deux aires urbaines d’Edimbourg et de Glasgow. En ajoutant les trois autres grands ports de Dundee, Aberdeen et Inverness (le plus septentrional), on englobe la moitié de la population habitant en Ecosse. Qu’a-t-elle de spécifique ?
Au plan alimentaire, l’Ecosse dépend entièrement du reste de la Grande-Bretagne, ou du continent. L’imbrication économique de l’Ecosse dans un ensemble géographique plus large ne s’arrête pas à cet aspect. Marc Roche ne s’y trompe pas : le contexte économique favoriserait moins qu’il y a une vingtaine d’années le camp des indépendantiste : « Avec la réduction du pétrole de la mer du Nord, les transferts financiers de Londres vers l’Ecosse ont pratiquement doublé entre 1999 et 2006. En raison d’un mode de répartition de l’impôt biaisé en faveur de l’Ecosse, les dépenses publiques en matière de santé, éducation ou transport y sont de 22 % plus élevées qu’en Angleterre. »
Quelques suppositions viennent éclairer le vote indépendantiste écossais : l’Angleterre ne représente plus sans doute le modèle de référence, la possibilité de servir dans une armée ou une administration coloniales prestigieuses ayant disparu. Certes, le boom du pétrole dans les années 1980 a probablement ouvert des perspectives nouvelles en Ecosse, sur la capacité de l’économie locale à « voler de ses propres ailes ». Mais n’y a-t-il pas plus insidieusement le rejet d’une Angleterre londonienne, cosmopolite et bigarrée, d’une monarchie anglaise vilipendée pour son immoralité, sa tiédeur protestante ? Et au fond, que proposent de constructif les indépendantistes du SNP : le retour aux clans, aux 650 tartans… ? Echos laids d’Ecosse.
Avant de reformuler les questions une nouvelle fois soulevées par le réveil en Europe d’un national – régionalisme – voir ici deux liens avec des papiers récents sur la Catalogne et la Wallonie – je relève que l’article du Monde présente une importante lacune. Celle-ci en dit long sur l’ignorance complète des Français sur l’histoire anglaise. Or la fin du XVIIème et le début du XVIIIème siècles correspond à une période essentielle : non seulement pour le Royaume Uni, mais au-delà, dans la grande histoire de l’Occident.
Cette fenêtre historique s’étend de la grande peste à Londres (1666) suivie de la fin des guerres contre la Hollande (1674) jusqu’au milieu de la décennie 1710 : instauration de la maison de Hanovre [George Ier (1714 – 1727)] et en France, mort de Louis XIV. Pendant près de quarante ans, l’Angleterre (bientôt rejointe par l’Ecosse) devient avant toutes les autres une monarchie parlementaire ; les Français en connaissent une variante aseptisée un siècle et demi plus tard, à partir de 1830 avec le roi Louis-Philippe. Sous l’autorité des derniers Stuart – Charles II, Jacques II puis sa fille Anne – et de Guillaume d’Orange, l’Angleterre connaît une révolution en douceur. Bien sûr, les querelles dynastiques ont affaibli la monarchie anglaise et précipité la montée en puissance du Parlement de Londres. Mais le pays change d’ère sans que le sang ne coule, bénéficie d’une paix religieuse relative garantie par des souverains officieusement catholiques (Jacques II). Il évite dans ce même laps de temps la guerre civile à l’intérieur, et les guerres continentales à l’extérieur.
En mai 1679, le décret de l’Habeas Corpus protège désormais le citoyen contre l’arbitraire du prince en interdisant l’arrestation d’un innocent présumé et l’utilisation de la question. Le Parlement se transforme, d’une simple chambre d’enregistrement en un lieu de débat contradictoire, dont la majorité soutient ou au contraire fait tomber le gouvernement. Des deux principaux partis naissants, tories et whigs, le second tire son nom des jacqueries écossaises. En 1689, la Bill of Rights approuvée par Guillaume III fige jusqu’à aujourd’hui le caractère constitutionnel de la monarchie anglaise. Le monde contemporain naît de cette période… La question écossaise ne représente donc qu’un élément quasi anecdotique de cette histoire. Et l’Acte d’Union ne dissout même pas l’Ecosse : l’Acte d’établissement (en 1701) stipule par exemple que le souverain anglais doit protéger l’Eglise presbytérienne d’Ecosse au même titre que l’Eglise anglicane d’Angleterre.
De ce long prologue, il reste la question centrale de l’indépendance de l’Ecosse, telle que présentée par Marc Roche. Le journaliste affirme que les indépendantistes pèsent d’un poids grandissant, et que le nouveau Parlement ne provoque pas d’enthousiasme parmi les 5 millions d’habitants que compte le royaume. La dévolution – qui constitue une version locale de la décentralisation française – provoquerait même « un certain désenchantement des deux côtés de la rivière Tweed. » L’article se termine par un sondage : « 56 % des Ecossais contre 73 % des Anglais souhaitent rester dans le Royaume-Uni. Ils ne sont que 32 % en Ecosse à être favorables à une fracture ethnique au plan national. »
Il reste au géographe à replacer quelques lignes directrices. Comment peut-on distinguer un Ecossais d’un Anglais, si ce n’est par le nom de famille ? Or ce dernier ménage des pièges, en cachant souvent des ascendances non locales. La langue ne peut constituer une grille discriminatoire, car un pour cent seulement des habitants parle le gaélique (dans les îles occidentales) et moins d’un tiers comprend, à défaut de les parler, les dialectes des Lowlands – parmi lesquels le scot –.
L’Ecossais rural ne constitue presque qu’une curiosité touristique dans un pays où 90 % de la population est citadine. A l’inverse, presque un habitant du royaume sur trois vit entre les deux rias (Firths) de la Forth à l’est et de la Clyde à l’ouest, c’est-à-dire dans les deux aires urbaines d’Edimbourg et de Glasgow. En ajoutant les trois autres grands ports de Dundee, Aberdeen et Inverness (le plus septentrional), on englobe la moitié de la population habitant en Ecosse. Qu’a-t-elle de spécifique ?
Au plan alimentaire, l’Ecosse dépend entièrement du reste de la Grande-Bretagne, ou du continent. L’imbrication économique de l’Ecosse dans un ensemble géographique plus large ne s’arrête pas à cet aspect. Marc Roche ne s’y trompe pas : le contexte économique favoriserait moins qu’il y a une vingtaine d’années le camp des indépendantiste : « Avec la réduction du pétrole de la mer du Nord, les transferts financiers de Londres vers l’Ecosse ont pratiquement doublé entre 1999 et 2006. En raison d’un mode de répartition de l’impôt biaisé en faveur de l’Ecosse, les dépenses publiques en matière de santé, éducation ou transport y sont de 22 % plus élevées qu’en Angleterre. »
Quelques suppositions viennent éclairer le vote indépendantiste écossais : l’Angleterre ne représente plus sans doute le modèle de référence, la possibilité de servir dans une armée ou une administration coloniales prestigieuses ayant disparu. Certes, le boom du pétrole dans les années 1980 a probablement ouvert des perspectives nouvelles en Ecosse, sur la capacité de l’économie locale à « voler de ses propres ailes ». Mais n’y a-t-il pas plus insidieusement le rejet d’une Angleterre londonienne, cosmopolite et bigarrée, d’une monarchie anglaise vilipendée pour son immoralité, sa tiédeur protestante ? Et au fond, que proposent de constructif les indépendantistes du SNP : le retour aux clans, aux 650 tartans… ? Echos laids d’Ecosse.
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