mercredi 23 juin 2010

De la croissance des prix de l’immobilier au risque de crue (essai sur la pénurie artificielle)

Dans un papier écrit à la fin du mois de novembre dernier, j’échafaudai l’hypothèse d’une révolution de l’urbanisme à Paris. Les constructions en hauteur sont la seule parade à la situation de pénurie de biens immobiliers, expliquai-je alors. Un article d’Isabelle Rey-Lefebvre m’incite aujourd’hui à reprendre le fil, d’autant qu’une conversation avec un collègue économiste – par ailleurs éminent blogueur – m’a apporté quelques munitions théoriques ; qu’il en soit remercié ! Les prix très élevés de l’immobilier constituent le point de départ de la réflexion. Ils révèlent une situation de pénurie artificielle de logements, à l’opposé d’une situation souvent présentée comme résultant de mécanismes naturels ; à tort.
La courbe ascendante des prix illustre la tension de la demande sur l’offre. Or plusieurs facteurs conditionnent l’évolution de la demande. Comme dans l’ensemble du monde occidental, la population française s’est considérablement enrichie depuis un demi-siècle. Cette moyenne se retrouve dans les chiffres de croissance annuelle du Produit Intérieur Brut (PIB), même si elle ne doit pas faire oublier, pour une minorité, la stagnation ou la détérioration de leur niveau de vie.
Les Français ont dans le même temps changé de modèle dominant. Abhorrant la terre et les propriétés agricoles qu’ils avaient des siècles durant adorées, ils se sont convertis en une génération et plébiscitent l’habitat urbain qui se caractérise néanmoins par un nombre de logements limité et par un espace contraint. La taille des familles diminue, l’âge moyen recule au fur et à mesure de l’augmentation de l’espérance de vie. Ce dernier point compte tout particulièrement, car il permet de comprendre le retour en grâce de la rente, du capital réputé sûr, basé sur l’achat d’un patrimoine foncier et / ou immobilier.
A ce niveau de la démonstration, deux propositions doivent passer au crible de la critique. La première est l’argument rebattu de l’impact des étrangers – acheteurs qui pousseraient les prix en France à la hausse : tous les pays occidentaux connaissent peu ou prou la même situation ; il est vrai que la xénophobie a malheureusement bon dos dans notre pays lorsqu’il s’agit de riches. Ramenons également à de plus justes proportions l’influence de l’éclatement de la bulle boursière au début de la décennie. Le mouvement haussier a commencé bien avant (début des années 1990) et n’a pas cessé avec le relèvement des cours de bourse.
Mais, pour compléter le bilan de la demande (et aboutir à la notion de pénurie artificielle), il convient de ne pas négliger un autre intervenant extérieur, l’Etat. Car de façon très officielle, les gouvernements ont poussé à la roue, avec une continuité dans la politique fiscale. Endettez-vous, achetez, faites des travaux… Et vous paierez moins d’impôts : tel est le message envoyé par l’Etat depuis près de vingt ans aux Français. La défiscalisation intervient à plusieurs niveaux, et se présente au contribuable sous la forme de dégrèvements d’impôts ou d’abaissements des taxes. Or en France, on compte davantage de propriétaires de leurs logements que de locataires ; d’où le caractère paradoxal de ces articles – celui cité du Monde n’échappe pas à la règle – présentant sous un jour catastrophique un phénomène de hausse des prix qui convient à la majorité des Français !
Il reste que la notion de pénurie artificielle ne peut se comprendre sans un bref commentaire sur une offre depuis longtemps figée. Les chiffres du ministère du Logement indiquent pourtant qu’en 2006, l’industrie du bâtiment a atteint des records. Il n’y a cependant pas de contradiction. Derrière l’étiquette logements construits , il faut voir des maisons individuelles à (+ ou –) 100 000 € situées en périphérie (+ ou –) lointaine des cœurs d’agglomérations. Dans les communes – centres ou même à l’intérieur des agglomérations françaises en revanche, on ne construit pas… Ou très peu. Les Français – exprimés en tout cas par leur vote – ont exigé une fossilisation du bâti dans ces zones bien délimitées. Les propriétaires concernés ne peuvent que s’en féliciter ! Charité bien ordonnée commence par soi-même.
Il y a là au passage discussion entre l’économiste et le géographe. Il me semble en partie justifiable de limiter la circulation routière – autre mécanisme de restriction de l’offre, explique l’économiste – et plus encore de préserver un paysage urbain situé dans les parties anciennes et centrales des agglomérations. Mais les secteurs concernés restent limités, au contraire des dizaines de milliers d’hectares de quartiers péricentraux, et de banlieues (pour l’heure) définitivement figés et interdits de constructions d’immeubles… Par privilège, et sans aucun rapport avec une logique paysagère ou de restauration – entretien du patrimoine !
En conclusion, Isabelle Rey-Lefebvre apporte de nombreux cas de prix de ventes extravagants, à défaut de dénoncer la collusion de tous les intéressés. « En cinq ans, selon les chiffres notariaux, le prix au mètre carré des appartements s’est apprécié de 82 % en Ile-de-France, de 114 % en Provence-Alpes-Côte-d’Azur et de 103,4 % en Rhône-Alpes. Certaines transactions se sont signées à des prix hallucinants : une maison de neuf pièces au Cap-d’Ail (Alpes-Maritimes), à 15 millions d’euros, a trouvé un acheteur étranger ; un appartement de 100 mètres carrés, à Cannes, a été vendu 23 000 euros le mètre - carré. Les appartements de la station de Courchevel (Savoie) atteignent en moyenne 8 870 euros le mètre - carré… »
Elle démonte – je l’en remercie – le miroir aux alouettes de l’allongement de la durée de l’emprunt… Pour un couple gagnant entre 2 000 et 3 000 € par mois, et primo – accédant, il faut en effet emprunter « selon le site meilleurtaux.com, 134.000 euros sur vingt ans, 151 000 euros sur vingt-cinq ans ou 161 000 euros sur trente ans. » La mensualité s’élève à 850 euros par mois.
La pénurie artificielle provoque enfin une situation tout à fait bien décrite dans l’article. Les temps de trajet s’accroissent, provoquant un gaspillage d’énergie, et des pertes de temps gigantesques. La journaliste cite un notaire du Rhône qui analyse autrement la situation des Lyonnais : ceux-ci « découvrent Saint Etienne, qui est reliée à Lyon par le train en quarante minutes, au rythme de trois fois par heure, et qui, à un prix moyen de 1 190 euros le mètre - carré, recèle un grand potentiel de hausse ».
Les zones inondables se bâtissent enfin, presque au même rythme que leurs voisines. Mais Isabelle Rey-Lefebre n’en souffle mot : « à condition d’accepter de s’éloigner de 15 à 20 km des centres-villes, cela permet de se loger à prix raisonnable. ‘Dans le Languedoc-Roussillon, on trouve des terrains entre 30 000 et 60 000 euros où il est possible de faire construire pour 100 000 euros de plus’, raconte Maître François Granier, notaire à Montpellier. » Au sujet de cette dernière agglomération, un Plan de Prévention des Risques d’Inondations mérite le détour … De la croissance des prix de l’immobilier au risque de crue.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire