vendredi 25 juin 2010

Guyane, tombeau des vanités politiques. (De l’orpaillage, illustration d’un développement non maîtrisé)

Les Français devraient avoir perdu leurs illusions avec la Guyane [carte]. Ce qui a été prévu à Paris, a avorté. Ce qui s'est passé sur place résulte de l'imprévu. Kourou constitue probablement la seule exception, mais elle ressemble à une plate-forme off-shore dans le département. Combien de Guyanais travaillent comme ingénieurs ou cadres au Centre Spatial ? En Guyane, toutes les tentatives de peuplement direct ont échoué, depuis Vincent Pinson et Daniel de la Rivardière jusqu'à Papillon. A chaque fois, la totalité des blancs expatriés ont péri dans les combats contre les populations autochtones, les guerres intestines, ou plus encore à cause des maladies. En saison des pluies quasi permanente, cette portion équatoriale du nord de l'Amérique du Sud a systématiquement contrecarré les projets de développement démographique imaginés en métropole, depuis Richelieu jusqu'aux initiateurs du bagne. A l'inverse en Guyane, on peut presque utiliser l'expression de génération spontanée, tant l'éclosion de cette région – je n'ose le mot sulfureux de pays – résulte d'événements contemporains imprévisibles.
En 1763, à la fin du règne de Louis XV, la propagande royale pousse des milliers de colons venus de l'Est de la France à s'y installer. Une quarantaine de rescapés seulement trouvent finalement leur salut dans les îles éponymes à l'issue de cette piteuse expérience de peuplement. A la même époque, les élites européennes soucieuses d'humanitarisme remettent en cause les peines de prisons, parce que taxées de cruelles. Le premier bagne français est néanmoins imaginé à l'époque de la première République. Il ne devient définitif qu'après 1848, en remplacement de celui d'Algérie, puis en concurrence avec ceux de Nouvelle-Calédonie. Abrogé en 1938, il ferme peu après la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Les Anglais décident quant à eux dès le XVIIIème siècle de transporter leurs condamnés de l'autre côté de l'Atlantique, en Virginie et au Maryland [source]. Mais en Guyane, la santé des bagnards se détraque plus vite qu'ailleurs. Environ 30.000 sur 70.000 sont morts avant la fin de leur séjour [source]. La surmortalité dues aux rigueurs géographiques autant qu'aux mauvais traitements empêchent la colonie française de rivaliser avec l'Australie. Dans cette colonie britannique, une partie des 160.000 convicts [source] – les bagnards condamnés à des peines légères et les plus endurants – ont entamé une nouvelle vie et fondé leurs propres familles, tels Matthew Everingham condamné à sept ans de bagne pour avoir dérobé deux livres à un homme de loi. Londres interdit la déportation des condamnés en 1868. Mais quatre-vingts ans après le débarquement de la First Fleet à Botany Bay et la fondation de Sydney, la population australienne croît rapidement. La plus ancienne ville d'Australie bénéficie il est vrai d'atouts climatiques incontestables (NOTE).
A Saint-Laurent du Maroni, dans la ville créé en 1858, peu après l'ouverture du bagne, et à Cayenne construite au pied du fort Cépérou érigé par Poncet de Brétigny en 1643 sur un promotoire rocheux situé à deux jours de marche de l'océan, on ne peut oublier l'hostilité relative du milieu naturel [source]. Le littoral guyanais se distingue nettement de celui choisi par les Anglais en Nouvelle-Galles du Sud. On n'y trouve pas l'alternance saisonnière de Sydney, cette opposition entre un hiver doux et un été chaud caractéristique d'un climat océanique. Les températures varient peu, toujours comprises entre 25 et 27 °C. Il pleut toute l'année, même si les précipitations fléchissent légèrement en février, puis entre août et novembre. Au cours des quatre mois de sécheresse modérée, les maxima se calent entre 50 et 100 mm. La chaleur permanente qui entretient le cycle de pluies (phénomène de convection) et maintient une forte humidité ambiante éprouve les colons au même titre que les bagnards et les esclaves. Elle explique la lente et tardive progression démographique de la colonie.
Fort heureusement pour la Guyane, des imprévus interfèrent avec les projets parisiens. A la suite de l'éruption de la Montagne Pelée en 1902, des centaines de Martiniquais s'exilent en effet : certains s'engagent dans les chantiers du creusement du canal de Panama, d'autres s'installent en Guyane à Montjoly, commune aujourd'hui englobée dans l'agglomération de Cayenne. En 1975, des réfugiés indochinois font souche, en majorité de l'ethnie montagnarde Hmong : ils fuient l'instauration d'un régime communiste au Laos et l'unification des deux Vietnam. Aujourd'hui 1.600, ils ont réussi leur implantation grâce à leur ingéniosité (le riz décevant cède vite la place à d'autres productions) et à leur tenacité : l'accueil sur place est frais. Sur trois communes, dont celle de Cacao, leur terre ingrate produit désormais de quoi approvisionner le marché de Cayenne en fruits et légumes. Au même moment, le plan Vert échoue, lancé par le gouvernement Barre en 1977, et qui visait à encourager le développement socio-économique de la Guyane [source].
L'or illustre bien plus encore l'importance du hasard, tellement plus efficace que les décrets ministériels pour épauler un croît naturel longtemps proche de zéro. Un Amérindien découvre des paillettes du métal précieux en 1855 dans un fleuve du sud-est (l'Approuague), mais c'est un fonctionnaire colonial qui obtient un premier permis d'exploration, Félix Couy assassiné en décembre 1871. Jusqu'au milieu de l'entre-deux-guerres, cette partie orientale de la Guyane voit passer plusieurs générations d'orpailleurs. La quête de l'or attire les candidats mais les broie le plus souvent. Certains restent quand même en Guyane, généralement aussi pauvres que leur patrie d'adoption [source].
Une quarantaine d'années passent, l'Etat investit, les ingénieurs construisent des routes en dur, aménagent un barrage sans équivalent en métropole. On circule plus facilement, et le niveau de vie s'avère bien supérieur que dans le reste de l'Amérique du sud équatoriale : la Guyane, nouvel Eldorado. L'orpaillage repart alors, et attire une nouvelle génération de migrants. Les fleuves frontaliers voient passer un nombre grandissant de clandestins : Brésiliens de plus en plus nombreux à vivre dans les provinces amazoniennes, ou encore Surinamiens fuyant un pays pauvre et instable. L'Etat qui a involontairement lancé le mouvement – comme l'offre suscite la demande – peine à faire face aujourd'hui aux migrations qu'il a lui-même suscitées, aux effets d'un fort croît naturel, aux conséquences négatives de l'explosion de l'orpaillage clandestin : pollution au mercure, trafics illicites, multiplication des assassinats et violences diverses, insécurité endémique (RFI).
Un ancien ministre de l'Intérieur lance des promesses. Le ministère de l'Outre-Mer annonce des mesures. Trente années au moins d'orpaillage n'ont pas pour autant apporté le décollage économique tant attendu de la Guyane, tombeau des vanités.
Pour aller un peu plus loin : fiche thématique de l'université de Laval (Québec) et ce blog consacré à l'orpaillage en Guyane.

NOTE / Températures mensuelles moyennes de Sydney (°C) : 22 / 22 / 21 / 18 / 15 / 12 / 12 / 13 / 15 / 17 / 19 / 21. Précipitations mensuelles moyennes (en mm) : 102 / 114 / 136 / 124 / 122 / 132 / 101 / 77 / 69 / 78 / 81 / 78.
PS./ Dernier article sur la zone Caraïbe : ici.

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