Caroline de Malet signe hier un dossier comprenant deux articles éclairant les débats sur les risques naturels, sur leur impact humain et économique. On notera au passage que s’est imposé dans le discours courant cette expression de risque naturel, au détriment du cataclysme désuet [kataklusmos, de katakludzein (inonder) : Grand bouleversement causé par un phénomène naturel ou de toute autre nature ] et même du mot plus récent catastrophe [katastrophê, de strephein (tourner) : A l'origine, dénouement d'une tragédie ; événement ayant un caractère dramatique]. La dimension mystique disparaît, et le vocabulaire, en recourant à un euphémisme, affadit le sens général précédent marqué par un préfixe commun, cata-, qui signifie en arrière, vers le bas (voir ici ). Mais peut-être a-t-on gagné en précision ? On peut ainsi détailler les risques par l’endroit où ils se produisent (risque maritime en cas de marée noire, risque fluvial) ou par la cause : le risque industriel distinct du risque naturel.
Une hiérarchie aussi fallacieuse qu’implicite ne s’instaure-t-elle pas ? L’éruption du Pinatubo est-elle moins grave parce qu’elle est naturelle ? En juin 1991, elle dégage une telle quantité de cendres qu’une grande partie des Philippines, le nord de Bornéo et l’est de la péninsule indochinoise en sont recouverts (ici). Au cours des deux semaines qui précèdent, le volcan émet dans l’atmosphère du dioxyde de soufre, au rythme de 500 tonnes par jour avec un pic dix fois supérieur, le 28 mai (5 000 tonnes). Quatre épisodes éruptifs se suivent, avec une colonne de poussières s'élevant à 24 kilomètres d’altitude. La réduction consécutive des radiations solaires au cœur du Pacifique n’avait pas connu de précédents depuis l’éruption du volcan El Chichon au milieu des années 70 (voir ici).
La journaliste du Figaro fait le point - j'y reviens - sur ce qui oppose déterministes et défenseurs du primat des probabilités (ou probabilistes). Les premiers recensent les catastrophes passées, étudient la structure ou le paysage, et en déduisent les risques futurs. Les seconds partent du principe que les recettes utilisées depuis longtemps par les mathématiciens ou encore par les économistes valent aussi pour étudier les risques naturels : « il existe une chance sur X qu'un événement Y intervienne. » La demande d’évaluation a suscité une offre.
Puisqu’il y a deux camps, chacun recherche des preuves irréfutables, provoquant une surenchère. Les probabilistes échafaudent des modèles de plus en plus complexes, non seulement pour faire pièce à leurs adversaires, mais aussi pour coller aux besoins de leurs clients ; en vain, le plus souvent. Un haut fonctionnaire de l’Equipement s’en explique: « On voudrait transposer le modèle probabiliste à tous les risques naturels. Or ces calculs supposent un grand nombre de données. » La modélisation ressemble à une quête infinie d’informations finalement parcellaires : « si la France dispose de grandes séries chiffrées dans le domaine des inondations, c'est loin d'être le cas par exemple en glissements de terrain ou en matière de séismes. Faire un calcul qui repose sur trois données en un siècle n'a pas grand sens. » Mais les probabilistes n’écartent pas l’imprévisible ; c’est même là leur force !
Car les déterministes plaisent ; ils avancent des faits incontestables, puisque établis dans le passé proche ou lointain. Caroline de Malet montre bien toutefois qu'ils ne donnent pas entièrement satisfaction ; ils dressent des cartes avec des couleurs plus ou moins sombres, quand un aménageur veut savoir si telle montée des eaux s’effectuera en deux ou trois heures, si elle dépassera le niveau x ou x + 1, ou – pour un séisme – s’il aura lieu dans dix ans ou dans un siècle ! Qu’importe, les déterministes apportent du concret, parlent du risque, et vantent les vertus de l’expertise. L’expert déterministe vend sa prédiction (alors que le probabiliste renvoie le responsable politique à l'essence de sa fonction) : celle de décider. En contrepartie, l’expert assume éventuellement les conséquences de son expertise. S’il ne se trompe pas, tant mieux. En cas d’erreur, le responsable politique peut toujours se retourner contre l’expert.
La journaliste illustre son article principal par un autre, qu’elle consacre au risque d’inondation ; une sorte de leçon appliquée des pièges du déterminisme et du probabilisme. « ‘14 décembre 2010 : après un automne particulièrement pluvieux, la pluie revient, balayant le Morvan et Paris (...) À Paris, après avoir fermé les voies sur berges (...) les galeries du métro et du RER commencent à prendre l'eau, laquelle envahit les rues de cinq arrondissements. Un million d'habitants voient leur habitation altérée par l'eau. On compte peu de victimes directes, mais 15 milliards d'euros de dégâts.’ […] Chaque année, nous avons une chance sur 100 de connaître une crue centennale similaire à celle de 1910. » S’agit-il vraiment d’une chance ?
Mon cœur penche plutôt pour ceux qui laissent des perspectives ouvertes et non fermées. Mais je lis avec satisfaction deux phrases qui passeraient presque inaperçues : « Un million de Franciliens habitent en zone inondable, mais des villes comme Orléans ou d'autres du sud de la France, où l'on continue de construire en zone inondable, sont au moins autant exposées. […] ‘le plus sûr moyen de prévention, c'est d'arrêter de cumuler les risque’, souligne avec bon sens Philippe Huet, directeur des opérations de l'Association française pour la prévention des catastrophes naturelles. Il suffit de ne pas construire en zone inondable... »
Depuis que Paris existe, des Parisiens vivent sous la menace d’inondations, sur les rives de la Seine. Mais qu’est-ce qui explique qu’ils se comptent par dizaines de milliers au début du XXIème siècle (la question est aussi pertinente à Orléans ou ailleurs) ? On peut se prémunir du risque en construisant en zones inondables : mais pourquoi privilégie-t-on – au lieu de la construction d’immeubles – un urbanisme horizontal, de pavillons individuels ? L’étalement périurbain ne résulte-t-il pas aussi de l’inflation des prix de l’immobilier ? Or, les politiques fiscales et monétaires ne favorisent-elles pas l’investissement dans la pierre ?
Mais c'est bien sûr : il n'y a pas de risques naturels dans les déserts (humains). On ne s'intéresse pas plus aux séismes en Antarctique qu'aux débordements du haut - Congo... Etudier les mécanismes physiques du globe en délaissant les activités humaines conduit donc à une impasse.
Une hiérarchie aussi fallacieuse qu’implicite ne s’instaure-t-elle pas ? L’éruption du Pinatubo est-elle moins grave parce qu’elle est naturelle ? En juin 1991, elle dégage une telle quantité de cendres qu’une grande partie des Philippines, le nord de Bornéo et l’est de la péninsule indochinoise en sont recouverts (ici). Au cours des deux semaines qui précèdent, le volcan émet dans l’atmosphère du dioxyde de soufre, au rythme de 500 tonnes par jour avec un pic dix fois supérieur, le 28 mai (5 000 tonnes). Quatre épisodes éruptifs se suivent, avec une colonne de poussières s'élevant à 24 kilomètres d’altitude. La réduction consécutive des radiations solaires au cœur du Pacifique n’avait pas connu de précédents depuis l’éruption du volcan El Chichon au milieu des années 70 (voir ici).
La journaliste du Figaro fait le point - j'y reviens - sur ce qui oppose déterministes et défenseurs du primat des probabilités (ou probabilistes). Les premiers recensent les catastrophes passées, étudient la structure ou le paysage, et en déduisent les risques futurs. Les seconds partent du principe que les recettes utilisées depuis longtemps par les mathématiciens ou encore par les économistes valent aussi pour étudier les risques naturels : « il existe une chance sur X qu'un événement Y intervienne. » La demande d’évaluation a suscité une offre.
Puisqu’il y a deux camps, chacun recherche des preuves irréfutables, provoquant une surenchère. Les probabilistes échafaudent des modèles de plus en plus complexes, non seulement pour faire pièce à leurs adversaires, mais aussi pour coller aux besoins de leurs clients ; en vain, le plus souvent. Un haut fonctionnaire de l’Equipement s’en explique: « On voudrait transposer le modèle probabiliste à tous les risques naturels. Or ces calculs supposent un grand nombre de données. » La modélisation ressemble à une quête infinie d’informations finalement parcellaires : « si la France dispose de grandes séries chiffrées dans le domaine des inondations, c'est loin d'être le cas par exemple en glissements de terrain ou en matière de séismes. Faire un calcul qui repose sur trois données en un siècle n'a pas grand sens. » Mais les probabilistes n’écartent pas l’imprévisible ; c’est même là leur force !
Car les déterministes plaisent ; ils avancent des faits incontestables, puisque établis dans le passé proche ou lointain. Caroline de Malet montre bien toutefois qu'ils ne donnent pas entièrement satisfaction ; ils dressent des cartes avec des couleurs plus ou moins sombres, quand un aménageur veut savoir si telle montée des eaux s’effectuera en deux ou trois heures, si elle dépassera le niveau x ou x + 1, ou – pour un séisme – s’il aura lieu dans dix ans ou dans un siècle ! Qu’importe, les déterministes apportent du concret, parlent du risque, et vantent les vertus de l’expertise. L’expert déterministe vend sa prédiction (alors que le probabiliste renvoie le responsable politique à l'essence de sa fonction) : celle de décider. En contrepartie, l’expert assume éventuellement les conséquences de son expertise. S’il ne se trompe pas, tant mieux. En cas d’erreur, le responsable politique peut toujours se retourner contre l’expert.
La journaliste illustre son article principal par un autre, qu’elle consacre au risque d’inondation ; une sorte de leçon appliquée des pièges du déterminisme et du probabilisme. « ‘14 décembre 2010 : après un automne particulièrement pluvieux, la pluie revient, balayant le Morvan et Paris (...) À Paris, après avoir fermé les voies sur berges (...) les galeries du métro et du RER commencent à prendre l'eau, laquelle envahit les rues de cinq arrondissements. Un million d'habitants voient leur habitation altérée par l'eau. On compte peu de victimes directes, mais 15 milliards d'euros de dégâts.’ […] Chaque année, nous avons une chance sur 100 de connaître une crue centennale similaire à celle de 1910. » S’agit-il vraiment d’une chance ?
Mon cœur penche plutôt pour ceux qui laissent des perspectives ouvertes et non fermées. Mais je lis avec satisfaction deux phrases qui passeraient presque inaperçues : « Un million de Franciliens habitent en zone inondable, mais des villes comme Orléans ou d'autres du sud de la France, où l'on continue de construire en zone inondable, sont au moins autant exposées. […] ‘le plus sûr moyen de prévention, c'est d'arrêter de cumuler les risque’, souligne avec bon sens Philippe Huet, directeur des opérations de l'Association française pour la prévention des catastrophes naturelles. Il suffit de ne pas construire en zone inondable... »
Depuis que Paris existe, des Parisiens vivent sous la menace d’inondations, sur les rives de la Seine. Mais qu’est-ce qui explique qu’ils se comptent par dizaines de milliers au début du XXIème siècle (la question est aussi pertinente à Orléans ou ailleurs) ? On peut se prémunir du risque en construisant en zones inondables : mais pourquoi privilégie-t-on – au lieu de la construction d’immeubles – un urbanisme horizontal, de pavillons individuels ? L’étalement périurbain ne résulte-t-il pas aussi de l’inflation des prix de l’immobilier ? Or, les politiques fiscales et monétaires ne favorisent-elles pas l’investissement dans la pierre ?
Mais c'est bien sûr : il n'y a pas de risques naturels dans les déserts (humains). On ne s'intéresse pas plus aux séismes en Antarctique qu'aux débordements du haut - Congo... Etudier les mécanismes physiques du globe en délaissant les activités humaines conduit donc à une impasse.
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