A Karachi, l’une des plus grandes métropoles musulmanes de la planète (avec Djakarta, Dacca, Le Caire, ou encore Lagos), qui concentre les problèmes urbains habituels, et bien d’autres encore, rien ne se passe dans le calme. Outre que l’agglomération m’a cette semaine servi de sujet de travaux dirigés, Karachi me donne l’occasion de rappeler aux Occidentaux – et plus précisément aux Parisiens – que leurs difficultés de citadins doivent être relativisées.
Karachi est la plus importante agglomération pakistanaise même si elle a cessé d’être capitale politique au profit d'Islamabad. Port donnant sur l’Océan Indien occidental , Karachi se situe à proximité du delta du fleuve Indus, si essentiel pour comprendre son développement urbain récent. Car dans l’empire des Indes britanniques, l’agglomération n’avait qu’une taille relativement modeste jusqu’au milieu du 19ème siècle, dans l’ombre de Bombay (cette dernière agglomération reste d’ailleurs plus importante au plan démographique et économique). Par quel miracle le port de Karachi a t-il connu un développement accéléré, passant de 15 000 habitants environ dans les années 1830, à 450.000 au moment des indépendances (multiplication par 30), pour atteindre et dépasser le cap des 10 millions de karachiotes ?
Car l’environnement naturel (hinterland) ne présentait a priori pas d’intérêt majeur. Le fleuve Indus traverse une plaine traversée successivement par les isohyètes 500 puis 250 millimètres (de précipitations), zone semi-aride à la limite du désert. Ce fleuve exogène parvient à la mer grâce à une alimentation extérieure, à l’imitation du Tigre et de l’Euphrate (en Irak), ou encore du Nil en Egypte : glace fondue, neiges et pluies tombées sur le versant méridional du massif himalayen. Sans aménagements, la région de l’Indus ne pouvait accueillir la population actuelle de Karachi. Deux événements dans la décennie 1860 ont bouleversé la donne : la guerre de Sécession (1861-1865) et l’ouverture du canal de Suez (1869). De la première découle des besoins importants en coton de la part des industriels du textile (en Europe) ; d’un coton jusque là importé des Etats-Unis et qui fait brusquement défaut (blocus des nordistes).
De la seconde, les autorités de Londres tirent les conséquences, et favorisent la culture du coton dans la vallée de l’Indus. La chaleur ne manque pas ; il convient simplement de maîtriser la ressource en eau (gigantesques travaux hydrauliques : canaux et barrages) et de faire venir de la main d’œuvre. Les ruraux du nord de l’Inde actuelle se déplacent alors en grande nombre, provoquant la diffusion de l’islam et de l’ourdou dans la vallée de l’Indus. Au débouché de la voie fluviale et d’un réseau ferroviaire naissant, Karachi se transforme en relais sur la route des Indes et de Singapour (pour le ravitaillement de charbon) avant Bombay, et en port d’exportation du coton. Mais la ville d’origine de Jinnah – le concurrent de Gandhi – connaît un nouveau changement après 1947 et le départ des Britanniques. L’indépendance de l’Inde conduit en effet à la partition entre hindous et musulmans. Ces derniers, très minoritaires partent en exode vers un nouveau pays, le Pakistan. En quelques mois, ce sont des milliers de Mohajirs – réfugiés qui alimentent un flux continu vers la plus grande ville du pays.
Ils étaient ruraux, et ne parviennent pas à devenir citadins. Dès les années 1950, la population des bidonvilles gonfle jusqu’à atteindre près de la moitié du nombre total d’habitants vivant à Karachi. Ce chiffre n’a pas varié, car les vagues de migrants ont continué : au début des années 1970 avec l’indépendance de l’ancien Pakistan oriental (devenu Bangladesh) et dans les années 1980 avec les Pachtounes fuyant le nord et les combats de l’armée rouge en Afghanistan. Cette dernière période constitue un point culminant dans le chaos de la ville, le règne des gangs et du crime organisé (quartier de Korangi) et laisse aux mouvements religieux fondamentalistes un terrain politique inespéré, avec des recettes simples pour des problèmes compliqués : madrasas et talibanisme. Tous les réfugiés de Karachi sont des déracinés, des immigrés qui n’ont plus que l’islam dans une ville à l’origine hindoue (sans mosquées) et conçue par des Anglais. La frustration ouvre la voie à une crispation identitaire et religieuse dont on n’a que peu d’idées en Europe, et dont les implications dépassent largement le cadre de Karachi : l’affaire de Daniel Pearl ou des chrétiens massacrés dans leurs églises ont été cependant relayées… Puis oubliées.
Mais les difficultés plus communes aux grandes mégalopoles ne manquent pas à Karachi. Une partie de la population manque de tout, et d’abord de l’essentiel : eau, électricité, services sociaux. La corruption connaît apparemment peu d’équivalents ; elle explique l’incapacité des autorités à juguler la violence organisée et le crime terroriste banal (plusieurs dizaines d’attentats recensés chaque année), à lutter contre la diffusion des drogues dures (un dixième de la population ?) et ses conséquences en terme de santé publique (90 % des dons du sang non vérifiés). La pollution et l’engorgement des voies de communication témoignent en même temps d’une autre réalité : l’existence d’élites urbaines fortunées. Un quart du PIB et la plus grande partie de l’industrie pakistanaise se concentrent à Karachi. Mais aux Parisiens qui parlent d’enfer urbain, il fallait expliquer à quoi cela correspond exactement !
Petite BIBLIOGRAPHIE : université de Laval (aspects linguistiques), Hérodote , Le Point et Courrier International …
PS./ Dernier papier sur une autre métropole : De Batavia à Jakarta.
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