Que n’attendais-je pas un peu… Mon dernier paragraphe (hier) trouve un prolongement naturel avec l’article de Jean-Jacques Bozonnet : ici. Nous y voilà, l’artillerie de campagne s’apprête à pilonner : attention à la mafia, la pieuvre est de retour (mais était-elle partie ? Mystère). Naples et le Mezzogiorno sont la honte de l’Italie (du Nord). Les journalistes étrangers font leur miel de ce genre de manchettes et s’inspirent de leurs confrères italiens : narration des descentes de police – en Italie, pas en France, pensez-vous –, et historique des familles dans lequel transparaissent surtout les ficelles du cinéma hollywoodien.
J.J. Bozonnet ne dit rien en revanche de l’histoire de Naples, entre la Renaissance et la fin du dix-huitième siècle, l’installation des Bourbons et le dynamisme extraordinaire (économique et artistique) du royaume des Deux-Siciles. Naples ne compte pas de rivale en Europe : son développement n’a d’équivalent ni à Londres, ni à Paris, et ce pendant plusieurs décennies ; première ville d’Europe à compter plus d’un million d’habitants dix sept siècles après la Rome antique… Seulement voilà, pour camper le décor du crime organisé, il faut du crasseux, du sanglant ; la violence et le stupre.
Revenons au nombre de morts de l’article sur la mafia ; le journaliste jongle avec les données, les dizaines et les centaines. Mais à Paris - entre deux et deux millions et demi d’habitants contre un million à Naples -, la préfecture de Police n’évoque-t-elle pas un chiffre de 225 homicides (et tentatives) en 2005, le double de l’année précédente ? Cela ne prouve pas pour autant qu’un parisien prend un risque inconsidéré à circuler dans la capitale : loi des petits nombres oblige. Faute de prendre en compte celle-ci, on risque de confondre un fumeur qui passe d’une à deux cigarettes avec un autre qui lui, passe d’un paquet à deux : les courbes de progression s’équivalent pourtant !
Pour en revenir à l’Italie, un Napolitain a plus de risques de mourir au cours d’un accident de voiture qu’à l’occasion d’un assassinat [117 tués sur la route par million d’habitants en Italie – chiffres OCDE / 2003] : « 708 morts de 1989 à 1991, plus de 500 à Naples même […] Fin 2004 et début 2005, une tentative de sécession à l’intérieur du clan de Paolo Di Lauro a déclenché, dans les quartiers Scampia et Secondigliano, une escalade meurtrière (134 morts) »
Vous minimisez la corruption endémique, va-t-on m’expliquer… Dieu me préserve de trouver quelque mérite à telle ou telle organisation criminelle. Je souhaite simplement garder la tête froide. Pourquoi J.J. Bozonnet retranscrit-il complaisamment les gémissements d’un personnel politique italien pris en flagrant délit d’incapacité ? L’emprise de la mafia ne témoigne t-elle pas surtout du fait qu’à Rome, les responsables successifs ont failli ? Le directeur du Corriere del Mezzogiorno, se lamente, nous dit le journaliste du Monde : « En cinq ans, la région a reçu 7,7 milliards d’euros de fonds européens. Or le chômage n’a pas diminué, l’indice de pauvreté a augmenté, le revenu par habitant est le plus bas des pays européens bénéficiant de ces fonds. » Mais combien d’autres régions européennes ont récolté des subsides sans effet direct ? Qu’en a-t-on conclu ?
La mafia donne un nouvel exemple de l’inutilité de l’aide au développement. Même la plus louable – la redistribution économique entre le Nord et le Sud de la botte italienne, et celle pilotée par Bruxelles que l’on vient d’évoquer – ne semble avoir amené qu’un renforcement des réseaux criminels. Les clans « sont présents dans les offres publiques de chantiers, les adjudications et mille activités liées à la dépense publique. Le chef de la protection civile, envoyé pour résoudre la question des tonnes d’ordures qui polluent la région depuis des années, a reconnu qu’‘en matière de gestion des déchets, la seule réalité gagnante est celle de la Camorra’ ». Mais en matière de détournement de fonds publics n’a-t-on rien observé de comparable en Ile de France par exemple ? La situation décrite par J.J. Bozonnet démontre finalement l’échec de l’Etat italien ; peut-être même le caractère artificiel de cette construction politique.
Je rappellerais enfin les trafics dont la mafia tire manifestement le plus de recettes : la drogue consommée par des milliers d’Européens – dans des pays majoritairement prohibitionnistes – et les clandestins qui payent très cher leur rentrée en Europe – entre autres voies par le sud de l’Italie – pour ne pas tomber dans les filets de la police. 75 kilomètres séparent les Pouilles des côtes albanaises, 125 kilomètres la Sicile du Cap Bon et 175 kilomètres la Sardaigne du Cap Blanc [voir carte] ; la distance la plus courte entre la Corse et sa métropole. Dans le cas de la drogue comme pour l’immigration, la fermeté oratoire des responsables politiques en quête de suffrages conduit essentiellement à gonfler les tarifs des mafieux, avec une efficacité problématique sur le terrain. Au départ des Balkans ou de la Tunisie, les embarcations les plus rapides peuvent rallier l’Italie en une poignée d’heures - deux pour le plus court trajet - : l’histoire nous enseigne qu’aucun blocus n’est imperméable.
Je laisse aux rieurs la responsabilité de leurs moqueries, car peu auraient sans doute agi en conséquence. Mais les hommes politiques italiens hier inopérants, qui aujourd’hui crient au loup, feraient mieux de s’en tenir à un profil bas compte tenu du passé. Les journalistes, leurs relais dans l’opinion italienne, gagneraient à cesser d’amplifier la légende noire du Mezzogiorno. De celle-ci vont se complaire les démagogues et les racistes de la Ligue du Nord.
Pendant ce temps, la proportion d’Italiens âgés (ou très âgés), les vides de peuplement et la concentration par tâches urbaines s’accentuent. Et une partie de la jeunesse napolitaine, calabraise ou sicilienne - pourquoi ? - préfère à la lumière du travail légal l’ombre du crime : décidément, écrire sur la mafia est plus excitant que sur la sénescence. J’y succombe moi-même…
PS./ Dernier article sur l’Italie : 11/11.
J.J. Bozonnet ne dit rien en revanche de l’histoire de Naples, entre la Renaissance et la fin du dix-huitième siècle, l’installation des Bourbons et le dynamisme extraordinaire (économique et artistique) du royaume des Deux-Siciles. Naples ne compte pas de rivale en Europe : son développement n’a d’équivalent ni à Londres, ni à Paris, et ce pendant plusieurs décennies ; première ville d’Europe à compter plus d’un million d’habitants dix sept siècles après la Rome antique… Seulement voilà, pour camper le décor du crime organisé, il faut du crasseux, du sanglant ; la violence et le stupre.
Revenons au nombre de morts de l’article sur la mafia ; le journaliste jongle avec les données, les dizaines et les centaines. Mais à Paris - entre deux et deux millions et demi d’habitants contre un million à Naples -, la préfecture de Police n’évoque-t-elle pas un chiffre de 225 homicides (et tentatives) en 2005, le double de l’année précédente ? Cela ne prouve pas pour autant qu’un parisien prend un risque inconsidéré à circuler dans la capitale : loi des petits nombres oblige. Faute de prendre en compte celle-ci, on risque de confondre un fumeur qui passe d’une à deux cigarettes avec un autre qui lui, passe d’un paquet à deux : les courbes de progression s’équivalent pourtant !
Pour en revenir à l’Italie, un Napolitain a plus de risques de mourir au cours d’un accident de voiture qu’à l’occasion d’un assassinat [117 tués sur la route par million d’habitants en Italie – chiffres OCDE / 2003] : « 708 morts de 1989 à 1991, plus de 500 à Naples même […] Fin 2004 et début 2005, une tentative de sécession à l’intérieur du clan de Paolo Di Lauro a déclenché, dans les quartiers Scampia et Secondigliano, une escalade meurtrière (134 morts) »
Vous minimisez la corruption endémique, va-t-on m’expliquer… Dieu me préserve de trouver quelque mérite à telle ou telle organisation criminelle. Je souhaite simplement garder la tête froide. Pourquoi J.J. Bozonnet retranscrit-il complaisamment les gémissements d’un personnel politique italien pris en flagrant délit d’incapacité ? L’emprise de la mafia ne témoigne t-elle pas surtout du fait qu’à Rome, les responsables successifs ont failli ? Le directeur du Corriere del Mezzogiorno, se lamente, nous dit le journaliste du Monde : « En cinq ans, la région a reçu 7,7 milliards d’euros de fonds européens. Or le chômage n’a pas diminué, l’indice de pauvreté a augmenté, le revenu par habitant est le plus bas des pays européens bénéficiant de ces fonds. » Mais combien d’autres régions européennes ont récolté des subsides sans effet direct ? Qu’en a-t-on conclu ?
La mafia donne un nouvel exemple de l’inutilité de l’aide au développement. Même la plus louable – la redistribution économique entre le Nord et le Sud de la botte italienne, et celle pilotée par Bruxelles que l’on vient d’évoquer – ne semble avoir amené qu’un renforcement des réseaux criminels. Les clans « sont présents dans les offres publiques de chantiers, les adjudications et mille activités liées à la dépense publique. Le chef de la protection civile, envoyé pour résoudre la question des tonnes d’ordures qui polluent la région depuis des années, a reconnu qu’‘en matière de gestion des déchets, la seule réalité gagnante est celle de la Camorra’ ». Mais en matière de détournement de fonds publics n’a-t-on rien observé de comparable en Ile de France par exemple ? La situation décrite par J.J. Bozonnet démontre finalement l’échec de l’Etat italien ; peut-être même le caractère artificiel de cette construction politique.
Je rappellerais enfin les trafics dont la mafia tire manifestement le plus de recettes : la drogue consommée par des milliers d’Européens – dans des pays majoritairement prohibitionnistes – et les clandestins qui payent très cher leur rentrée en Europe – entre autres voies par le sud de l’Italie – pour ne pas tomber dans les filets de la police. 75 kilomètres séparent les Pouilles des côtes albanaises, 125 kilomètres la Sicile du Cap Bon et 175 kilomètres la Sardaigne du Cap Blanc [voir carte] ; la distance la plus courte entre la Corse et sa métropole. Dans le cas de la drogue comme pour l’immigration, la fermeté oratoire des responsables politiques en quête de suffrages conduit essentiellement à gonfler les tarifs des mafieux, avec une efficacité problématique sur le terrain. Au départ des Balkans ou de la Tunisie, les embarcations les plus rapides peuvent rallier l’Italie en une poignée d’heures - deux pour le plus court trajet - : l’histoire nous enseigne qu’aucun blocus n’est imperméable.
Je laisse aux rieurs la responsabilité de leurs moqueries, car peu auraient sans doute agi en conséquence. Mais les hommes politiques italiens hier inopérants, qui aujourd’hui crient au loup, feraient mieux de s’en tenir à un profil bas compte tenu du passé. Les journalistes, leurs relais dans l’opinion italienne, gagneraient à cesser d’amplifier la légende noire du Mezzogiorno. De celle-ci vont se complaire les démagogues et les racistes de la Ligue du Nord.
Pendant ce temps, la proportion d’Italiens âgés (ou très âgés), les vides de peuplement et la concentration par tâches urbaines s’accentuent. Et une partie de la jeunesse napolitaine, calabraise ou sicilienne - pourquoi ? - préfère à la lumière du travail légal l’ombre du crime : décidément, écrire sur la mafia est plus excitant que sur la sénescence. J’y succombe moi-même…
PS./ Dernier article sur l’Italie : 11/11.
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