Les clochers tombent comme à Gravelotte nous explique Sophie de Ravinel dans le Figaro, qui reprend les attendus d’un rapport du Sénat, et le chiffre de 2.800 églises rurales en situation de péril. On voit ici la volonté manifeste de faire sursauter le lecteur français chez qui un paysan sommeille toujours, pour qui les images de l’Angelus de Jean-François Millet ou de l’affiche de campagne de François Mitterrand en 1981 restent présentes à l'esprit. Mais 2.800 ne représentent pourtant qu’une minorité (18,66 %) : après tout, cela signifie qu’un peu plus de 81 % des églises rurales tiennent bon.
Plutôt que d’amener son lecteur à réfléchir sur les évolutions du monde rural, son déclin inédit superficiellement gommé par l’installation de périurbains – paysans du dimanche, la journaliste choisit l’émotion vaine : l’extinction des catholiques tant de fois programmée depuis des siècles apparaît au détour d’une phrase, comme un fait d’évidence, un élément du décor. Les clochers et les catholiques constituent donc le décor. Ils disparaissent : que faire ? Gémir les bras ballants. Car il y a fort à parier que le lecteur du Figaro, qu’il soit athée, incrédule, catholique voltairien, tenant d’une religion de l’Ordre ou versaillais bon teint, se moque comme d’une guigne du sort des clochers et du devenir des catholiques ruraux. Mais que l’on annonce seulement l’élévation d’un minaret comme récemment à Marseille, et son sang ne fera qu’un tour : dehors les Mahométans, barbus poseurs de bombe et autres intégristes [jugez vous-même cet échantillon / Songeons que le 15 juillet 1926, le président de la République Gaston inaugurait en personne la grande mosquée de Paris et son minaret de 33 mètres].
Mais cette question de la disparition des fidèles (j’y reviendrai pour finir) ne constitue pourtant pas le fil directeur principal de l’article, bien au contraire ; il faut rendre grâce à Sophie de Ravinel de savoir dépasser le cliché éculé. Dès les premières lignes on comprend qu’en arrière-plan se joue en effet le vieux tour des alarmistes : en l’occurrence, l’Observatoire du patrimoine religieux pris en flagrant délit de lobbying. Dramatiser la situation des églises rurales, c’est partir à la chasse aux subventions publiques la cartouchière bien remplie. Le lecteur ne dispose en effet d’aucune donnée détaillant les critères de la catastrophe annoncée : il va adhérer sans réfléchir. Or, qu’est-ce qu’un édifice en situation de péril ? Si un clocher ne présente aucun intérêt architectural, et que personne ne signe un chèque pour sa restauration, un engin de démolition ne fait qu'accélérer le travail du temps, et ainsi aucune pierre ne viendra blesser un passant : où est le mal ?
La journaliste évoque un esprit chagrin, un Vendéen athée tient-elle à préciser, qui s’est insurgé pour rien ; combat anachronique et paradoxal. A Saint-Georges de la Garde , le clocher n’est plus (détails). Dans le périmètre de la Vendée militaire, il est vrai que les destructions ont commencé tôt, dès 1793, au nom de l’athéisme, justement ; les clochers servaient de tours pour observer la ligne d’horizon. Le guetteur prévenait les hommes de l’arrivée imminente d’une colonne infernale. Autre temps, autres mœurs. Regardons un instant les statistiques de la commune. Saint-Georges de la Garde doit, si ce n’est son existence, son développement à une route nationale du Maine-et-Loire (ancien relais de poste ?) filant de Cholet vers le nord nord-est, en direction d’Angers. Sa population stagne entre les recensements de 1962 et 1975 (de 1.180 à 1.230 habitants), progresse jusqu’en 1990 (1.500 habitants) pour se tasser ensuite : 1.450 habitants en 1999. La vue aérienne renseigne sur la brusque augmentation des années 1980 – 1990. Une trentaine de pavillons ont surgi très visiblement, à l’est du village – rue : effet des prix pratiqués à l’intérieur de l’agglomération choletaise distante d’une quinzaine de kilomètres, ajouté à l’envie de se mettre au vert. Et puis l’autoroute A 87 a surgi de terre, reliant la préfecture (Angers) à sa sous-préfecture (Cholet). Saint-Georges de la Garde subit soudain la concurrence de communes environnantes, en particulier celles mieux desservies par la quatre – voies et mieux dotées (?) en terrains constructibles. La commune pâtit de ce que l’on appelle alors un effet de déclassement. Quid du clocher détruit ?
Comme dans beaucoup d’autres villages français, la population originaire a vieilli sur place ; retraites agricoles, et moyens modestes. Les néo – Choletais installés à Saint-Georges de la Garde se soucient peu de l’activité de leur paroisse ; admettons. Mais – compte tenu de l’enracinement historique de l’Eglise dans ces terres de l’Ouest – on peut supposer que quelques-uns d’entre eux gardent en leur cœur la foi du charbonnier et restent attachés aux fêtes carillonnées (Les Rameaux, Pâques, le 15 août, Toussaint, et Noël) ; imaginons même un instant un catholique pratiquant égaré à Saint-Georges de la Garde. Les uns et les autres ne préfèrent-ils pas aller à la messe à Cholet, dans une église desservie par un curé encore à demeure, plutôt qu'un office dit une fois par mois sur place ? Cette histoire apparemment anecdotique de clocher signe la périurbanisation : il qualifie des citadins à la recherche des services et avantages de la ville – ici Cholet – mais rechignent à assumer les charges d’un habitant de commune rurale. Et - je le répète encore une fois - il y a quelques raisons d'accepter la déconstruction (sic) d’un édifice sans grâce ; rappelons que le budget communal couvre l’entretien et les travaux éventuels de restauration des églises plus vieilles que 1905 (loi de séparation), à l’exception des cathédrales.
Alors que la France compte 14.000 Monuments Historiques inscrits ou classés, un choix s’impose. Tous ne bénéficieront pas de subventions pour leur entretien ou pour leur restauration. Malheureusement, des lieux communs continuent de masquer cette évidence qui sous-tend l’article : « Les Français sont pourtant ‘viscéralement attachés’ à leurs églises. » Un article complémentaire éclairera qui veut. Il n’y a plus assez d’argent pour entretenir et / ou sauvegarder tout le patrimoine français [virage entamé à l’époque du ministre J.J. Aillagon ?] ; l’utopie s’est effondrée devant les réalités financières. « Les spécialistes des monuments historiques craignent un lent abandon du patrimoine par l'Etat et sont très sceptiques sur la volonté et la capacité des collectivités locales à reprendre le flambeau. » En matière de financement public, il n’existe qu’une seule solution efficace, la concentration des efforts sur des grandes opérations : comme le Grand Palais, le Palais de Chaillot ou le fort Saint-Jean à Marseille. La dispersion des financements a conduit à un arrosage inefficace : en contentant tout le monde, aucun projet n’aboutit en profondeur.
Les diocèses de l’Eglise catholique ont à leur niveau assimilé cet impératif de concentration des forces, par une réorganisation de l’affectation des prêtres et une refonte des paroisses rurales et hyper-centrales. Collant, non à la France des institutions désuètes qui repousse toute réforme, mais à la France de la géographie réelle - celles des grandes aires urbaines - ils ont réussi une révolution aussi spectaculaire que silencieuse : le redéploiement d’un clergé certes vieillissant, mais en cours de renouvellement. Car il y a encore des dizaines de milliers de catholiques qui assistent chaque dimanche à la messe. Il fallait tenir compte de la répartition de la population sur le territoire et tirer les enseignements de la polarisation urbaine en centralisant les prêtres. Désormais, périurbains ou citadins habitant un cœur de ville se rendent à l’église la plus centrale. Ils ne manifestent ni ne trépignent. C’est l’Eglise des pierres vivantes et non celles des clochers effondrés. « Responsable de l'art sacré pour ce diocèse d'Angers, le père André Boudier observe : ‘Les églises de qualité doivent être sauvegardées. Pour les autres, il faudra accepter de les détruire et de construire à la place des édifices mieux adaptés aux besoins d'aujourd'hui...’ » A rebours de la France périurbaine, de la dispersion stérile des moyens et du vieillissement nié.
PS./ Dernier papier sur la périurbanisation : Ne pas confondre 'attirer le chaland' et 'accueillir un maréchal-ferrand.
Plutôt que d’amener son lecteur à réfléchir sur les évolutions du monde rural, son déclin inédit superficiellement gommé par l’installation de périurbains – paysans du dimanche, la journaliste choisit l’émotion vaine : l’extinction des catholiques tant de fois programmée depuis des siècles apparaît au détour d’une phrase, comme un fait d’évidence, un élément du décor. Les clochers et les catholiques constituent donc le décor. Ils disparaissent : que faire ? Gémir les bras ballants. Car il y a fort à parier que le lecteur du Figaro, qu’il soit athée, incrédule, catholique voltairien, tenant d’une religion de l’Ordre ou versaillais bon teint, se moque comme d’une guigne du sort des clochers et du devenir des catholiques ruraux. Mais que l’on annonce seulement l’élévation d’un minaret comme récemment à Marseille, et son sang ne fera qu’un tour : dehors les Mahométans, barbus poseurs de bombe et autres intégristes [jugez vous-même cet échantillon / Songeons que le 15 juillet 1926, le président de la République Gaston inaugurait en personne la grande mosquée de Paris et son minaret de 33 mètres].
Mais cette question de la disparition des fidèles (j’y reviendrai pour finir) ne constitue pourtant pas le fil directeur principal de l’article, bien au contraire ; il faut rendre grâce à Sophie de Ravinel de savoir dépasser le cliché éculé. Dès les premières lignes on comprend qu’en arrière-plan se joue en effet le vieux tour des alarmistes : en l’occurrence, l’Observatoire du patrimoine religieux pris en flagrant délit de lobbying. Dramatiser la situation des églises rurales, c’est partir à la chasse aux subventions publiques la cartouchière bien remplie. Le lecteur ne dispose en effet d’aucune donnée détaillant les critères de la catastrophe annoncée : il va adhérer sans réfléchir. Or, qu’est-ce qu’un édifice en situation de péril ? Si un clocher ne présente aucun intérêt architectural, et que personne ne signe un chèque pour sa restauration, un engin de démolition ne fait qu'accélérer le travail du temps, et ainsi aucune pierre ne viendra blesser un passant : où est le mal ?
La journaliste évoque un esprit chagrin, un Vendéen athée tient-elle à préciser, qui s’est insurgé pour rien ; combat anachronique et paradoxal. A Saint-Georges de la Garde , le clocher n’est plus (détails). Dans le périmètre de la Vendée militaire, il est vrai que les destructions ont commencé tôt, dès 1793, au nom de l’athéisme, justement ; les clochers servaient de tours pour observer la ligne d’horizon. Le guetteur prévenait les hommes de l’arrivée imminente d’une colonne infernale. Autre temps, autres mœurs. Regardons un instant les statistiques de la commune. Saint-Georges de la Garde doit, si ce n’est son existence, son développement à une route nationale du Maine-et-Loire (ancien relais de poste ?) filant de Cholet vers le nord nord-est, en direction d’Angers. Sa population stagne entre les recensements de 1962 et 1975 (de 1.180 à 1.230 habitants), progresse jusqu’en 1990 (1.500 habitants) pour se tasser ensuite : 1.450 habitants en 1999. La vue aérienne renseigne sur la brusque augmentation des années 1980 – 1990. Une trentaine de pavillons ont surgi très visiblement, à l’est du village – rue : effet des prix pratiqués à l’intérieur de l’agglomération choletaise distante d’une quinzaine de kilomètres, ajouté à l’envie de se mettre au vert. Et puis l’autoroute A 87 a surgi de terre, reliant la préfecture (Angers) à sa sous-préfecture (Cholet). Saint-Georges de la Garde subit soudain la concurrence de communes environnantes, en particulier celles mieux desservies par la quatre – voies et mieux dotées (?) en terrains constructibles. La commune pâtit de ce que l’on appelle alors un effet de déclassement. Quid du clocher détruit ?
Comme dans beaucoup d’autres villages français, la population originaire a vieilli sur place ; retraites agricoles, et moyens modestes. Les néo – Choletais installés à Saint-Georges de la Garde se soucient peu de l’activité de leur paroisse ; admettons. Mais – compte tenu de l’enracinement historique de l’Eglise dans ces terres de l’Ouest – on peut supposer que quelques-uns d’entre eux gardent en leur cœur la foi du charbonnier et restent attachés aux fêtes carillonnées (Les Rameaux, Pâques, le 15 août, Toussaint, et Noël) ; imaginons même un instant un catholique pratiquant égaré à Saint-Georges de la Garde. Les uns et les autres ne préfèrent-ils pas aller à la messe à Cholet, dans une église desservie par un curé encore à demeure, plutôt qu'un office dit une fois par mois sur place ? Cette histoire apparemment anecdotique de clocher signe la périurbanisation : il qualifie des citadins à la recherche des services et avantages de la ville – ici Cholet – mais rechignent à assumer les charges d’un habitant de commune rurale. Et - je le répète encore une fois - il y a quelques raisons d'accepter la déconstruction (sic) d’un édifice sans grâce ; rappelons que le budget communal couvre l’entretien et les travaux éventuels de restauration des églises plus vieilles que 1905 (loi de séparation), à l’exception des cathédrales.
Alors que la France compte 14.000 Monuments Historiques inscrits ou classés, un choix s’impose. Tous ne bénéficieront pas de subventions pour leur entretien ou pour leur restauration. Malheureusement, des lieux communs continuent de masquer cette évidence qui sous-tend l’article : « Les Français sont pourtant ‘viscéralement attachés’ à leurs églises. » Un article complémentaire éclairera qui veut. Il n’y a plus assez d’argent pour entretenir et / ou sauvegarder tout le patrimoine français [virage entamé à l’époque du ministre J.J. Aillagon ?] ; l’utopie s’est effondrée devant les réalités financières. « Les spécialistes des monuments historiques craignent un lent abandon du patrimoine par l'Etat et sont très sceptiques sur la volonté et la capacité des collectivités locales à reprendre le flambeau. » En matière de financement public, il n’existe qu’une seule solution efficace, la concentration des efforts sur des grandes opérations : comme le Grand Palais, le Palais de Chaillot ou le fort Saint-Jean à Marseille. La dispersion des financements a conduit à un arrosage inefficace : en contentant tout le monde, aucun projet n’aboutit en profondeur.
Les diocèses de l’Eglise catholique ont à leur niveau assimilé cet impératif de concentration des forces, par une réorganisation de l’affectation des prêtres et une refonte des paroisses rurales et hyper-centrales. Collant, non à la France des institutions désuètes qui repousse toute réforme, mais à la France de la géographie réelle - celles des grandes aires urbaines - ils ont réussi une révolution aussi spectaculaire que silencieuse : le redéploiement d’un clergé certes vieillissant, mais en cours de renouvellement. Car il y a encore des dizaines de milliers de catholiques qui assistent chaque dimanche à la messe. Il fallait tenir compte de la répartition de la population sur le territoire et tirer les enseignements de la polarisation urbaine en centralisant les prêtres. Désormais, périurbains ou citadins habitant un cœur de ville se rendent à l’église la plus centrale. Ils ne manifestent ni ne trépignent. C’est l’Eglise des pierres vivantes et non celles des clochers effondrés. « Responsable de l'art sacré pour ce diocèse d'Angers, le père André Boudier observe : ‘Les églises de qualité doivent être sauvegardées. Pour les autres, il faudra accepter de les détruire et de construire à la place des édifices mieux adaptés aux besoins d'aujourd'hui...’ » A rebours de la France périurbaine, de la dispersion stérile des moyens et du vieillissement nié.
PS./ Dernier papier sur la périurbanisation : Ne pas confondre 'attirer le chaland' et 'accueillir un maréchal-ferrand.
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