La sémantique change sans que l’on s’en aperçoive, et les géographes n’échappent pas à l’évolution du sens des mots. On le comprend mieux en lisant un dossier sur l’exode des citadins (clin d’œil évident à la formule longtemps ressassée d’exode rural) d’Angélique Négroni, dans le Figaro de la semaine dernière. Pour elle, il convient d’assimiler les mots province et campagne : c’est en tout cas la conclusion implicite et sans doute inconsciente (?) de la journaliste… Inutile de le cacher plus longtemps, je ne m’y résous pas. « Huit millions d’habitants des villes disent vouloir s’installer à la campagne. Un million de plus que l’an dernier » Ce sous-titre impressionne d’emblée, même si une note de bas de page lui ôte discrètement toute crédibilité. L’affirmation ne découle en effet ni d’une votation, ni d’un référendum mais d’un sondage réalisé à la mi – avril auprès de 457 personnes. Il faudrait au minimum multiplier par quatre ce total pour obtenir un pourcentage représentatif. Cet adjectif n’apparaît pas, au contraire du nom de l’institut – vendeur (BVA), et de l’organisme – acheteur du sondage : le Centre national pour l’aménagement des exploitations agricoles.
De ce dernier, on ne voit pas vraiment ce qu’il attendait de l’institut BVA. S’agissait-il de confirmer les agriculteurs dans leur crainte de voir le monde rural envahi par des (néo-) citadins, ou au contraire de rassurer ceux qui vont vendre leur propriété, sur la forte demande de terrains constructibles ? Dans cette dernière hypothèse, la pression des (néo-) citadins garantit aux futurs retraités une confortable plus-value. Elle donne de surcroît aux jeunes agriculteurs commençant dans le métier, l’assurance que les sommes investies dans le foncier ne s’évaporeront pas avec le temps.
Dans la vie rêvée d’Angélique Négroni, la France compte huit millions d’habitants des villes. L’INSEE ne confirme pas ce chiffre, puisque la population urbaine atteint environ 47 millions de Français, dont 35 au minimum résident dans ou autour d’un pole urbain. L’aire urbaine de Paris représente, à elle seule, près de 12 millions d’habitants. Quatre Français sur dix vivent dans l’une ou l’autre des vingt-cinq plus grandes aires urbaines, c’est-à-dire 26 millions pour un total de 63 millions de Français [statistiques]. Cette tendance s’accentue plus qu’elle ne se retourne. Entre 1990 et 1999, le nombre de Français a cru au rythme annuel moyen de 0,34 % (de 56,71 à 58,65 = + 1,94 million). Seulement huit aires urbaines connaissent un taux de croissance inférieur à la moyenne : Metz (+ 0,33 %), Paris (+ 0,32 %), Lille (+ 0,32 %), Rouen (+ 0,29 %), Nancy (+ 0,11 %), Valenciennes (– 0,02 %), Douai – Lens (– 0,17 %), et Saint – Etienne (– 0,72 %). Trois aires urbaines restent en réalité dans le sillage de la moyenne nationale. Comme pour insister encore sur la tendance au renforcement du poids démographique des plus grandes aires urbaines, le tableau indique également les plus forts taux de croissance : Montpellier (six fois le taux de croissance nationale, à + 1,88 %), Toulouse (près de cinq fois, à + 1,53 %), Rennes (+ 1,31 %), ou encore Nantes (+ 1,10 %).
Il n’empêche : « Les villages se repeuplent : ce phénomène constaté il y a une dizaine d'années ne cesse de s'amplifier. » Passé l’interprétation du sondage hasardeux pointe enfin le contresens : « Combien sautent le pas ? [Consistant à changer de vie (…)] Impossible à dire avec précision mais, selon le dernier recensement de l'Insee, les zones rurales à la grande périphérie des villes connaissent une poussée démographique. » Voilà le pot aux roses. Plutôt que de parler du développement des périphéries urbaines – en un mot de la périurbanisation, cet étalement des aires urbaines qui grignote année après année les paysages ruraux – la journaliste préfère une formule généreuse et générique. Elle évite les mots qui fâchent, sur la flambée artificielle des prix qui repousse par obligation et non par choix de nombreux ménages en périphérie, et renvoient une image obséquieusement positive des quelques 10 millions de périurbains français.
« De plus en plus de citadins sont décidés à délaisser les embouteillages et les logements étroits pour le grand air et les vastes étendues de verdure. » Mais qui sont ces amoureux des bouchons et des logements exigus auxquels fait allusion Angélique Négroni sans même s’en rendre compte ? La journaliste donne involontairement une autre série d’indices : la société périurbaine « C'est la société barbecue où les liens sociaux sont structurés par la culture des vacances. La maison n'est plus seulement ouverte à la famille mais de plus en plus aussi aux amis ». Les choses s’éclaircissent : le citadin exècre les barbecues, les piscines, les vacances et vit dans une caverne, comme un asocial. A moins qu’il ne soit aussi un parasite inactif ? Je cite à nouveau la journaliste : « l'économie s'est déplacée, facilitée par le développement d'Internet et du TGV : les citadins ont implanté leur savoir-faire dans les campagnes où de nombreuses petites entreprises fleurissent. »
On le comprendra, aucun de ces clichés ne mérite une longue réfutation. Ils comportent pourtant une sorte de sens caché : l’optimisme de commande vise à mon sens les propriétaires de pavillons de banlieue proche ou lointaine. Les malgré nous du logement périphérique cherchent une consolation à leur achat (au moins je ne perds pas d’argent), et les dizaines de milliers de croyants, ceux pour qui la hausse des prix de l’immobilier correspond à une loi économique éternelle, l’argument qui les renforce dans leur choix. Dans la deuxième moitié de l’article, Angélique Négroni montre en revanche à juste titre la part prise par d’anciens citadins en quête d’un retour aux sources parmi ceux qui s’installent dans une commune rurale – mais sans rappeler l’importance des retraités dans cette évolution. Il faudrait non pas distinguer, mais rapprocher cette tendance de celle observée chez des étrangers communautaires s’installant à la campagne : dans un cas comme dans l’autre, la campagne a été dans un premier temps idéalisée ! Les déconvenues ne manquent pas, de façon assez logique.
Dans deux articles complémentaires la journaliste complète utilement la thématique principale. Un couple – témoin témoigne : ou comment deux trentenaires qui travaillaient hier à Paris dans le commerce de luxe ont décidé un beau jour de recommencer… A Rochefort sur mer : une commune de 26.000 habitants (!) Ils se sont lancés dans un nouveau métier plein d’avenir – je n’invente rien – la promotion immobilière. C’est l’économie de demain. L’autre article complémentaire reprend plus sérieusement une analyse critique de la périurbanisation. Les périurbains n’échappent nullement au lot commun, même si les apparences poussent à les isoler dans une catégorie précise. Ainsi, lorsqu'une famille achète une deuxième voiture du fait de son éloignement du centre-ville, elle consomme du transport automobile supplémentaire, contribue à la croissance du parc national, et participe en dernier recours à l’encombrement pendulaire des aires urbaines (à l’entrée le matin, vers la sortie le soir).
Angélique Négroni a pour finir interviewé le maire d’une commune du sud du département de l’Indre : Aigurande. Comment a-t-il attiré de nouveaux résidents, à quarante-cinq kilomètres de Châteauroux ? « Halte-garderie, crèche, maison médicale regroupant les généralistes, installation du système ‘Num – mairie – que’ pour régler les problèmes administratifs, création d'une maison des services... Pascal Courtaud, maire PS d'Aigurande, n'a pas lésiné sur les moyens pour enrayer le déclin de sa petite commune de l'Indre qui compte 1 715 âmes. […] Aujourd'hui, ils [ses concitoyens] peuvent même profiter d'un cinéma, qui vient de rouvrir après six ans d'inactivité, ou des services d'un maréchal-ferrant itinérant, fraîchement installé dans la commune. » Des services attirent le chaland... Et le maréchal-ferrant : quel en est le coût total ? Quels impôts les financent ? A combien s’élève la participation du Conseil Général de l’Indre, dont une autre commune – Châteauroux par exemple – ne bénéficiera pas ? Quels enfants scolarisés à Aigurande ne le seront pas ailleurs ? En bref, il est coûteux de transposer la ville à la campagne. Ne pas confondre attirer le chaland et accueillir un maréchal-ferrant…
De ce dernier, on ne voit pas vraiment ce qu’il attendait de l’institut BVA. S’agissait-il de confirmer les agriculteurs dans leur crainte de voir le monde rural envahi par des (néo-) citadins, ou au contraire de rassurer ceux qui vont vendre leur propriété, sur la forte demande de terrains constructibles ? Dans cette dernière hypothèse, la pression des (néo-) citadins garantit aux futurs retraités une confortable plus-value. Elle donne de surcroît aux jeunes agriculteurs commençant dans le métier, l’assurance que les sommes investies dans le foncier ne s’évaporeront pas avec le temps.
Dans la vie rêvée d’Angélique Négroni, la France compte huit millions d’habitants des villes. L’INSEE ne confirme pas ce chiffre, puisque la population urbaine atteint environ 47 millions de Français, dont 35 au minimum résident dans ou autour d’un pole urbain. L’aire urbaine de Paris représente, à elle seule, près de 12 millions d’habitants. Quatre Français sur dix vivent dans l’une ou l’autre des vingt-cinq plus grandes aires urbaines, c’est-à-dire 26 millions pour un total de 63 millions de Français [statistiques]. Cette tendance s’accentue plus qu’elle ne se retourne. Entre 1990 et 1999, le nombre de Français a cru au rythme annuel moyen de 0,34 % (de 56,71 à 58,65 = + 1,94 million). Seulement huit aires urbaines connaissent un taux de croissance inférieur à la moyenne : Metz (+ 0,33 %), Paris (+ 0,32 %), Lille (+ 0,32 %), Rouen (+ 0,29 %), Nancy (+ 0,11 %), Valenciennes (– 0,02 %), Douai – Lens (– 0,17 %), et Saint – Etienne (– 0,72 %). Trois aires urbaines restent en réalité dans le sillage de la moyenne nationale. Comme pour insister encore sur la tendance au renforcement du poids démographique des plus grandes aires urbaines, le tableau indique également les plus forts taux de croissance : Montpellier (six fois le taux de croissance nationale, à + 1,88 %), Toulouse (près de cinq fois, à + 1,53 %), Rennes (+ 1,31 %), ou encore Nantes (+ 1,10 %).
Il n’empêche : « Les villages se repeuplent : ce phénomène constaté il y a une dizaine d'années ne cesse de s'amplifier. » Passé l’interprétation du sondage hasardeux pointe enfin le contresens : « Combien sautent le pas ? [Consistant à changer de vie (…)] Impossible à dire avec précision mais, selon le dernier recensement de l'Insee, les zones rurales à la grande périphérie des villes connaissent une poussée démographique. » Voilà le pot aux roses. Plutôt que de parler du développement des périphéries urbaines – en un mot de la périurbanisation, cet étalement des aires urbaines qui grignote année après année les paysages ruraux – la journaliste préfère une formule généreuse et générique. Elle évite les mots qui fâchent, sur la flambée artificielle des prix qui repousse par obligation et non par choix de nombreux ménages en périphérie, et renvoient une image obséquieusement positive des quelques 10 millions de périurbains français.
« De plus en plus de citadins sont décidés à délaisser les embouteillages et les logements étroits pour le grand air et les vastes étendues de verdure. » Mais qui sont ces amoureux des bouchons et des logements exigus auxquels fait allusion Angélique Négroni sans même s’en rendre compte ? La journaliste donne involontairement une autre série d’indices : la société périurbaine « C'est la société barbecue où les liens sociaux sont structurés par la culture des vacances. La maison n'est plus seulement ouverte à la famille mais de plus en plus aussi aux amis ». Les choses s’éclaircissent : le citadin exècre les barbecues, les piscines, les vacances et vit dans une caverne, comme un asocial. A moins qu’il ne soit aussi un parasite inactif ? Je cite à nouveau la journaliste : « l'économie s'est déplacée, facilitée par le développement d'Internet et du TGV : les citadins ont implanté leur savoir-faire dans les campagnes où de nombreuses petites entreprises fleurissent. »
On le comprendra, aucun de ces clichés ne mérite une longue réfutation. Ils comportent pourtant une sorte de sens caché : l’optimisme de commande vise à mon sens les propriétaires de pavillons de banlieue proche ou lointaine. Les malgré nous du logement périphérique cherchent une consolation à leur achat (au moins je ne perds pas d’argent), et les dizaines de milliers de croyants, ceux pour qui la hausse des prix de l’immobilier correspond à une loi économique éternelle, l’argument qui les renforce dans leur choix. Dans la deuxième moitié de l’article, Angélique Négroni montre en revanche à juste titre la part prise par d’anciens citadins en quête d’un retour aux sources parmi ceux qui s’installent dans une commune rurale – mais sans rappeler l’importance des retraités dans cette évolution. Il faudrait non pas distinguer, mais rapprocher cette tendance de celle observée chez des étrangers communautaires s’installant à la campagne : dans un cas comme dans l’autre, la campagne a été dans un premier temps idéalisée ! Les déconvenues ne manquent pas, de façon assez logique.
Dans deux articles complémentaires la journaliste complète utilement la thématique principale. Un couple – témoin témoigne : ou comment deux trentenaires qui travaillaient hier à Paris dans le commerce de luxe ont décidé un beau jour de recommencer… A Rochefort sur mer : une commune de 26.000 habitants (!) Ils se sont lancés dans un nouveau métier plein d’avenir – je n’invente rien – la promotion immobilière. C’est l’économie de demain. L’autre article complémentaire reprend plus sérieusement une analyse critique de la périurbanisation. Les périurbains n’échappent nullement au lot commun, même si les apparences poussent à les isoler dans une catégorie précise. Ainsi, lorsqu'une famille achète une deuxième voiture du fait de son éloignement du centre-ville, elle consomme du transport automobile supplémentaire, contribue à la croissance du parc national, et participe en dernier recours à l’encombrement pendulaire des aires urbaines (à l’entrée le matin, vers la sortie le soir).
Angélique Négroni a pour finir interviewé le maire d’une commune du sud du département de l’Indre : Aigurande. Comment a-t-il attiré de nouveaux résidents, à quarante-cinq kilomètres de Châteauroux ? « Halte-garderie, crèche, maison médicale regroupant les généralistes, installation du système ‘Num – mairie – que’ pour régler les problèmes administratifs, création d'une maison des services... Pascal Courtaud, maire PS d'Aigurande, n'a pas lésiné sur les moyens pour enrayer le déclin de sa petite commune de l'Indre qui compte 1 715 âmes. […] Aujourd'hui, ils [ses concitoyens] peuvent même profiter d'un cinéma, qui vient de rouvrir après six ans d'inactivité, ou des services d'un maréchal-ferrant itinérant, fraîchement installé dans la commune. » Des services attirent le chaland... Et le maréchal-ferrant : quel en est le coût total ? Quels impôts les financent ? A combien s’élève la participation du Conseil Général de l’Indre, dont une autre commune – Châteauroux par exemple – ne bénéficiera pas ? Quels enfants scolarisés à Aigurande ne le seront pas ailleurs ? En bref, il est coûteux de transposer la ville à la campagne. Ne pas confondre attirer le chaland et accueillir un maréchal-ferrant…
PS./ Dernier papier sur la périurbanisation : La périurbanisation, collectivisme géographique ?
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