jeudi 24 juin 2010

Les nouveaux pharisiens du réchauffement climatique.

Celui qui fait profession d’enseigner, d’écrire ou de transmettre un savoir ne peut qu’accepter son imperfection. Il prend même consciemment le risque de proférer des erreurs, par simple étourderie, par négligence, par manque de travail ou lorsque emporté par la passion, la conviction prime sur la vérité. Faut-il jouer les redresseurs de torts à son encontre ? Je prêche pour une grande tolérance en la matière. Sauf pour les Tartuffes et les pharisiens.

Dans la définition du Robert, ceux-ci sont les « membres d’une secte puritaine d’Israël (Antiquité) […] 2. (littér., péj.) Personne hypocrite et sûre d’elle-même. » Les nouveaux pharisiens du réchauffement climatique rentrent pleinement dans la définition : sectarisme, puritanisme et aplomb sans faille. Ni avant ni après avoir parlé ils ne s’excusent. Les admettre serait déjà reconnaître des torts. Ils détiennent LA vérité, proclament une solution. Les convertis croiront ; les autres sont repoussés dans leurs obscurités. Que chacun se fasse sont opinion (ici ) par ce débat organisé par le Monde autour de Sylvie Joussaume, climatologue, membre de la délégation française à la conférence de Paris sur le changement climatique (février 2007). Résumons.

Pour S.J., le Gulf Stream « participe à un grand brassage des océans avec le réchauffement du climat ». Je lis dans mon dictionnaire : « le ‘courant du Golfe’, courant marin chaud de l’Atlantique, né dans le golfe du Mexique. Il adoucit le climat de l’Europe occidentale. » En réalité, c’est la Dérive Nord – Atlantique qui forme – à mi-chemin de l’océan – la ramification principale du courant précédent. Celle-ci se prolonge jusqu’à l’extrémité septentrionale de la Scandinavie, toujours préservée de la banquise arctique en hiver.

Selon S.J., « les nouvelles estimations du groupe 1 du GIEC viennent de redonner une nouvelle estimation de l'activité du Soleil montrant que son impact sur le bilan énergétique de la Terre est dix fois plus faible que celui qui résulte des activités humaines ». Mais la Terre est une planète, et non une étoile. Elle reçoit donc beaucoup plus d’énergie qu’elle n’en émet ; que l’activité humaine influe sur ce bilan naturellement déséquilibré ne démontre rien ! Le Soleil joue un rôle essentiel dans les moyennes de températures terrestres. La latitude permet avant tout autre mécanisme de comprendre ce qui distingue les régions équatoriales des régions polaires. Dans le premier cas, les rayons du soleil traversent l’atmosphère dans son épaisseur la plus réduite et arrivent au sol à la verticale. Au-delà du cercle polaire, le même rayonnement ricoche en partie sur l’atmosphère qu’il doit ensuite traverser en diagonale pour aboutir en angle fermé au sol. D’un côté, les moyennes de températures sont douze mois par an supérieures à 25 °C, de l’autre, de trois à six mois, elles dépassent tout juste le seuil de 0°C.

Selon S.J., « La glace qui est sur les océans lorsqu'elle fond ne fait pas changer le niveau de la mer. Par contre, celle qui est sur les continents fait changer le niveau de la mer. » La banquise perd du volume ( – ) en fondant ( + ). Les deux actions s’annulent. Sauf que lorsque la banquise se retire très au nord dans l’océan glacial arctique, l’élévation des températures vaut aussi pour l’inlandsis le plus important de l’hémisphère nord : le Groenland. Le distinguo ne tient donc pas. La fonte de la glace dans ce dernier cas produit un surplus d’eau net dans l’océan. Lors du maximum du Wurm – dernière phase (III) de la dernière glaciation en date de l’ère Quaternaire – il y a trente-cinq mille ans, les niveaux marins se situaient 120 mètres en dessous du niveau actuel. Depuis cette date, la transgression ou élévation n’a jamais cessé. Fallait-il qu’elle s’arrêtât au niveau 0 ?

Selon S.J., « on observe dans certaines régions une augmentation de l'intensité des cyclones tropicaux. » Que cette affirmation soit fort débattue ne compte pas. Elle renonce à bâtir une amorce de démonstration. On attendrait pourtant qu’elle rappelle à quel point la science des cyclones est récente, avec un peu plus d’un demi-siècle d’existence. Contrairement à d’autres risques naturels, l’archéologie n’est ici pas praticable : pas de traces analysables comme pour les éruptions volcaniques (coulées, cendres déposées), les séismes (ruptures géologiques et failles), ou raz-de-marée anciens. La mémoire humaine ne laisse que des points d'interrogation : il est difficile d’extrapoler sur ce qu’aurait produit tel ou tel passage de cyclone sur des installations électriques, des industries ou des villes qui n’existaient pas alors…

Selon S.J., « un changement d'un seul degré correspond à un climat assez différent, mais [que] plus la température s'élève, plus évidemment ces changements auront d'impact. » Mais le climat résulte de l’interaction entre les températures et les précipitations. Difficilement modélisables, celles-ci passent manifestement aux oubliettes. A tort : il existe sur la planète une éventail qui commence à 0 mm de précipitations dans les déserts absolus (Atacama) et culmine à plus de 10 000 mm de précipitations, sur les contreforts des chaînes himalayennes. Réparties sur l’année (climats océanique pur, ou équatorial), les pluies peuvent tomber de façon saisonnière (mousson asiatique) ou au contraire totalement aléatoires. La vie dépend beaucoup plus de ces données que des moyennes de températures !

Selon S.J., la première manifestation du réchauffement climatique en France est déjà arrivée : « on voit un peu se dessiner certains grands traits, comme l'augmentation des vagues de chaleur, qui, pour un scénario de forte émission de gaz à effet de serre, ressemblerait à la canicule de 2003, voire serait plus forte. » Pourtant, la position très septentrionale et la puissance de l’anticyclone des Açores (à l’origine du phénomène de canicule en Europe durant l’été 2003) a eu pour conséquence une exceptionnelle saison des pluies en Afrique sud-saharienne, ce dont aucun agriculteur sahélien ne s’est plaint. Certes, quand l’été est pluvieux sur les littoraux français, personne ne s’inquiète d’une aridité dans le Sahel !

En conclusion de l’entretien, et suivant les mêmes sources, « la Terre a déjà connu des niveaux de gaz carbonique très élevés, en particulier il y a cent millions d'années, à l'époque des dinosaures. Ce niveau plus élevé était le résultat d'une activité tectonique plus intense. » Le Jurassique [correction Le Crétacé] se termine il y a 65 millions d’années par l’extinction de 80 % des espèces vivantes, dinosaures compris, à cause d’une chute de météorite sur le Yucatan (au Mexique). C’est en revanche ce qu’on a appelé la crise du Permien (- 250 millions d’années) qui résulte d’une crise volcanique intense.

Le lecteur se forgera son opinion. A mes yeux, l’environnementalisme prend toutes les apparences dans cet exemple d’un pharisianisme des temps modernes. Les commentateurs mettent au centre du débat, non une analyse fondée mais des slogans qui au pire induisent en erreur, au mieux enfoncent des portes ouvertes ; pour être particulièrement précis, il ne faudrait pas parler de réchauffement climatique. Celui-ci a commencé il y a environ 35 000 ans et ne déclenche aucune polémique ; la communauté scientifique discute précisément d’une accélération du réchauffement depuis deux siècles. L’autre expression de changement climatique surgissant ici ou là dans les médias révèle il est vrai une ignorance bien plus profonde : LE climat ne fonctionne pas comme un manège d’enfants, avec un cycle et une vitesse de tous temps et à jamais fixés dans le marbre.

Sylvie Joussaume ne reprend pas à son compte l’expression, mais accrédite une idée similaire, en personnifiant le climat. N’a-t-on pas affaire à un polythéisme moderne ? Il faut lire ici econoclaste, qui associe écologisme et religion de substitution. Peut-on changer artificiellement le climat, demande-t-on à Sylvie Joussaume ? « Je pense qu'il est dangereux qu'on puisse contrôler le climat dans la mesure où c'est un système complexe et qu'en voulant améliorer d'un côté, on risque de détériorer de l'autre. » Il faut rejoindre le groupe des pleureuses : l’urgence d’agir ne souffrirait aucun retard, mais on ne trouve aucune recommandation concrète. Le ton est au catastrophisme vague.

Pour le Gulf Stream ? « On s'attend à ce que cette circulation diminue. On ne prévoit pas en effet pour le moment, qu'elle s'arrête complètement. » […] La fonte des glaciers ? Elle « est prise en compte dans les scénarios du GIEC conduisant en 2100 à des estimations allant jusqu'à environ 50 cm d'élévation du niveau de la mer. Des incertitudes restent cependant sur les mécanismes de fonte des glaciers qui pourraient accélérer leur fonte. » […] Les cyclones ? « On observe dans certaines régions une augmentation de l'intensité des cyclones tropicaux, et on annonce que cette intensité va vraisemblablement encore augmenter dans le futur. » L’élévation des températures moyennes ? « Le chiffre de 2 degrés est souvent avancé. […] Si le niveau d'émission reste élevé, l'estimation donnée comme la meilleure est de 4 degrés mais pourrait même atteindre 6,4 degrés. Si, au contraire, les émissions diminuent, la meilleure estimation serait de 1,8 degré et éventuellement aussi basse que 1,1 degré. »

Les néo – pharisiens m’ennuient, qui fustigent les incrédules, prêchent la contrition collective, recommandent la bonne observance ou dressent la liste des multiples interdits ; mais au fond qu’y puis-je ? Je suis juste assez vieux pour avoir connu les Pharisiens de la génération précédente. Leur loi était celle du Progrès sans fin et sans nuages de l’humanité. Les déçus d’hier ne comblent-ils pas les rangs des convertis du moment ? Pendant ce temps, les scientifiques continuent à faire progresser la connaissance universelle, mais dans de très nombreux domaines, l’avancée des recherches laisse très en arrière le grand public même un peu cultivé. Cela rend difficile la tâche du vulgarisateur, balancé entre le trop et le pas assez. Mais nul ne peut prévoir l’avenir. A problèmes complexes, réponses complexes.

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