mardi 15 juin 2010

L'Ibère est rude... (De l'union entre l'Espagne et le Portugal)

Avant que le Courrier International n°833 n’arrive dans les kiosques (c’est-à-dire demain), je m’empresse de conseiller à mon lecteur le précédent numéro. Ma curiosité s’est portée non sur un article discrètement remis en page par la rédaction de l’hebdomadaire. Il se présente comme un synthèse de plusieurs articles de journaux espagnols et portugais, le tout sous un dénominateur commun, l’Ibérisme : Où l’on reparle d’une Union ibérique (€). L’accroche choisie par l’auteur anonyme est un sondage. Celui-ci fait apparaître que plus d’un quart des Portugais verrait d’un bon œil l’union de leur pays avec son voisin oriental.
Les arguments géo – économiques ne manquent pas pour étayer cette opinion, comme le rappelle l’auteur. Viennent s’y ajouter les faits culturels ; l’auteur cite un Lisboète : ‘Nous partageons les mêmes icones littéraires et footballistiques, les plages et la gastronomie.’ (Sic !) Malheureusement, si l’on suit toujours l’auteur de l’article, les opposants forment des bataillons entiers. C’est plus particulièrement cette dernière catégorie qui m’intéresse dans l’article, car l’on y trouve une collection d’inepties. On peut en outre constater qu’un raisonnement dont les arguments ont été forgés pour conduire à une conclusion préparée à l’avance est un sophisme (au mieux, une opinion).
Le sociologue et ancien ministre cité – peu importe son nom – veut voir dans le lien entre le Portugal et l’Espagne une sorte de transposition de l’Irlande avec le Royaume – Uni ; proposition irrecevable d’abord parce que le Royaume Uni comprend l’Irlande du nord (au contraire de la Grande – Bretagne). Pour lui, ‘personne ne songe à douter de l’indépendance de Dublin par rapport à Londres.’ Le problème est qu’une mer – appelée mer d’Irlande – sépare les deux îles dites britanniques : ce qui n’est pas le cas entre le Portugal et l’Espagne, faut-il le préciser ? Cette même personne se trompe en outre sur l’ancienneté des routes commerciales irriguant la péninsule. Elles ne sont pas aussi récentes qu’il l’imagine, et datent de la haute Antiquité. Elles précèdent donc dans le temps toutes les relations équivalentes entre villes et régions du nord de l’Europe.
Le journaliste espagnol d’El Pais convoqué enfin par l’auteur anonyme infirme lui-aussi le présupposé du titre. Non, l’unité de la péninsule ibérique ne correspondrait à rien : et tant pis pour l’histoire, la géographie, l’économie, etc. Ses arguments sont d’une part que les nationalistes portugais n’aiment pas l’Espagne. Mais les nationalistes espagnols n’aiment pas davantage la France. Et les nationalistes français détestent l’Allemagne ou l’Angleterre. N’est-ce pas là justement la principale caractéristique de la pensée nationaliste que d’être contre son voisin, de se construire en opposition ?!
Son deuxième argument ressemble à un lieu commun : les régionalismes en Espagne sont déjà tellement poussés au plan institutionnel qu’une union des deux pays conduirait à un éclatement de l’Espagne. Son troisième argument est qu’une union ibérique amènerait les Espagnols à s’appauvrir au profit du Portugal ; la rentrée des deux pays dans la CEE en 1986 en est probablement une illustration à ses yeux ? (…) Le meilleur est pour la fin : ‘enfin, les frontières de l’Europe occidentale ont été plus ou moins définies avant le 15ème siècle. » Je reste coi.
En conclusion, l’unité de la péninsule doit bien plus à l’histoire, à la géographie qu’à l’économie. Celle-ci me paraît en l’occurrence balayer les illusions de tous ceux qui considèrent à tort le monde comme une émanation des cartes politiques nées au 19ème siècle, très récemment à l’échelle de l’histoire humaine. Les cartes tentent au contraire de retranscrire le moins maladroitement possible la complexité du monde. Dans le cas de la péninsule ibérique, les Phéniciens, les Romains, les conquérants arabo-musulmans, ainsi que les souverains de Castille, d’Aragon et du Portugal ont raisonné de façon globale, à l’échelle de la péninsule. Pendant la guerre d’Espagne, le soutien de Salazar a beaucoup pesé dans la balance pour le succès des Nationalistes.
Car les faits géographiques sont tenaces. La péninsule se répartit en trois zones bio – climatiques (océanique, semi-continentale du fait des altitudes moyennes de la meseta, et méditerranéenne), pour les deux premières recoupées par les frontières politiques. La péninsule se compartimente de surcroît en trois ou quatre grands bassins hydrographiques. Dans le cas du Douro et du Tage, les deux fleuves prennent leur source dans le centre – Est de la péninsule et s’écoulent vers l’Atlantique, recoupant dans le sens Est – Ouest la frontière (N/S) entre le Portugal et l’Espagne. Du point de vue linguistique enfin, il est très probable qu’un Galicien non castillan comprenne un Portugais, mais pas un Brésilien ou un Angolais. Où l’on devrait reparler d’une Union ibérique…

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