samedi 26 juin 2010

Mon père est mort ce soir

Alain de Larivière
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25 juin 1934 (Nancy) - 2 avril 2008 (Pessac)

Comme Pompidou, il est mort le 2 avril. Mourir un 1er avril, cela ne faisait pas sérieux. Remarquez, il aimait bien Pompidou. Toujours plus que son prédécesseur, le grand Charles. Pour tout dire, celui qui se risquait à prononcer les deux mots devait s´attendre à la tirade du nez. C´est un pic, c´est un cap sous le mode anti-gaulliste. Plus encore que l´évocation du général De Gaulle, celle des gaullistes déclenchait grognements, soufflements, énervements et gesticulations. Alain ricanait à la lecture des chroniques nécrologiques annonçant la mort de telle ou telle figure du gaullisme. Notre cher défunt reconnaissait avoir fait une exception pour l´actuel président de la République. Des goûts et des couleurs, on ne discute pas. Pour qui s´essayait - ces temps derniers - à brocarder tel écart de conduite, ou telle mesure gouvernementale, Alain optait pour un silence (apparemment) finalement rompu par une entame de conversation sur un tout autre sujet.De toutes façons, Alain n´était modéré en rien. Serviteur de l´Etat pendant trente-sept ans, il aimait l´armée avec un grand A ; comme sa première famille, plus encore que la seconde. Le fils de poilu épousait une pupille de la nation, fille d´officier mort pour la France en 1941. Le maintien de l´ordre en Algérie, suivi d´années de service bien remplies. Les incendies des Landes, la pollution de l'Amoco, les étudiants dans la rue. Mais toujours, les appelés. Avec les années 1980, l´armée de papa a commencé à donner des signes de faiblesse, et lui ne décolérait pas : contre les fossoyeurs du service militaire et contre les hommes politiques ignorants du métier des armes, contre les vendeurs de caserne et contre les officiers marchands d´armes, contre les industriels dévoreurs de budgets militaires et contre les propagandistes d´une arme nucléaire toujours inutilisée. Alain avait une fois pour toutes renoncé à la nuance. Il épuisait son auditoire de ses condamnations définitives. Les ventripotents exposant leurs rondeurs, les nudistes montrant leurs... attributs, les ecclésiastiques en chemise à fleurs, les sédentaires ne faisant pas assez d´exercice, les gens qui boivent trop, ceux qui ne lisent pas assez, les syndicalistes le poing levé, les psys bons à enfermer, les clochards traînant avec leurs chiens, les jeunes mal rasés. La liste restait ouverte.Il prenait en revanche un menu plaisir à faire ce que personne n´aime. Il n´éprouvait aucune réticence à parler avec les commerçants, à plaisanter avec un inconnu rencontré quelques minutes plus tôt. Contrairement à d´autres, il anticipait le réveil du matin, l´heure de la messe, l´heure d´un rendez-vous, le moment de payer ses impôts. L´homme de devoir ne rechignait devant aucun pensum. Alors que d´autres traînaient la patte, lui ne tardait jamais à régler une facture salée ou une contravention, ne se plaignait pas d'un contrôle d´identité en voiture ; tout juste s'il ne félicitait pas le gendarme. Il aurait été en d´autres temps plus légitimiste que le roi, plus ultramontain que le pape. Conservateur dans l´âme, Alain répugnait à prendre des décisions. Un comble pour un officier. Son goût pour les vieilles choses, les maisons de retraite, les personnes âgées, s´étendait aux cimetières, en particulier militaires. Affecté à Nancy, il n´hésitait sur aucun déplacement dominical, à Verdun, au mémorial de Saint-Mihiel, sur les sites fortifiés de la ligne Séré de Rivière, ou encore sur les ouvrages de la ligne Maginot. Pas une visite d´église ne se passait sans une station devant la plaque commémorant les morts de la Grande Guerre. Amateur d´histoires, jusqu´à celles qu´il prenait plaisir à lire à ses petits-enfants, il repoussait bien des éléments de la vie moderne : la télévision, les ordinateurs, les téléphones portables.Il mangeait peu, restait sobre, payait trois fois son prix de départ un appareil moultes fois tombé en panne. Alain ne jetait le moindre cordelette ou le petit élastique que contraint et forcé, gémissant comme une mère à qui on arrache un enfant. Mon verre est petit mais je bois dans mon verre. Eternellement satisfait de ce qu´il avait, il consommait avec parcimonie. Une haie plantée dans le jardin, ou l´aménagement de son appartement : tout devenait immuable. Alain ne ressentait pas l´intérêt de bouger un tapis, de déplacer un meuble, de repeindre un mur ou de mettre aux normes l´électricité. Au piano, il préférait souvent les exercices et ne se lassait jamais d´un morceau. Ce qui était convenait. L´homme des besoins minimums vivait sereinement dans une société des achats sans fin. D´une droiture et d´une rectitude morale exemplaires, Alain fut souvent agaçant pour les siens. Il adorait sa femme mais la présentait comme caractérielle à qui l´interrogeait sur tel ou tel problème domestique. Ses enfants lui manquaient dès le pas-de-porte passé, et il portait comme une blessure jamais refermée la mort de ses enfants et petit enfant. Avide de conversations téléphoniques les plus anodines, les mots affectueux restaient pourtant coincés au travers de sa gorge. Même d´appeler par le prénom lui coûtait, et il préférait recourir aux périphrases : mon fils, monsieur le professeur... A ses frères et soeurs, Alain n´offrait pas toujours son meilleur visage, mais ne se montrait rancunier contre aucun, prêt à rendre service à qui le demandait. En famille, il aimait tellement les uns et les autres individuellement qu´il renonçait à faire taire les querelleurs, à aplanir les difficultés, à jouer un rôle de chef. Lui, le général. C´est à ce titre, et à l´issue de cette (trop) longue épître, que j´adresse en son nom un merci doublé d´un pardon. Imaginez le premier à la hauteur de son âme. Quant au second, je vous recommande bien sûr la plus grande mansuétude. Croyez bien cependant que l´auteur de ces lignes n´est pas le moins à même de s´exprimer. Et puisque je dois en finir, c´est encore à Cyrano que je pense. Affaibli par la maladie et une opération au rein, alité pendant plusieurs jours Papa n´a pas attendu la camarde. Il a marché vers elle, sans canne et sans épée. Tombé à terre, il n´a pas renoncé à se battre. Il avait en effet un trait de caractère qui ne se résume pas en deux lettres à l´état - civil, et qui vient du coeur. La noblesse.

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