vendredi 25 juin 2010

A Lindry, personne n’y pense, mais tout le monde rit (chronique sur une commune ‘rurbaine’ de l’Auxerrois)

Lindry se situe dans l’Yonne, à 15 kilomètres à l’ouest d’Auxerre. Le bulletin de cette municipalité bourguignonne (Lindry Communication n°56 / mai 2007) annonce 1.273 habitants, un peu au-dessus de ce qu’annonçait l’INSEE en début d’année : 1.176 habitants en 2006, contre 949 en 1999 (progression annuelle moyenne : 3,1 %). La feuille communale en papier glacé m’est tombée entre les mains la semaine dernière. Tournons les pages.
Elle ouvre sur le budget prévisionnel. A Lindry, les recettes équilibrent les dépenses (723.000 contre 719.000 euros), le remboursement des emprunts s’élevant à 49.000 euros. La dotation de l’Etat couvre à elle seule un quart des recettes (179.000 €). Dans la colonne des investissements nets se détachent quelques postes de dépense comme l’extension du réseau électrique (97.000 €) et l’amélioration de la voierie (70.000 €). Le bulletin précise qu’il s’agit pour l'essentiel du renouvellement des enrobés et de la pose de buses. Les sommes rétrocédées par l’Etat servent donc tout juste au développement démographique et spatial de Lindry. Les néo – ruraux de Lindry apportent leur lot de nouvelles exigences, une offre de services jusque là caractéristique d’Auxerre, la grande ville proche. Le bulletin évoque un peu plus loin l’actualisation du zonage d’assainissement, c’est-à-dire la promesse de nouveaux élargissements… Sur les routes de la commune, on circule mieux, mais aussi plus nombreux : à ce titre, une page intérieure est consacrée à l’aggravation des dépassements de vitesse dont une partie des habitants se plaignent ; sans sembler saisir la contradiction entre l’amélioration de la voirie et l’augmentation du trafic !
Viennent ensuite les dépenses engagées dans l’agrandissement de l’atelier communal, mais également dans la réfection d’une épicerie (23.000 €). Il faut croire que celle-ci ne dégage pas autant de bénéfices que ne le souhaiterait l’équipe municipale. Pour maintenir un petit commerce au milieu de la commune, on affecte une part du budget municipal. Dans quelle agglomération un peu plus importante, le maire consacrera-t-il une partie des impôts à subventionner des services marchands privés ? A vrai dire, l’idée ne lui viendrait même pas, pour peu que la demande suffise à animer la vie commerciale locale. Si l’épicerie de Lindry survit grâce à des subsides publics, c’est que les clients sont trop rares, et que les habitants vont faire leurs courses un peu plus loin, dans une grande surface d’Auxerre, par exemple. Leurs achats de proximité (le pain et le journal) ou de complément – un ingrédient de dernière minute oublié – ne permettent pas à un commerce de vivre par lui-même…
Dans les pages gestion communale, on apprend l’inauguration d’un troisième site pour le tri sélectif. Le chroniqueur insiste néanmoins sur le rappel des gestes citoyens. Il faut pour bien comprendre imaginer l’emplacement des sites à un croisement, au bord du cimetière, un peu éloignés des habitations. A Lindry, l’accroissement démographique produit un étalement pavillonnaire en rubans, le long des routes reliant entre eux les différents hameaux. Dans ces conditions, les containers se transforment vite en décharge de substitution ; ni vu ni connu. Ainsi peut-on lire en creux la liste des objets indésirables abandonnés au pied des cuves de bouteilles cassées : « Pas de vitrages, pare-brise, miroirs, tubes néon, etc. Ce ne sont pas des emballages ; et ces produits ne sont pas recyclables… Pas de cubitainers à vin : ils sont déjà en matériaux recyclés et ne peuvent être recyclés une seconde fois. Pas de vieux cartons ou cageots qui pourrissent au gré des intempéries. Un troisième geste citoyen : vider préalablement les récipients de leurs contenus (cela évitera les odeurs et les arrivées d’insectes (guêpes, etc.) ».
Aussi caractéristique de l’étalement périurbain – tout est à tout le monde et rien n’est à personne – qui rend impossible l’autorégulation propre aux populations citadines et délicate l'action des forces de l'ordre, Lindry Communication recense les actes de vandalisme les plus récents. « Le 4 janvier, pour la [n]ième fois, les vestiaires du stade de Lindry ont été fracturés. […] Les portes renforcées ne sont pas un obstacle pour les casseurs qui utilisent aussi des moyens… renforcés ! […] Début mars, c’était au tour du terrain principal d’être vandalisé : un véhicule à 4 roues [sic !] a sillonné en tous sens le terrain déjà fragilisé par les pluies. » Le billet se termine sur le rappel d’un autre vol, celui des portes sécurisant l’entrée du château d’eau. Qu’en conclut l’auteur ? « Quand des mouvements suspects attirent votre attention, n’hésitez pas à les signaler à la gendarmerie. » Chacun jugera la pertinence de la recommandation. Aux élections de 2002, Lindry avait attiré l'attention d'un journaliste du Monde.
L’église [voir les cloches… ] aussi se dégrade : l’architecte agréé évalue à plus d’un million d’euros le montant total des réparations. La première tranche en représentait un tiers, sous condition d’une participation de l’Etat et des collectivités locales. En fin de compte, seuls les travaux les plus urgents seront financés en 2007, à hauteur de 11.500 euros. Les aides publiques dépendent de critères très précis, en particulier l’inscription à l’Inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques ; l’église de Lindry répondant à ce critère, les aides peuvent couvrir jusqu’à 80 % de la facture finale. Le chroniqueur prend plaisir à noter les incohérences de la politique patrimoniale : « la Région ayant prévu en accord avec l’Etat de mettre l’accent sur le patrimoine rural non protégé [… Cela] exclut les églises inscrites. » On retombe là dans les travers du saupoudrage déjà mis en évidence. Pendant ce temps, le chantier de restauration de la cathédrale d’Auxerre (photo avant les travaux) s’étire sur une décennie .
En page 16 du bulletin municipal, son directeur s’exprime pour finir sur la question suivante : « Les communes doivent-elles financer les écoles privées ? » C’est l’ultime démonstration des impasses théoriques et pratiques de la périurbanisation. Le papier commence par le rappel d’une loi datant du 13 août 2004. « Elle prévoit que les communes devront financer les écoles privées (y compris hors de leur territoire), en plus de l’obligation qui leur est faite de payer l’ensemble des dépenses pour l’école publique. » Pour l’auteur, cette loi instaure une injustice, alors qu’elle fixe le dédommagement de ce que l’on appelle une délégation de service public. L’école privée ici montrée du doigt assume en effet une mission bien définie : la scolarité d’enfants de moins de 16 ans déclarée obligatoire en France. Puisqu’elle prend en charge les enfants et répond à un cahier des charges très strict de la part du ministère de l’Education Nationale, l’école privée reçoit en contrepartie un défraiement calculé par enfant (ici, 750 euros).
Notre directeur s’indigne. La Direction diocésaine a rappelé à l’ordre par courrier la commune de Lindry, lui enjoignant de se plier à la règle précédente : payer sept fois 750 euros, pour les sept enfants suivant une scolarité dans les écoles privées de la région. Mais l’auteur se veut rassurant pour ses lecteurs : les investissements réalisés dans l’accueil des enfants du primaire à Lindry épargnent à la commune une taxe trop lourde. Ailleurs, « les communes les plus modestes devront à la fois financer l’école privée et l’école public : voilà une bien belle façon d’organiser la fuite des écoles publiques rurales, de supprimer autant de postes d’enseignants dans le public, et de faire peser de lourdes charges sur les budgets étriqué des petites communes. » La tonalité de l’article est à l’avenant, et j’éviterai de relancer la vieille et inépuisable querelle entre enseignement public et enseignement privé. Les injustices jouent dans tous les sens, faut-il le rappeler ? Car les parents payant pour leurs enfants une inscription dans des établissements privés ne peuvent s’en prévaloir pour faire baisser leurs impôts ; ces mêmes impôts qui financent pourtant l’enseignement public dont ils ne veulent pas pour leurs enfants !
Mais au-delà, l’offusqué passe sous silence que l’école primaire de Lindry n’est qu’une structure artificielle produit de la périurbanisation. Combien d’actifs travaillent sur la commune ? Combien de parents possèdent leur résidence dans la commune aujourd’hui périurbaine et travaillent dans la grande ville proche ? L’école communale concurrence directement les écoles primaires d’Auxerre ; autant d’élèves de la première qui manqueront dans les autres. Pendant ce temps, la population auxerroise vieillit, (cf les chiffres de la mortalité passant de 2.600 décès en moyenne entre 1975 et 1982 à 3.700 décès entre 1990 et 1999) et stagne globalement [INSEE] : 38.300 en 1975, 37.800 en 1999 et 37.500 en 2006 [INSEE - Enquêtes annuelles de recensement de 2004 à 2006]. Mais à Lindry, personne n'y pense et tout le monde rit.

P.S./ Dernier papier sur la périurbanisation : Ne pas confondre changer 'les Hauts du Lièvre' et poser un lapin.

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