PRESENTATION du PROBLEME / Après le Kosovo, l’Abkhazie ? Le Kosovo sera-t-il un précédent pour les peuples du Caucase ? Deux spécialistes en débattent.
Thomas de Wall, spécialiste du Caucase, Institute of War and Peace Report (Londres) : « Beaucoup d’observateurs occidentaux estiment que le Kosovo est un cas particulier. Je ne suis pas d’accord. Les événements créent des précédents, que cela plaise ou non aux grands dirigeants mondiaux, et mieux vaut s’y être préparé.
Prenons maintenant le cas de l’Abkhazie. Certes, tous les conflits sont différents, mais il existe toutefois une ressemblance fondamentale : il s’agit de deux peuples minoritaires qui se sentaient emprisonnés contre leur gré dans un Etat ayant récemment accédé à l’indépendance, après l’implosion d’une fédération multiethnique de l’ère communiste. Mais je n’affirme pas que l’Abkhazie accèdera nécessairement à l’indépendance – un arrangement par traité pourrait au bout du compte être la meilleure solution. J’affirme, en revanche, que les Abkhazes ont le droit de présenter leurs arguments. »
Zeyno Baran, Centre d’études politiques eurasiatiques, Hudson Institute (Washington) :
« Au vu de la démographie, de l’histoire et de la géopolitique, je ne suis pas d’accord avec l’affirmation selon laquelle les deux cas présenteraient ‘une ressemblance fondamentale’. Les Albanais du Kosovo étaient mécontents et ‘se sentaient emprisonnés’ bien avant la chute du communisme. Ils ont été opprimés par les institutions nationales dans leur province même, tout au long de la période communiste – se voyant même refuser la large autonomie accordée aux autres grands groupes ethniques de Yougoslavie, des Slovènes aux Macédoniens.
Les Abkhazes en revanche, n’ont pas connu l’oppression pendant l’ère soviétique : ils ont bénéficié d’un pouvoir politique disproportionné, et ce en vertu de la politique du ‘diviser pour mieux régner’ chère au régime communiste. Il était normal pour eux de se révolter après l’indépendance de la Georgie – non pour abattre les murs de leur prison, mais pour protéger leur statut privilégié de geôliers.
Etant donné le rôle central joué par Moscou dans l’ensemble du conflit abkhaze (depuis le soutien apporté au départ aux forces de ‘soldats de la paix’, en passant par les efforts actuels pour relier le cas de l’Abkhazie à celui du Kosovo), je m’étonne de ne voir quasiment aucune mention de la Russie dans votre argumentation. Car le rôle prépondérant de Moscou en Abkhazie est si déterminant qu’il exclut toute comparaison avec le conflit kosovar. » SOURCE : OpenDemocracy (extraits), Londres.
Après avoir reproduit in extenso ce quart de page de Courrier International [voir n°846 : du 18 au 24 janvier 2007. / P.33.], j’ai voulu extraire le meilleur de ces deux analyses traitant de l’Abkhazie, petite région dissidente du nord de la Georgie. Pour ne garder que les arguments les plus pertinents, j’ai mis de côté les lieux communs et opinions non démontrées : « [T.W.] « Les événements créent des précédents, que cela plaise ou non aux grands dirigeants mondiaux, et mieux vaut s’y être préparé. […] J’affirme, en revanche, que les Abkhazes ont le droit de présenter leurs arguments. » « [Z.B.] je m’étonne de ne voir quasiment aucune mention de la Russie dans votre argumentation. Car le rôle prépondérant de Moscou en Abkhazie est si déterminant qu’il exclut toute comparaison avec le conflit kosovar. »
Dans un deuxième temps, j’ai enlevé les propositions absurdes, les généralisations peu convaincantes et les non-sens : « [T.W.] il s’agit de deux peuples minoritaires qui se sentaient emprisonnés contre leur gré dans un Etat ayant récemment accédé à l’indépendance, après l’implosion d’une fédération multiethnique de l’ère communiste. [NdA : la présence des Albanais et des Abkhazes dans leurs régions respectives précède la création de l’URSS et de la Yougoslavie. Minoritaires, ils le sont seulement à l’échelon de ces deux fédérations, et non à l’intérieur de leur propre entité…] Mais je n’affirme pas que l’Abkhazie accèdera nécessairement à l’indépendance [antiphrase]. » [Z.B.] « Les Albanais du Kosovo étaient mécontents et ‘se sentaient emprisonnés’ bien avant la chute du communisme. [NdA : le mécontentement – s’il y en a un – est-il moindre ?…] Les Abkhazes en revanche, n’ont pas connu l’oppression pendant l’ère soviétique [NdA : où résidaient-ils pourtant, si ce n’est en URSS ?...] Il était normal pour eux de se révolter après l’indépendance de la Georgie – non pour abattre les murs de leur prison, mais pour protéger leur statut privilégié de geôliers. […] le rôle prépondérant de Moscou en Abkhazie est si déterminant qu’il exclut toute comparaison avec le conflit kosovar. »
Je me suis enfin résolu à ne pas retenir les arguments rejetés par l’un ou l’autre des deux interlocuteurs. Cela m’a permis finalement de garder : [T.W.] « Je ne suis pas d’accord. » [Z.B.] « Au vu de la démographie, de l’histoire et de la géopolitique, je ne suis pas d’accord avec l’affirmation selon laquelle les deux cas présenteraient ‘une ressemblance fondamentale’. »
Bizarrement, un arrière-goût d’insatisfaction me reste dans la bouche. Il doit s’agir – j’ose le dire – des questions laissées en suspens par les deux spécialistes. Je me contenterai d’une seule qui aiguise ma curiosité, sur les Abkhazes, et sur les Albanais du Kosovo. Etant donné que les Suisses parlent lentement, que les Belges ne comprennent rien à rien, que les Italiens s’habillent bien, que les Russes boivent de la vodka, que les Français s’apprêtent à voter BIP, je suis déçu de ne pas retrouver dans mon Courrier International les idiotypes des deux premiers peuples, qui me permettraient de bien repérer qui sont ces casse-pieds d’Abkhazes et d’Albanais… Faut-il les ranger dans la catégorie Bons ou dans la catégorie Méchants ? Un lecteur attentionné et éclairé viendra-t-il à mon secours ?
Thomas de Wall, spécialiste du Caucase, Institute of War and Peace Report (Londres) : « Beaucoup d’observateurs occidentaux estiment que le Kosovo est un cas particulier. Je ne suis pas d’accord. Les événements créent des précédents, que cela plaise ou non aux grands dirigeants mondiaux, et mieux vaut s’y être préparé.
Prenons maintenant le cas de l’Abkhazie. Certes, tous les conflits sont différents, mais il existe toutefois une ressemblance fondamentale : il s’agit de deux peuples minoritaires qui se sentaient emprisonnés contre leur gré dans un Etat ayant récemment accédé à l’indépendance, après l’implosion d’une fédération multiethnique de l’ère communiste. Mais je n’affirme pas que l’Abkhazie accèdera nécessairement à l’indépendance – un arrangement par traité pourrait au bout du compte être la meilleure solution. J’affirme, en revanche, que les Abkhazes ont le droit de présenter leurs arguments. »
Zeyno Baran, Centre d’études politiques eurasiatiques, Hudson Institute (Washington) :
« Au vu de la démographie, de l’histoire et de la géopolitique, je ne suis pas d’accord avec l’affirmation selon laquelle les deux cas présenteraient ‘une ressemblance fondamentale’. Les Albanais du Kosovo étaient mécontents et ‘se sentaient emprisonnés’ bien avant la chute du communisme. Ils ont été opprimés par les institutions nationales dans leur province même, tout au long de la période communiste – se voyant même refuser la large autonomie accordée aux autres grands groupes ethniques de Yougoslavie, des Slovènes aux Macédoniens.
Les Abkhazes en revanche, n’ont pas connu l’oppression pendant l’ère soviétique : ils ont bénéficié d’un pouvoir politique disproportionné, et ce en vertu de la politique du ‘diviser pour mieux régner’ chère au régime communiste. Il était normal pour eux de se révolter après l’indépendance de la Georgie – non pour abattre les murs de leur prison, mais pour protéger leur statut privilégié de geôliers.
Etant donné le rôle central joué par Moscou dans l’ensemble du conflit abkhaze (depuis le soutien apporté au départ aux forces de ‘soldats de la paix’, en passant par les efforts actuels pour relier le cas de l’Abkhazie à celui du Kosovo), je m’étonne de ne voir quasiment aucune mention de la Russie dans votre argumentation. Car le rôle prépondérant de Moscou en Abkhazie est si déterminant qu’il exclut toute comparaison avec le conflit kosovar. » SOURCE : OpenDemocracy (extraits), Londres.
Après avoir reproduit in extenso ce quart de page de Courrier International [voir n°846 : du 18 au 24 janvier 2007. / P.33.], j’ai voulu extraire le meilleur de ces deux analyses traitant de l’Abkhazie, petite région dissidente du nord de la Georgie. Pour ne garder que les arguments les plus pertinents, j’ai mis de côté les lieux communs et opinions non démontrées : « [T.W.] « Les événements créent des précédents, que cela plaise ou non aux grands dirigeants mondiaux, et mieux vaut s’y être préparé. […] J’affirme, en revanche, que les Abkhazes ont le droit de présenter leurs arguments. » « [Z.B.] je m’étonne de ne voir quasiment aucune mention de la Russie dans votre argumentation. Car le rôle prépondérant de Moscou en Abkhazie est si déterminant qu’il exclut toute comparaison avec le conflit kosovar. »
Dans un deuxième temps, j’ai enlevé les propositions absurdes, les généralisations peu convaincantes et les non-sens : « [T.W.] il s’agit de deux peuples minoritaires qui se sentaient emprisonnés contre leur gré dans un Etat ayant récemment accédé à l’indépendance, après l’implosion d’une fédération multiethnique de l’ère communiste. [NdA : la présence des Albanais et des Abkhazes dans leurs régions respectives précède la création de l’URSS et de la Yougoslavie. Minoritaires, ils le sont seulement à l’échelon de ces deux fédérations, et non à l’intérieur de leur propre entité…] Mais je n’affirme pas que l’Abkhazie accèdera nécessairement à l’indépendance [antiphrase]. » [Z.B.] « Les Albanais du Kosovo étaient mécontents et ‘se sentaient emprisonnés’ bien avant la chute du communisme. [NdA : le mécontentement – s’il y en a un – est-il moindre ?…] Les Abkhazes en revanche, n’ont pas connu l’oppression pendant l’ère soviétique [NdA : où résidaient-ils pourtant, si ce n’est en URSS ?...] Il était normal pour eux de se révolter après l’indépendance de la Georgie – non pour abattre les murs de leur prison, mais pour protéger leur statut privilégié de geôliers. […] le rôle prépondérant de Moscou en Abkhazie est si déterminant qu’il exclut toute comparaison avec le conflit kosovar. »
Je me suis enfin résolu à ne pas retenir les arguments rejetés par l’un ou l’autre des deux interlocuteurs. Cela m’a permis finalement de garder : [T.W.] « Je ne suis pas d’accord. » [Z.B.] « Au vu de la démographie, de l’histoire et de la géopolitique, je ne suis pas d’accord avec l’affirmation selon laquelle les deux cas présenteraient ‘une ressemblance fondamentale’. »
Bizarrement, un arrière-goût d’insatisfaction me reste dans la bouche. Il doit s’agir – j’ose le dire – des questions laissées en suspens par les deux spécialistes. Je me contenterai d’une seule qui aiguise ma curiosité, sur les Abkhazes, et sur les Albanais du Kosovo. Etant donné que les Suisses parlent lentement, que les Belges ne comprennent rien à rien, que les Italiens s’habillent bien, que les Russes boivent de la vodka, que les Français s’apprêtent à voter BIP, je suis déçu de ne pas retrouver dans mon Courrier International les idiotypes des deux premiers peuples, qui me permettraient de bien repérer qui sont ces casse-pieds d’Abkhazes et d’Albanais… Faut-il les ranger dans la catégorie Bons ou dans la catégorie Méchants ? Un lecteur attentionné et éclairé viendra-t-il à mon secours ?
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