Lisons sur la Chine pour bien saisir pourquoi tout va mal : la journaliste du Monde Diplomatique Martine Bulard livre ce mois-ci une analyse qui - au sens strict du terme - ne vise pas à évoquer la question environnementale. Son propos apparaît dès le titre : « La Chine aux deux visages ». Mais dans une comparaison entre avant et maintenant, il faudrait des critères précis de comparaison, de dates et surtout de lieux ; ainsi, lorsqu’une usine ferme à Pittsburgh mais que cent ouvrent en Californie, les Américains de la Rust belt peuvent espérer trouver un emploi s’ils acceptent de déménager à l’ouest des Rocheuses. Et personne sur place n’y trouve trop à redire. La Chine continentale manque au contraire d’entreprises.
Pour en revenir à Martine Bulard, son avant est flou. On devine qu’il s’agit de la période qui précède l’ère de Deng Xiaoping. Cette tournure de phrase permet habilement de ne pas dire qu’il s’agit de la période maoïste ; Mao meurt en 1976 et le tournant évoqué correspond au début des années 1980. Quelles leçons faut-il retenir de cette époque éludée par la plupart des observateurs, commentateurs et journalistes écrivant sur la Chine.
Du point de vue économique, les industries chinoises d’avant 1979 se partageaient inégalement en deux groupes. Un premier – très réduit – regroupait les industries réellement productives ; quelques-unes exportaient, au mieux dans une partie du monde non capitaliste (exemple de l’industrie d’armement). Dans un deuxième groupe représentant l’écrasante majorité, les entreprises ne produisaient rien de commercialisable : soit à cause d’une qualité insuffisante, soit parce que tout simplement personne n’y veillait. Car le parti contrôlait très étroitement les entreprises, celles-ci offrant le cadre de vie de l’écrasante majorité de la population citadine : travail forcé, surveillance constante des grincheux ou des récalcitrants, et récompenses données aux surveillants, aux affidés, aux délateurs :
« Pékin. Entre le troisième et le quatrième périphérique, au nord-est. L’unité 798. Un bel ensemble de bâtiments en briques rouges style Bauhaus, où se côtoient galeries avant-gardistes, restaurants branchés et magasins chics. Avant d’être un lieu à la mode, cette ancienne danwei (grande entreprise d’Etat), s’étalant sur près de un kilomètre, conçue par des spécialistes est-allemands en 1957 au nom de la ‘solidarité socialiste’, accueillait quelque 20 000 travailleurs pour produire de l’armement chinois. C’était au temps où les grandes entreprises possédaient leurs logements, leurs écoles, leur centre de santé, leur théâtre… Au temps où le complexe de Dashanzi, dont dépend l’unité 798, se voulait un modèle. C’était il y a moins de quinze ans. […]
A 300 kilomètres, tout près de Chengde et son Palais d’été impérial, l’aciérie de Cheng Gang (Chengde Iron and Steel Group Co.), elle, n’a pas disparu dans la tourmente. Les salariés qui la font visiter, non sans avoir demandé l’autorisation du secrétaire du Parti communiste, en sont très fiers : c’est avec l’acier maison qu’a été construite la ‘Perle orientale’, tour de télévision symbole de Shanghaï la moderne, ou encore le gigantesque barrage du Yangzi. Utilisant la technologie italienne, l’unité est entièrement automatisée. Hormis quelques contrôleurs sur les plates-formes, les salariés sont dans des cabines, derrière leur ordinateur. Une usine ultramoderne. Il suffit pourtant de franchir quelques centaines de mètres pour replonger dans le XIXe siècle, avec des équipements rouillés et brinquebalants au milieu d’une poussière grisâtre. Impossible de visiter cet enfer – ‘Ce ne serait pas bon pour votre santé’, assure le salarié qui nous guide –, mais on aperçoit les travailleurs manipulant à mains nues des composants polluants (vraisemblablement chaux, manganèse ou soufre…).
Dans ses deux versions, l’aciérie résume l’histoire industrielle du pays. Jusqu’en 1986, les 20 500 salariés vivaient tant bien que mal dans la petite ville de Cheng Gang, grâce à cette usine qui prenait tout en charge (logement, santé, sport, école, retraite…). Les choses commenceront à se gâter avec les réformes et la montée des besoins nationaux en acier. L’Etat exige alors des résultats. Avant même de moderniser, la direction renvoie à la maison les salariés anciens – pas assez productifs – et les remplace par des jeunes, plus rapides, parfois plus qualifiés. Puis sont importées des technologies occidentales auxquelles on adapte les hommes. Les effectifs tombent à 17 000, et la moyenne d’âge à 35 ans. »
Mais du point de vue écologique, le bilan de la Chine de Mao attirait incontestablement la louange. Le premier groupe d’entreprises évoqué un peu plus haut polluait sans vergogne, mais le nombre étroit d’entreprises concernées permettait d’en diluer les effets visibles ; à défaut des conséquences. Quant aux entreprises inefficaces, les ateliers nationaux version chinoise, quelques rares d’entre elles rentraient peut-être dans les critères d’entreprises pollueuses. L’immense majorité répondaient en tout cas aux vœux des écologistes les plus fervents : ne rien produire pour ne rien polluer.
Dans le Monde d’aujourd’hui, Brice Pedroletti illustre l’impasse théorique décrite plus haut. Si les entreprises (occidentales ou non) polluent en Chine – et la plupart en grande quantité, c’est parce qu’il n’y a aucune législation, nous dit-il en substance. Ceux qui veulent se plaindre ne trouvent aucune oreille compatissante du côté de la justice. En réalité, deux choses ont changé en Chine : un grand nombre d’entreprises produisent, et dans beaucoup de secteurs polluants.
Les profiteurs de l’ancien système n’y trouvent plus leur compte : personne ne demande plus de surveiller ce que dit untel ou untel (… au moins, à l’intérieur de l’entreprise !). Si tel employé ne rentre pas dans la cadence demandée, ou à la moindre incartade, la même personne qui le maintenait à son poste par la contrainte, le jette à la porte ; mais l’absence de scrupules demeure.
PS./ Dernier papier sur la Chine : Shangaïens, jamais trop plaints.
Pour en revenir à Martine Bulard, son avant est flou. On devine qu’il s’agit de la période qui précède l’ère de Deng Xiaoping. Cette tournure de phrase permet habilement de ne pas dire qu’il s’agit de la période maoïste ; Mao meurt en 1976 et le tournant évoqué correspond au début des années 1980. Quelles leçons faut-il retenir de cette époque éludée par la plupart des observateurs, commentateurs et journalistes écrivant sur la Chine.
Du point de vue économique, les industries chinoises d’avant 1979 se partageaient inégalement en deux groupes. Un premier – très réduit – regroupait les industries réellement productives ; quelques-unes exportaient, au mieux dans une partie du monde non capitaliste (exemple de l’industrie d’armement). Dans un deuxième groupe représentant l’écrasante majorité, les entreprises ne produisaient rien de commercialisable : soit à cause d’une qualité insuffisante, soit parce que tout simplement personne n’y veillait. Car le parti contrôlait très étroitement les entreprises, celles-ci offrant le cadre de vie de l’écrasante majorité de la population citadine : travail forcé, surveillance constante des grincheux ou des récalcitrants, et récompenses données aux surveillants, aux affidés, aux délateurs :
« Pékin. Entre le troisième et le quatrième périphérique, au nord-est. L’unité 798. Un bel ensemble de bâtiments en briques rouges style Bauhaus, où se côtoient galeries avant-gardistes, restaurants branchés et magasins chics. Avant d’être un lieu à la mode, cette ancienne danwei (grande entreprise d’Etat), s’étalant sur près de un kilomètre, conçue par des spécialistes est-allemands en 1957 au nom de la ‘solidarité socialiste’, accueillait quelque 20 000 travailleurs pour produire de l’armement chinois. C’était au temps où les grandes entreprises possédaient leurs logements, leurs écoles, leur centre de santé, leur théâtre… Au temps où le complexe de Dashanzi, dont dépend l’unité 798, se voulait un modèle. C’était il y a moins de quinze ans. […]
A 300 kilomètres, tout près de Chengde et son Palais d’été impérial, l’aciérie de Cheng Gang (Chengde Iron and Steel Group Co.), elle, n’a pas disparu dans la tourmente. Les salariés qui la font visiter, non sans avoir demandé l’autorisation du secrétaire du Parti communiste, en sont très fiers : c’est avec l’acier maison qu’a été construite la ‘Perle orientale’, tour de télévision symbole de Shanghaï la moderne, ou encore le gigantesque barrage du Yangzi. Utilisant la technologie italienne, l’unité est entièrement automatisée. Hormis quelques contrôleurs sur les plates-formes, les salariés sont dans des cabines, derrière leur ordinateur. Une usine ultramoderne. Il suffit pourtant de franchir quelques centaines de mètres pour replonger dans le XIXe siècle, avec des équipements rouillés et brinquebalants au milieu d’une poussière grisâtre. Impossible de visiter cet enfer – ‘Ce ne serait pas bon pour votre santé’, assure le salarié qui nous guide –, mais on aperçoit les travailleurs manipulant à mains nues des composants polluants (vraisemblablement chaux, manganèse ou soufre…).
Dans ses deux versions, l’aciérie résume l’histoire industrielle du pays. Jusqu’en 1986, les 20 500 salariés vivaient tant bien que mal dans la petite ville de Cheng Gang, grâce à cette usine qui prenait tout en charge (logement, santé, sport, école, retraite…). Les choses commenceront à se gâter avec les réformes et la montée des besoins nationaux en acier. L’Etat exige alors des résultats. Avant même de moderniser, la direction renvoie à la maison les salariés anciens – pas assez productifs – et les remplace par des jeunes, plus rapides, parfois plus qualifiés. Puis sont importées des technologies occidentales auxquelles on adapte les hommes. Les effectifs tombent à 17 000, et la moyenne d’âge à 35 ans. »
Mais du point de vue écologique, le bilan de la Chine de Mao attirait incontestablement la louange. Le premier groupe d’entreprises évoqué un peu plus haut polluait sans vergogne, mais le nombre étroit d’entreprises concernées permettait d’en diluer les effets visibles ; à défaut des conséquences. Quant aux entreprises inefficaces, les ateliers nationaux version chinoise, quelques rares d’entre elles rentraient peut-être dans les critères d’entreprises pollueuses. L’immense majorité répondaient en tout cas aux vœux des écologistes les plus fervents : ne rien produire pour ne rien polluer.
Dans le Monde d’aujourd’hui, Brice Pedroletti illustre l’impasse théorique décrite plus haut. Si les entreprises (occidentales ou non) polluent en Chine – et la plupart en grande quantité, c’est parce qu’il n’y a aucune législation, nous dit-il en substance. Ceux qui veulent se plaindre ne trouvent aucune oreille compatissante du côté de la justice. En réalité, deux choses ont changé en Chine : un grand nombre d’entreprises produisent, et dans beaucoup de secteurs polluants.
Les profiteurs de l’ancien système n’y trouvent plus leur compte : personne ne demande plus de surveiller ce que dit untel ou untel (… au moins, à l’intérieur de l’entreprise !). Si tel employé ne rentre pas dans la cadence demandée, ou à la moindre incartade, la même personne qui le maintenait à son poste par la contrainte, le jette à la porte ; mais l’absence de scrupules demeure.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire