mercredi 23 juin 2010

Qu’il fait bon vivre en Limousin ! (Le vieillissement, suite)

Les démographes font toujours peur. Une fois encore, la menace se présente avec sa face ridée. Si l’on en croit en effet une étude récente de l’INSEE (voir Le Monde), « A l’horizon 2030, la France aura profondément changé de visage. » Le réflexe provoqué chez le lecteur reste inchangé. Car il ne cesse de se persuader devant la glace de sa salle de bains que le temps qui passe fait des ravages… Chez les autres. « Qu’est-ce qu’il a vieilli ?! » prononce-t-on facilement en retrouvant une vieille connaissance. L’expression est plus exclamative – je me rassure du malheur d’autrui – qu’interrogative : je le plains vaguement de son changement d’apparence, de sa chevelure qui s’éclaircit ou qui blanchit.
De toutes façons, rien n’y fait. Pour qui aimerait relativiser l’alarmisme des annonceurs du vieillissement, la tâche paraît insurmontable. Discourir sur la sagesse des vieillards (de senectute) ne convainc pas. Incontinence, suicide, Elsheimer reviennent comme autant d’antiennes. La mode est aux peaux lisses. Les rides devraient pourtant témoigner de l’expérience, rassurer sur la maturité de celui qui les arbore ; que nenni, la maturité se distribue désormais au compte-gouttes (voir ici ).
Tout juste admet-on une lueur d’espoir, en réalité assez ambiguë. Chacun peut espérer vieillir bien grâce aux progrès de la médecine et pour peu que l’on prenne soin de sa santé. La dénonciation plus ou moins insidieuse des comportements à risque étaye cette certitude. Le goût du lisse ne vaut pas que pour les visages : l’espace public et le monde merveilleux de la télévision dissimulent les gêneurs, s’ils ne se cachent pas suffisamment : buveurs au teint rougeâtre, fumeurs aux dents jaunies, gros et obèses, vieillards délabrés… Bref, l’humanité souffrante. Oui pour le vieillissement, non aux mouroirs !
Que prévoient Olivier Léon et Pascal Godefroy (de l’INSEE) pour la France en 2030 ? « Si l’on prolonge les tendances actuelles, le nombre de personnes âgées de plus de 60 ans devrait augmenter, au cours des vingt-cinq prochaines années, de… près de 60 %. Pour les octogénaires, les chiffres sont plus impressionnants encore : de 2005 à 2030, le nombre de personnes âgées de plus de 80 ans devrait progresser de 75 %. » Ainsi, il ne faudrait se réjouir de rien : ce vieillissement inéluctable concerne tous les enfants des Trente Glorieuses, transformés en bataillons de retraités, nés de parents quasi inconscients. Pourquoi n’ont-ils pas collectivement pesé les conséquences de leur fertilité soixante ans après, nous suggère-t-on ? L’âge moyen progresse : « selon l’Insee, il devrait, en France métropolitaine, passer de 39 ans, en 2005, à 42,6 ans en 2030 ». Mais il s’agit d’une moyenne entre classes d’âges ! Rappelons qu’une augmentation de la natalité pourrait stabiliser cette courbe de progression, voire même l’inverser.
De la même façon qu’en Allemagne – voir article précédent (Vieilleries et duperies ) – le vieillissement provoque une réaction en chaîne. Il pose des questions plus géographiques qu’économiques. Dans ce domaine précis, et puisqu’il s’agit de la France, la non modification de l’âge officiel du départ à la retraite ne provoquera pas l’Apocalypse annoncée, selon toutes vraisemblances. A mon sens, elle renforcera en revanche une tendance déjà perceptible : l’écart entre les pensions reversées et le revenu moyen perçu par les actifs (d’une part), et le gonflement de l’économie informelle, par l’activité non déclarée desdits retraités.
La répartition de la population française sur le territoire m’intéresse davantage. L’étude de l’INSEE, nous dit Anne Chemin dans le Monde, « n’affectera pas toutes les régions de la même manière. » L’âge médian pour la population de la région Ile-de-France demeurera en dessous de 40 ans, sans qu’elle explique pour quelles raisons. Sera-ce l’effet de la population d’origine étrangère traditionnellement plus féconde, ou la concentration des familles avec jeunes enfants ? Mais le pire resterait à venir. Une région attire les prédictions les plus dramatiques : le Limousin.
« Cette région, qui est déjà la plus âgée de France, conservera ce titre à l’horizon 2030, en affichant un âge moyen de plus de 46 ans. A cette date, elle détiendra le record de France des octogénaires : les personnes âgées de plus de 80 ans devraient, dans vingt-cinq ans, représenter près de 10 % de la population du Limousin. » L’expression région la plus âgée ne veut rien dire, mais allons à l’essentiel. Encore une fois les pourcentages risquent d’abuser le lecteur. Lors du recensement de 1999, il y avait 710.000 habitants dans le Limousin, et 11 millions en Ile-de-France : un groupe de 71 000 personnes représente 10 % de la population de la première région, tandis que dans la seconde, 550 000 personnes représentent 5 % de la population régionale !
Imaginons que les groupes considérés dans l’un et l’autre cas correspondent aux octogénaires vivant dans chacune des deux régions (non pas en 1999 mais en 2030); un quart environ – pourquoi pas ? – des vieillards concernés auront alors assez de chance pour ne rien demander à personne et faire encore un pied de nez à leurs familles, repoussant l’échéance de l’héritage tant attendu, et imposant à dates régulières des visites de la parentèle ! Il nous reste donc trois quarts d’invalides, qui réclament des structures d’accueil. Partant du principe – totalement pris au hasard – qu’une maison de retraite héberge en moyenne 100 vieillards, le Limousin aura besoin en 2030 de 432 maisons de retraite : une pour 39 km². En Ile de France, 4.125 maisons de retraite seront nécessaires : une pour 3 km².
Ah qu’il fait bon vivre dans le Limousin ! En terme de répartition de la population sur le territoire, on ne peut évidemment se satisfaire de ce pied de nez. Dans la région Limousin, le vieillissement provoquera l’abandon de territoires pour l’heure habités à grand-peine. Car les vallées ouvertes sur l’extérieur du Massif Central que sont les vallées de la Vienne (Limoges) et de la Corrèze (Brive et Tulle) sont moins concernées qu’une grande partie de la Combraille, de la Marche ou encore du plateau de Millevaches. Et les résidences secondaires n’y changeront rien, puisqu’elles ne concernent pas une population résidente…

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