mercredi 23 juin 2010

Belges, belgitude et belligérance (Du regain nationaliste en Europe).

Le 16 décembre 2006, l’éditorialiste du Monde a choisi d’écrire sur la Belgique. Le sujet se plie aux contraintes de l’exercice obligé. Il accroche le lecteur, parce que les histoires dites belges déclenchent le rire hexagonal, mélange de blague facile et d’une commisération à peine cachée. L’éditorialiste éclaire dans le même temps son lecteur sur les problèmes du moment ; il prétend en tout cas le faire. En l’occurrence, la télévision publique belge a préparé puis passé à l’antenne (le 13/12) un canular exploitant la (fausse) annonce d’une déclaration d’indépendance de la Flandre belge.
Une polémique a suivi, nous dit l’auteur, non sur le fond de la question soulevée par les farceurs, mais sur la déontologie journalistique. Peu m’importe. Je constate que les réactions se multiplient, non seulement en Belgique, mais également en France. L’éditorial du Monde en témoigne. Je reste contrit de l’argumentaire géographique (ou historique) utilisé à tort et à travers, et transformé en projectile verbal. La preuve est faite, une fois encore, que (toutes) les opinions tranchées recourent brusquement à des preuves toujours considérées comme imparables, alors que réintégrées dans leur contexte, elles prennent un tout autre sens.
L’éditorialiste du Monde succombe lui-même à cette erreur, sans s’en apercevoir sans doute, en brodant sur le thème de la fragilité de la Belgique : « cet Etat né après la révolution de 1830, auprès duquel les grandes puissances de l’époque sont allées chercher dans la maison de Saxe-Cobourg un roi qui venait de refuser le trône de Grèce ». Mais quels Etats de l’Union européenne existaient en 1830 dans leur forme et leurs limites actuelles ? Ni l’Allemagne, ni l’Italie, ni la Pologne, ni la Finlande, ni aucun des pays appartenant à l’époque à l’Empire austro – hongrois (République tchèque, Slovaquie, Autriche, Croatie), ni même l’Irlande. Quant à la Grèce évoquée plus haut, Otton de Bavière n’en devient le souverain qu’en 1832. La question annexe ne vaut pas mieux : d’où vient une dynastie, la belle affaire ?! La famille royale d’Angleterre est par exemple d’origine allemande (Hanovre) depuis George 1er – 1714 - 1727 – ; la renonciation à toute revendication en la matière et l’adoption du patronyme Windsor ne date que de juillet 1917… La monarchie anglaise a-t-elle pour autant hésité en 1914 ou en 1939 face au Reich ? Nous voici bien avancés.
Il faut également faire un sort, dans l’article déjà cité comme chez d’autres, sur les spéculations de rigueur concernant les Belges : et s’ils se séparaient ? Les mots valsent : autonomie actuelle, véritable indépendance… Parmi les lecteurs – blogueurs, les candidats à la controverse ont vite fourbi leurs propres armes. On ressort les grands mots, la monarchie ceci, la Wallonie cela. Le goût pour l’insulte économique reste inchangé : transferts financiers, dépendance économique. Cette dernière vaudrait pour le passé (Flamands aux dépens des Wallons) comme pour le présent (dans le sens inverse).
Mais qu’est-ce que la redistribution ? Sait-on si cette mécanique est bonne ou à défaut efficace, qui consiste à prendre aux uns pour redonner aux autres avec une inévitable déperdition intermédiaire ? Est-il par ailleurs possible de constater une crise (identitaire ou de fonctionnement) des structures étatiques et des administrations publiques à l’échelle du continent, c’est-à-dire bien au-delà de la seule Belgique, sans pour autant poser comme postulat qu’il faut redessiner la carte politique de l’Europe ? Il me semble que sur ce dernier point le mal reste à décrire, ne serait-ce que par la complexité des causes : fragilité originelle des frontières hâtivement tracées lors de traités de paix (à la suite des guerres napoléoniennes, ou de la deuxième guerre mondiale), intégration économique continentale, développement de l’Europe politique (pourtant représentée par l’éditorialiste du Monde comme un ciment pour la Belgique : mais il ne dit pas à quel titre ?), etc.
Ayons peur du nationalisme, s’il faut retenir un enseignement du canular de la RTBF. Le danger si longtemps jugulé en Europe, a récemment frappé à notre porte.
Le terme de balkanisation revient régulièrement – ce n’est pas un hasard – sous la plume des commentateurs, sans que l’on s’interroge sur son sens profond. Il est fort douteux qu’il s’applique aux Balkans comme à la Belgique. Dans la seconde les empires se sont succédés, mais pas un seul n’a su prolonger comme l’Empire ottoman son emprise. On ne trouve pas en Belgique d’opposition entre musulmans et chrétiens, ni entre cultivateurs et montagnards : le point culminant des Ardennes belges n’atteint pas 700 mètres (Botrange). Pour ne citer qu’une ultime différence, le parti communiste belge n’a jamais occupé le pouvoir à Bruxelles…
Bien au contraire, la Belgique, telle qu’elle apparaît sur les cartes politiques ne sortira jamais de son environnement géographique. Adossée à un massif ancien complètement érodé, ses basses vallées (Meuse et Escaut) la relient à la France, mais aussi – grâce aux canaux – à la vallée du Rhin. La grande plaine littorale – le plat pays – s’intègre à un ensemble qui commence aux collines de l’Artois et se prolonge jusqu’aux pays Baltes. L’attachement des Belges à un territoire borné, ou à un système politique qui a quand même su prendre en compte les traits spécifiques des différentes communautés, n’épuise pas le rapport de la population à sa terre de naissance ou d’élection.
Car l’espace vécu inclut la ville, une facette au moins aussi importante. Le citadin – taux d’urbanisation > 80 % – originaire de cette partie de l’Europe qui ne se limite pas à la Belgique était hier un bourgeois vivant plus ou moins directement du textile ou du commerce maritime. La ville dans son sens moderne et contemporain est quasiment née au Moyen Âge à Anvers, Liège ou Gand : l’architecture civile, les constructions particulières, ou encore le développement des arts. D’aucuns ont prononcé l’expression de civilisation urbaine.
Que sont ces villes, des points sur la carte par rapport à des traits de frontières ? A Bruxelles même, cité beaucoup plus récente, quelles lignes de séparation retiendrait-on en cas de séparation entre flamingants et francophones ? Les nationalistes flamingants n’apportent aucune réponse à ses interrogations. Je ne m’en étonne pas : leurs revendications sont leur seul gagne-pain. En attendant, le caractère artificiel des frontières actuelles de leur pays n’échappe pas aux Belges. Mais elles valent bien toutes celles que certains extrapolent de créer. Car un seul critère s’imposerait éventuellement, celui totalement incertain de la langue, avec les familles bi – communautaires, ou encore les familles d’origine immigrée. Déchirement assuré.
Belges, belgitude et belligérance.
PS./ Sur le national - régionalisme, voir l’article précédent : Catalans lourds .

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