mercredi 23 juin 2010

Shanghaïens, jamais trop plaints.

Qui a dit que l’urbanisme faisait fuir le lecteur le plus sérieux ? Le Quotidien du Peuple – journal du parti et l’un des plus forts tirages de la Chine communiste – démontre l’inverse [voir ici], en évoquant la question du logement dans la métropole de Shangaï, qui compte au minimum 12 millions d’habitants, dont une bonne partie connaît de plus en plus de difficultés à vivre dans la ville, pour cause de flambée des prix de l’immobilier. Grâce à la traduction en français, si comme moi vous ne maîtrisez pas le chinois, vous pourrez constater que l’on peut rire sur un sujet au départ jugé comme mi – tragique, mi – ennuyeux. Il faut reconnaître que la presse officielle communiste a le don (à défaut de sens) du comique : totalement involontaire.
Le journaliste anonyme – à moins que ce ne soit la Voix du peuple elle-même ? – décrit le souci des autorités chinoises, celui du trop-plein (sic) de population dans Shangaï. Elles ne perdent pas de temps à disséquer les petits problèmes individuels, la situation de milliers de Shangaïens parfois physiquement forcés de quitter leur appartement. Le trop-plein se déverse alors sur les environs. Pourquoi M. Wu Jiang « vice-directeur du Bureau d’urbanisme de Shanghai, à l’occasion du ‘Colloque sur la qualité de l’urbanisme et de la conception architecturale‘ » utilise t-il cette expression de trop-plein, qui ramène des hommes à de l’eau usée ?
Parce que les densités dans Shangaï – explique le plaisant fonctionnaire – rivalisent avec celles de New York, Paris et Londres ; j’ignorais que l’on ait imaginé dans ces grandes agglomérations semblable déménagement. Je sais en revanche que rien ne ressemble à une densité urbaine qu’une autre densité urbaine. M. Wu tente surtout de camoufler les turpitudes de ses mandataires, les fructueuses expropriations - reconstructions d’immeubles. Heureusement, le fonctionnaire du plan a tout prévu. Les soustractions sont son hobby. Selon lui, la population doit passer d’ici à 17 ans, (dans Shangaï) de 9,1 à 8 millions d’habitants. Soustrayons 9,1 moins 1,1. Le total est de 8. Que devient le produit de la soustraction ?
Il faut le reloger. Dans cette perspective, trois Nouvelles Cités surgiront dans les alentours ; en revanche – ajoute docilement le Quotidien du Peuple – la solution primitivement imaginée « ‘une métropole et neuf gros bourgs’ ne sera donc plus retenue. » J’en soupire d’aise. Rien ne sera laissé au hasard, ni à la spéculation dans ces nouvelles cités : elles seront en effet « dotées tant de branches industrielles importantes que de bonnes infrastructures urbaines. » Comme à Shangaï !
Le plus drôle (…) reste à venir. L’opération trop-plein évacué se déroulera sans encombres, car les milliers de Shangaïens concernés seront « sans doute disposés à acquérir un logement en dehors de la ville, dès lors que celui-ci leur serait vendu selon un bon rapport qualité/prix. » On notera le participe que j’ai souligné en gras : il signifie que les expropriés n’ont pas été consultés.
Et le déplacement des futurs banlieusards ? La ligne n°9 desservira Songjiang. A Lingang, rien n’obligera les habitants à venir dans Shangaï, puisqu’il y aura une « industrie d’outillage ultra-moderne, assurant un essor général de plusieurs productions de type avancé, d’une logistique moderne, de l’éducation et de la formation en tous genres, de la sous-traitance pour l’exportation ainsi que du commerce intérieur et extérieur, etc. » Les experts « envisagent avec optimisme l’avenir de la Cité-Nouvelle de Lingang ». On aurait donc tort d’en douter. Et Jiading Anting, la troisième cité ? Le Quotidien du Peuple n’en souffle pas un mot… C’est peut-être pour cela que les Shangaïens s’inquiètent. Quels râleurs, quand même…
Un article du Figaro du 23 novembre [ici] m’a incité à rédiger ce papier. Sixtine Léon-Dufour et Julie Desné manquent toutefois d’esprit critique, alors qu’elles prétendent par leur titre évoquer le malheur des Shangaïens, et parmi eux les anciens ruraux venus travailler dans la métropole (surnommés mingongs). Les inégalités s’accroissent, nous répètent-elles : « Dans une étude publiée hier, la Banque mondiale relève qu’entre 2001 et 2003 le revenu réel des 10 % de Chinois les plus pauvres a chuté de 2,4 %. » Mais elles ne disent rien sur les circonstances par lesquelles les plus riches ont obtenu leur statut, l’importance de la corruption, la nécessité d’avoir des appuis dans le parti pour réussir, les immeubles construits pour rien et revendus à l’unité au prix de l’or, etc. Un millionnaire tire sa fortune de sa connaissance du milieu politique. Les deux journalistes montrent bien la montée de la rancœur des habitants, les 84 000 manifestations ayant eu lieu en 2005.
Elles ajoutent pourtant ce commentaire lénifiant : « Sous le vocable de ‘société harmonieuse’, Hu Jintao l’a promis : la croissance va être redirigée vers un développement ‘plus juste’. » C’est à pleurer.

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