Pour complètement saisir les événements du moment dans cette partie de l’Afrique, la méthode la plus efficace consiste à se plonger dans des cartes. La bonne cuisine nécessitant de bons ingrédients, on privilégiera les thématiques suivantes : topographie (nul n’ignore que l’Afrique est un continent ; encore faut-il avoir en tête les distances), reliefs, climatologie, répartition linguistique et religieux. Ce cocktail rebutera, mais courage ! [carte]
Imaginez-vous contemplant un coucher de soleil sur le lac Victoria, depuis sa côte orientale. Vous voyez l’eau à perte de vue, sans autre ligne d’horizon terrestre : comme un Algérois cherchant à distinguer les Baléares, ou un Niçois le port d’Ajaccio. 250 kilomètres vous séparent de l’autre rive du lac Victoria.
Dans ce continent équipé de façon épisodique en infrastructures routières et ferroviaires dignes de rivaliser avec ce que l’on connaît en Europe ou en Amérique du Nord, les déplacements nécessitent du temps et de l’énergie. Si vous n’avez pas d’avion et que vous voulez – à partir de la rive orientale du lac Victoria – filer vers l’océan Indien, via Nairobi par exemple, il faudra patienter avant de venir à bout des 750 kilomètres de routes. J’abandonne là cette accroche, non que je ne souhaite pas à mon lecteur un tel voyage, mais l’idée principale me suffit, celle des distances. L’Afrique des Grands Lacs se compte en centaines de kilomètres : il s’agit d’en prendre la mesure.
Cette appellation inconsciemment reprise parfois par les journalistes ne trouve aucune correspondance politique. Ses limites peuvent faire l’objet d’une discussion : du lac Malawi au sud jusqu’au massif éthiopien au nord. Davantage encore que la présence de lacs larges (Victoria) ou profonds (Tanganyika), la région dite des Grands Lacs diffère par ses hauts plateaux, et ses lignes de crêtes ponctuées de sommets à plus de 5.000 mètres d’altitude (Monts Ruwenzori, Kenya, Kilimandjaro) dominant une plaine centrale, le grand Rift africain. Il y a 65 millions d’années, la partie orientale actuelle (du Mozambique à la Somalie) ne collant pas encore au reste du continent, une mer recouvrait la région. Depuis, des lacs ont subsisté, entre les épanchements volcaniques. Les Grands Lacs ne connaissent pas les chaleurs équatoriales du bassin central du Congo, mais reçoivent autant de précipitations, en particulier pendant l’été boréal, lorsque les alizés de l’océan Indien viennent déverser leur humidité sur les reliefs. Les deux plus grands fleuves africains trouvent dans cette région une partie importante de leur alimentation.
De ces traits physiques, on en déduit une végétation spécifique. La richesse des sols (sédiments et dépôts volcaniques), la régularité des précipitations ont permis à l’homme des Grands Lacs de prospérer. L’agriculture, qui un peu plus loin, arrive à peine à faire vivre les populations du Sahel, a très tôt permis l’augmentation des densités humaines : 346 habitants par km² au Rwanda (un peu plus qu’en Belgique), 268 au Burundi (au-dessus du Royaume-Uni), 108 au Malawi (comme en France). Contrairement au reste du continent, les éleveurs coexistent avec les cultivateurs dans les Grands Lacs ; plus ou moins pacifiquement. Mais cette région donne naturellement sur l’extérieur, dès qu’il s’agit de commercer, ou de dégager des excédents démographiques.
Les frontières politiques, sur le terrain, comptent peu au regard de l’organisation naturelle. Juste à l’Ouest des Grands Lacs (il en constitue une des voies d’accès), le plus grand affluent de rive droite du Congo, l’Oubangui a été retenu comme frontière entre la Centrafrique et la République Démocratique du Congo. Or, il sépare moins qu’il ne conduit d’Est en Ouest des populations plus que voisines.
Dans la situation présente de l’ex-Zaïre, aujourd’hui tiraillé par les résultats des élections présidentielles du w.e. dernier (voir ici), les éléments précédents s’imposent. Philippe Bernard fait mine de s’étonner de l’écart entre les populations ayant voté pour le candidat débouté (JP. Bemba) et celles de l’Est, favorables à l’heureux réélu, Joseph Kabila. « La province de l’Equateur (nord-ouest) a voté à plus de 97 % pour M. Bemba tandis que M. Kabila a rassemblé près de 94 % des électeurs du Katanga et 98 % du Sud-Kivu (est). Battu, M. Bemba domine cependant dans six provinces sur onze. » Beaucoup de choses distinguent (tout ?) les populations vivant dans la vallée du Congo ou au Katanga, de celles peuplant l’Est, à 1.000 ou 1.500 kilomètres.
Il faut faire l’effort de saisir ces ingrédients pour ne pas rater la recette finale. Je crains que les félicitations occidentales émises à l’occasion de l’élection de Joseph Kabila, pour cause de bonne conduite électorale ne conviennent pas au plat congolais…
Imaginez-vous contemplant un coucher de soleil sur le lac Victoria, depuis sa côte orientale. Vous voyez l’eau à perte de vue, sans autre ligne d’horizon terrestre : comme un Algérois cherchant à distinguer les Baléares, ou un Niçois le port d’Ajaccio. 250 kilomètres vous séparent de l’autre rive du lac Victoria.
Dans ce continent équipé de façon épisodique en infrastructures routières et ferroviaires dignes de rivaliser avec ce que l’on connaît en Europe ou en Amérique du Nord, les déplacements nécessitent du temps et de l’énergie. Si vous n’avez pas d’avion et que vous voulez – à partir de la rive orientale du lac Victoria – filer vers l’océan Indien, via Nairobi par exemple, il faudra patienter avant de venir à bout des 750 kilomètres de routes. J’abandonne là cette accroche, non que je ne souhaite pas à mon lecteur un tel voyage, mais l’idée principale me suffit, celle des distances. L’Afrique des Grands Lacs se compte en centaines de kilomètres : il s’agit d’en prendre la mesure.
Cette appellation inconsciemment reprise parfois par les journalistes ne trouve aucune correspondance politique. Ses limites peuvent faire l’objet d’une discussion : du lac Malawi au sud jusqu’au massif éthiopien au nord. Davantage encore que la présence de lacs larges (Victoria) ou profonds (Tanganyika), la région dite des Grands Lacs diffère par ses hauts plateaux, et ses lignes de crêtes ponctuées de sommets à plus de 5.000 mètres d’altitude (Monts Ruwenzori, Kenya, Kilimandjaro) dominant une plaine centrale, le grand Rift africain. Il y a 65 millions d’années, la partie orientale actuelle (du Mozambique à la Somalie) ne collant pas encore au reste du continent, une mer recouvrait la région. Depuis, des lacs ont subsisté, entre les épanchements volcaniques. Les Grands Lacs ne connaissent pas les chaleurs équatoriales du bassin central du Congo, mais reçoivent autant de précipitations, en particulier pendant l’été boréal, lorsque les alizés de l’océan Indien viennent déverser leur humidité sur les reliefs. Les deux plus grands fleuves africains trouvent dans cette région une partie importante de leur alimentation.
De ces traits physiques, on en déduit une végétation spécifique. La richesse des sols (sédiments et dépôts volcaniques), la régularité des précipitations ont permis à l’homme des Grands Lacs de prospérer. L’agriculture, qui un peu plus loin, arrive à peine à faire vivre les populations du Sahel, a très tôt permis l’augmentation des densités humaines : 346 habitants par km² au Rwanda (un peu plus qu’en Belgique), 268 au Burundi (au-dessus du Royaume-Uni), 108 au Malawi (comme en France). Contrairement au reste du continent, les éleveurs coexistent avec les cultivateurs dans les Grands Lacs ; plus ou moins pacifiquement. Mais cette région donne naturellement sur l’extérieur, dès qu’il s’agit de commercer, ou de dégager des excédents démographiques.
Les frontières politiques, sur le terrain, comptent peu au regard de l’organisation naturelle. Juste à l’Ouest des Grands Lacs (il en constitue une des voies d’accès), le plus grand affluent de rive droite du Congo, l’Oubangui a été retenu comme frontière entre la Centrafrique et la République Démocratique du Congo. Or, il sépare moins qu’il ne conduit d’Est en Ouest des populations plus que voisines.
Dans la situation présente de l’ex-Zaïre, aujourd’hui tiraillé par les résultats des élections présidentielles du w.e. dernier (voir ici), les éléments précédents s’imposent. Philippe Bernard fait mine de s’étonner de l’écart entre les populations ayant voté pour le candidat débouté (JP. Bemba) et celles de l’Est, favorables à l’heureux réélu, Joseph Kabila. « La province de l’Equateur (nord-ouest) a voté à plus de 97 % pour M. Bemba tandis que M. Kabila a rassemblé près de 94 % des électeurs du Katanga et 98 % du Sud-Kivu (est). Battu, M. Bemba domine cependant dans six provinces sur onze. » Beaucoup de choses distinguent (tout ?) les populations vivant dans la vallée du Congo ou au Katanga, de celles peuplant l’Est, à 1.000 ou 1.500 kilomètres.
Il faut faire l’effort de saisir ces ingrédients pour ne pas rater la recette finale. Je crains que les félicitations occidentales émises à l’occasion de l’élection de Joseph Kabila, pour cause de bonne conduite électorale ne conviennent pas au plat congolais…
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