jeudi 17 juin 2010

Rosé angevin et réseau européen (A propos d’une panne électrique transfrontalière)

Commençons par la carte. Elle illustre qu’un réseau existe bel et bien en Europe, à l’échelle d’un continent au milieu duquel la France fait office de carrefour électrique. Les flèches indiquent qu’EdF exporte davantage d’électricité qu’elle n’en importe. Ses principaux clients se trouvent en Allemagne, en Italie et au Royaume-Uni, étant entendu que les Belges dépendent plus que tous les autres des ventes françaises (si on les rapporte à la production locale). N’y a-t-il pas là un bel exemple de coopération européenne ?
L’article joint (ici) relate la panne d’avant-hier soir, le pire évité : dix millions d’Européens touchés par une rupture de courant d’une à deux heures. L’analyse des deux journalistes (Delphine Chayet et Delphine de Mallevoüe) tourne court, avec des arguments qui s’entrechoquent : « Effet pervers de l’interdépendance […] défaillance du réseau allemand [Nous y voilà…] hausses exceptionnelles de la consommation […] les ‘autoroutes’ de l’électricité peuvent aussi s’avérer vulnérables“. Quand la ligne à haute tension perd une part de son électricité dans la nature, l’autoroute garde ses voitures sur la voie.
Un peu plus loin dans l’article, on apprend le caractère bénin de l’interruption du courant, et le réflexe moutonnier de la population : « Partout en France, les standards d’appel des services de secours ont cependant été pris d’assaut. À 22 h 30, les pompiers de la capitale ont ainsi lancé ‘un appel à la population’ demandant aux Parisiens de ne plus encombrer le 18, complètement saturé. » Aux dires des journalistes, ces centaines d’appel n’ont conduit qu’à une quarantaine d’interventions dans l’agglomération parisienne. Pour les Français, une coupure d’électricité semble donc aussi grave qu’un arrêt cardiaque.
Que faire pour ne jamais manquer d’électricité ? La réponse du Figaro se trouve dans un autre article : en substance, on apprend qu’en Europe, il n’y a pas assez d’investissement, pas assez de centrales, pas assez de câbles d’alimentation, pas assez de tout ce qui touche à l’électrique. Ne faut-il pas économiser l’énergie et sauver Ushuaïa ? Revenons aux coupures d’électricité. Comment procèdent les pompiers quand les angoissés et les frénétiques de tous poils se ruent sur leur central téléphonique : atteindre le point de saturation, et cesser de répondre. De la même façon pour les réseaux électriques, LA solution la plus stupide a été trouvée… En cas de surconsommation, rien n’empêche théoriquement d’atteindre la point de rupture, et la panne pour tous : l’accidenté de la route au même titre que le fêtard du samedi soir, le journaliste charrette devant son ordinateur et l’adolescent immergé dans un jeu vidéo.
Pour qui rêverait d’une solution naturelle, il demeure la loi de l’offre et de la demande. Imaginons une soudaine envie collective de rosé d’Anjou. Que se passera-t-il dans les heures ou les jours suivant cette fièvre inattendue ? Primo une pénurie, secundo une forte hausse des prix de ventes. Un an plus tard, l’observateur notera en revanche une forte baisse des prix du même rosé d’Anjou, conjonction de plusieurs mécanismes : surproduction (résultat d’une intensification provoquée par les viticulteurs), concurrence de la filière (des vins de Provence, par exemple), et surtout désaffection d’une partie des clients se reportant sur des vins rouges, blancs… Ou pire (et improbable) vers de l’eau en bouteille. Il y a donc un lien inattendu entre le vin et l’électricité. Mais un lien théorique.
Car en Europe et en France plus particulièrement, le balancement entre l’offre et la demande ne débouche pas sur la fixation des prix de l’électricité. On trouvera ici un tableau : je m’excuse auprès des concepteurs de ce site manifestement peu enclins à vanter les mérites du marché et à se trouver contre leur gré associés à des articles du Figaro. Malgré toutes les apparences, le deuxième tableau montre qu’en France, entre 2001 et 2006, le prix de l’électricité a progressé au même rythme (moins vite ?) que le PIB et l’inflation : 2 % par an, soit 10 % en cinq ans. Faut-il alors s’étonner qu’une électricité bon marché – le mot est jeté – soit sur – consommée ? Pour être tout à fait concret, il ne me semblerait pas choquant d’entendre les opérateurs électriques ou à défaut les responsables politiques instaurer une taxe (à la veille d’une journée hivernale) visant à faire payer plus cher ceux qui persisteraient à vouloir consommer de l’électricité pendant ladite période. Tout plutôt que des coupures aveugles. Plus me plaît le rosé que je ne crains le réseau.

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