mercredi 23 juin 2010

Un petit Suisse dans la mer Noire. (De l'importance du Danube en Europe)

Europe danubienne… Dites-vous ? Cette périphrase apparaît rarement parmi les expressions usuelles de la presse française. Quand ils évoquent cette partie du continent, les journalistes préfèrent recourir à des termes plus génériques. Une expression longtemps quasi automatique, n’a plus de raison d’être : Europe de l’Est, époque révolue du Pacte de Varsovie et de l’URSS. Plusieurs anciens pays satellites appartiennent désormais à l’Union européenne. Le regroupement des pays d’Europe centrale et orientale (PECO) est relativement artificiel. Il semble surtout utilisé par les administrations internationales. Elle ne fixe aucune limite facilement identifiable. La Yougoslavie a disparu, qui laisse derrière elle de nombreux nostalgiques.
Il y a enfin des journalistes qui usent de l’expression Europe balkanique. Ils courent pourtant un risque, celui du lecteur rebuté, qui tourne la page dès qu’il pressent une mauvaise nouvelle ou un texte trop long. Parler des Balkans, c’est un peu recommander d’aller se faire voir chez les Grecs ; une péninsulte. Ces habitants des Balkans si proches ont fini par incarner auprès des Européens de l’ouest une espèce hybride, mi-fous mi-Martiens, querelleurs jusqu’à la guerre civile, buveurs de sang, barbus ou à défaut moustachus. Toujours inquiétants.
Au milieu coule un fleuve, le Danube. Au nord puis à l’est des Alpes et au sud des Carpates, le plus important fleuve d’Europe après la Volga s’étire sur près de trois mille kilomètres : plus de deux fois et demi la longueur de la Loire. Son bassin – versant (toutes les eaux de surface qui convergent vers lui) s’étend sur une surface une fois et demi supérieure à celle de la France : 817 000 km². Il évacue un volume d’eau six fois plus important que le Rhône, deux fois plus que le Nil (+ de 6 000 mètres-cubes par seconde).
Partons d’un exemple concret : un Suisse prend sa voiture. Il quitte Zurich et se dirige vers le nord. Au bout d’une cinquantaine de kilomètres, il arrive aux abords du Danube. Il jette alors un pot de yaourt vide dans le fleuve. Sur trois cents kilomètres, l’emballage va traverser l’Allemagne méridionale : Sigmaringen, Ulm et Ratisbonne. Passée la frontière avec l’Autriche, la même distance attend le bout de plastique avant la Slovaquie ; au deux tiers du parcours se trouve Vienne. A Bratislava – deuxième capitale sur le fleuve, le Danube forme sur cent vingt kilomètres la frontière entre la Slovaquie et la Hongrie. Trente de plus et notre emballage flotte entre les deux rives de Budapest. La direction du fleuve change, cette fois plein sud. Un peu plus loin, sur une centaine de kilomètres, il sépare la Croatie de la Serbie. Patience ! L’emballage vide passe dans une troisième capitale – Belgrade – mais n’a pas effectué les deux tiers du voyage. Il lui reste plus de mille kilomètres avant le delta, dont presque autant de frontières : entre la Serbie et la Roumanie, puis entre la Bulgarie et la Roumanie, et enfin entre la Roumanie et l’Ukraine… Cette fois, notre petit suisse voit la mer Noire !
Ces quelques lignes ont permis au lecteur de jeter un regard un peu intéressé – familier ? - sur cette partie du continent. L’Europe danubienne est le décor d’un empire défunt, l’Autriche-Hongrie. Les historiens ne sont pas les seuls à s’y intéresser [voir également ici], si j’en juge par cet article du Figaro : « l’économie autrichienne se développe à l’est » [ici] Elle « doit beaucoup à l’expansion croissante de ses entreprises vers l’Est ». Celles-ci « ont su profiter de la vive croissance des pays frappant à la porte de l’Union européenne. Au point que l’Autriche est désormais le premier investisseur étranger en Croatie, en Bulgarie, en Bosnie-Herzégovine, en Slovénie et en Roumanie. En 2005, un record de 55 milliards d’euros ont été investis en Europe de l’Est (+18 % en un an). » Les entrepreneurs autrichiens regardent sans complexe vers les Balkans (eux !), « où l’Autriche compte pour 20 % des investissements étrangers » : banque à Bucarest, téléphone en Serbie.
Les traceurs de frontières de l’après 1918 n’y changeront plus rien. Le Danube coule toujours, qui gonfle avec les pluies orageuses de l’été, et se fait prendre parfois par les glaces, lors des hivers les plus rigoureux.

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