Le saviez-vous ? Une guerre se déroule sous nos yeux, que nous ne soupçonnions pas jusqu’ici : « L’OMS mobilise l’Europe contre l’obésité ». C’est en tout cas le titre choisi par Martine Perez dans le Figaro d’aujourd’hui (ici). La conférence se tient à Istanbul, et la solennité n’échappe pas à l’envoyée spéciale : « un nouveau processus est en marche, dont la première pierre vient d’être posée par la signature hier d’une charte européenne contre l’obésité par quarante-huit pays européens. »
Les réunis du jour constatent que les Européens s’alourdissent, année après année. « Selon les pays, entre 32 et 79 % des hommes adultes et entre 28 et 78 % des femmes souffrent de surpoids ou d’obésité en Europe. La France se situe à un niveau plutôt moyen, avec 49 % des hommes et 35 % des femmes concernés. » Le nombre d’enfants en surpoids corrobore les statistiques précédentes : plus d’un petit Français (âgé de 7 à 9 ans) sur six est concerné.
La suite de l’article se disperse quelque peu, en mélangeant les causes et les conséquences, les lieux communs – les kilos superflus fatiguent inutilement l’organisme, l’excès de sucre accroît le risque de diabète – et les pistes sérieuses. L’air du temps flotte aussi à Istanbul, où l’on a bien entendu identifié un premier ennemi, l’industriel. Forcerait-on les Européens à manger ce que produit la filière agro-alimentaire ? En tout cas – nous transmet d’Istanbul Martine Perez – « Tenir les individus seuls comptables de leur obésité n’est aujourd’hui plus acceptable ».
Je reviendrai en conclusion sur les recommandations émises dans la charte signée à Istanbul. En attendant, il y a de quoi rester dubitatif. Les comparaisons historiques manquent. Ainsi, on note « la chute récente de la dépense physique ». Mais la population française comptait encore huit actifs sur vingt-et-un dans l’agriculture il y a un siècle (2 / 22 en 1975 et moins d’1 / 24 en 2006), pour une activité professionnelle complètement révolutionnée dans le même laps de temps. Dans l’agriculture comme dans les autres secteurs économiques, la productivité a augmenté, avec la plupart du temps une diminution de la pénibilité du travail. Faudra-t-il le regretter, parce que le confort signifie une dépense moindre d’énergie, et par voie de conséquence l’engraissement du travailleur ? Pas plus sérieuse n’est l’accusation proférée contre l’ordinateur ou contre la télévision : ne grossissait-on pas l’époque où l’on fréquentait davantage les bistrots et où l’on lisait livres et journaux en grand nombre ?
Il ne me reste qu’une piste à approfondir, laissée en plan par la journaliste, seulement citée pour son lien aux transports : l’énergie. Je pars en effet d’un postulat – certes peu en vogue et forcément contestable – que l’alimentation moyenne des Européens a assez peu varié. Si l’engraissement menace, il convient par conséquent de prendre le problème dans un autre sens. A alimentation égale, l’Européen brûle de moins en moins de calories (d’où ce surplus), car il reporte sa consommation d’énergie. On peut par exemple noter que l’activité la plus élémentaire, la thermorégulation humaine, devient épisodique et cesse d’être automatique : logements surchauffés en hiver, voitures et logements climatisés l’été. L’Européen en surpoids dispose par conséquent des moyens techniques pour parer à l’excès climatique. C’est ce que l’on appelle le confort, l’ascenseur qui remplace l’escalier.
Il convient de lier ces éléments à la question du déplacement et sur l’étalement urbain. En Europe, et plus précisément en France, la distance entre domicile et lieu de travail augmente régulièrement. En 2003, les 3,7 millions de migrants alternants que compte l’Ile-de-France ont effectué un trajet moyen de 11,6 kilomètres (voir ici). Cette distance implique l’impossibilité totale de marcher à pied ou d’utiliser un vélo. Prétendre changer les habitudes d’une telle population relève par conséquent de l’incantation, si l’on met de côté la question de la distance domicile – travail. Le surpoids grandissant des enfants est lui-même lié, même si cela n’apparaît pas à vue d’œil.
Car réfléchissons un instant ; qu’est-ce qui a changé entre un enfant de 2006 et son ancêtre d’il y a vingt-cinq ou cinquante ans (encore une fois, si on oublie un instant sa nourriture) ? L’école garde les mêmes caractéristiques, avec l’obligation – jusqu’à preuve du contraire – de demeurer immobile pendant des dizaines d’heures par semaine. Les activités sportives longtemps négligées ont même gagné récemment les cours d’école primaire. Il faut donc en revenir aux trajets pour rejoindre l’école. Qui n’est pas frappé par le rituel de l’accompagnement en voiture des petits Français (Européens) par leurs parents, par les bouchons devant les écoles en début de matinée et en fin d’après-midi ? J’aimerais bien sûr qu’on jauge scientifiquement les proportions, la part des parents devenus plus inquiets, qui refusent de laisser leurs enfants aller et revenir de l’école par leurs propres moyens, ceux qui habitent trop loin de l’école, et ceux qui – trop pressés – choisissent la solution de facilité, c’est-à-dire la voiture. Au total, combien d’enfants marchent de façon quotidienne en France ? La question imposerait une enquête approfondie. Il est évidemment plus rapide de montrer du doigt les fabricants de barres chocolatées. Ceux-ci cherchent bizarrement à vendre leur produit : qui s’en étonne !?
La conclusion du Figaro me rassure cependant, qui touche aux actions d’ores et déjà menées : « Les Pays-Bas, eux, ont entre autres lancé un plan national pour relancer la pratique de la danse. L’Italie s’est engagée dans des programmes éducatifs pour transmettre son patrimoine culinaire traditionnel… » Les questions gênantes restent en suspens : quel Européen désire moins de confort – celui-là même qui lui permet de brûler moins de calories – ? Quel Européen souhaite une envolée des prix du carburant, qui le forcerait à déménager pour s’installer près de son lieu de travail ?
La guerre lancée à Istanbul ressemble fort à une gasconnade. Elle resterait risible si elle ne comprenait certaines recommandations bien incompatibles avec les libertés individuelles. Pour n’en citer qu’une, selon quels principes accepterait-on en effet « l’aide à la pratique d’exercice physique pour les groupes les moins favorisés » ?
Si tu es pauvre, fais du sport…
Les réunis du jour constatent que les Européens s’alourdissent, année après année. « Selon les pays, entre 32 et 79 % des hommes adultes et entre 28 et 78 % des femmes souffrent de surpoids ou d’obésité en Europe. La France se situe à un niveau plutôt moyen, avec 49 % des hommes et 35 % des femmes concernés. » Le nombre d’enfants en surpoids corrobore les statistiques précédentes : plus d’un petit Français (âgé de 7 à 9 ans) sur six est concerné.
La suite de l’article se disperse quelque peu, en mélangeant les causes et les conséquences, les lieux communs – les kilos superflus fatiguent inutilement l’organisme, l’excès de sucre accroît le risque de diabète – et les pistes sérieuses. L’air du temps flotte aussi à Istanbul, où l’on a bien entendu identifié un premier ennemi, l’industriel. Forcerait-on les Européens à manger ce que produit la filière agro-alimentaire ? En tout cas – nous transmet d’Istanbul Martine Perez – « Tenir les individus seuls comptables de leur obésité n’est aujourd’hui plus acceptable ».
Je reviendrai en conclusion sur les recommandations émises dans la charte signée à Istanbul. En attendant, il y a de quoi rester dubitatif. Les comparaisons historiques manquent. Ainsi, on note « la chute récente de la dépense physique ». Mais la population française comptait encore huit actifs sur vingt-et-un dans l’agriculture il y a un siècle (2 / 22 en 1975 et moins d’1 / 24 en 2006), pour une activité professionnelle complètement révolutionnée dans le même laps de temps. Dans l’agriculture comme dans les autres secteurs économiques, la productivité a augmenté, avec la plupart du temps une diminution de la pénibilité du travail. Faudra-t-il le regretter, parce que le confort signifie une dépense moindre d’énergie, et par voie de conséquence l’engraissement du travailleur ? Pas plus sérieuse n’est l’accusation proférée contre l’ordinateur ou contre la télévision : ne grossissait-on pas l’époque où l’on fréquentait davantage les bistrots et où l’on lisait livres et journaux en grand nombre ?
Il ne me reste qu’une piste à approfondir, laissée en plan par la journaliste, seulement citée pour son lien aux transports : l’énergie. Je pars en effet d’un postulat – certes peu en vogue et forcément contestable – que l’alimentation moyenne des Européens a assez peu varié. Si l’engraissement menace, il convient par conséquent de prendre le problème dans un autre sens. A alimentation égale, l’Européen brûle de moins en moins de calories (d’où ce surplus), car il reporte sa consommation d’énergie. On peut par exemple noter que l’activité la plus élémentaire, la thermorégulation humaine, devient épisodique et cesse d’être automatique : logements surchauffés en hiver, voitures et logements climatisés l’été. L’Européen en surpoids dispose par conséquent des moyens techniques pour parer à l’excès climatique. C’est ce que l’on appelle le confort, l’ascenseur qui remplace l’escalier.
Il convient de lier ces éléments à la question du déplacement et sur l’étalement urbain. En Europe, et plus précisément en France, la distance entre domicile et lieu de travail augmente régulièrement. En 2003, les 3,7 millions de migrants alternants que compte l’Ile-de-France ont effectué un trajet moyen de 11,6 kilomètres (voir ici). Cette distance implique l’impossibilité totale de marcher à pied ou d’utiliser un vélo. Prétendre changer les habitudes d’une telle population relève par conséquent de l’incantation, si l’on met de côté la question de la distance domicile – travail. Le surpoids grandissant des enfants est lui-même lié, même si cela n’apparaît pas à vue d’œil.
Car réfléchissons un instant ; qu’est-ce qui a changé entre un enfant de 2006 et son ancêtre d’il y a vingt-cinq ou cinquante ans (encore une fois, si on oublie un instant sa nourriture) ? L’école garde les mêmes caractéristiques, avec l’obligation – jusqu’à preuve du contraire – de demeurer immobile pendant des dizaines d’heures par semaine. Les activités sportives longtemps négligées ont même gagné récemment les cours d’école primaire. Il faut donc en revenir aux trajets pour rejoindre l’école. Qui n’est pas frappé par le rituel de l’accompagnement en voiture des petits Français (Européens) par leurs parents, par les bouchons devant les écoles en début de matinée et en fin d’après-midi ? J’aimerais bien sûr qu’on jauge scientifiquement les proportions, la part des parents devenus plus inquiets, qui refusent de laisser leurs enfants aller et revenir de l’école par leurs propres moyens, ceux qui habitent trop loin de l’école, et ceux qui – trop pressés – choisissent la solution de facilité, c’est-à-dire la voiture. Au total, combien d’enfants marchent de façon quotidienne en France ? La question imposerait une enquête approfondie. Il est évidemment plus rapide de montrer du doigt les fabricants de barres chocolatées. Ceux-ci cherchent bizarrement à vendre leur produit : qui s’en étonne !?
La conclusion du Figaro me rassure cependant, qui touche aux actions d’ores et déjà menées : « Les Pays-Bas, eux, ont entre autres lancé un plan national pour relancer la pratique de la danse. L’Italie s’est engagée dans des programmes éducatifs pour transmettre son patrimoine culinaire traditionnel… » Les questions gênantes restent en suspens : quel Européen désire moins de confort – celui-là même qui lui permet de brûler moins de calories – ? Quel Européen souhaite une envolée des prix du carburant, qui le forcerait à déménager pour s’installer près de son lieu de travail ?
La guerre lancée à Istanbul ressemble fort à une gasconnade. Elle resterait risible si elle ne comprenait certaines recommandations bien incompatibles avec les libertés individuelles. Pour n’en citer qu’une, selon quels principes accepterait-on en effet « l’aide à la pratique d’exercice physique pour les groupes les moins favorisés » ?
Si tu es pauvre, fais du sport…
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