mardi 15 juin 2010

Transports collectifs et habitat diffus en Ile de France.

Louis Andréani – article du Monde d’hier – me donne l’occasion de rebondir sur un sujet déjà abordé il y a une dizaine de jours dans ces mêmes colonnes (du couple improbable ville - voiture). A partir d’un thème général, il commence par constater, désabusé, les conséquences d’une journée de pluie en région parisienne (le 3 octobre dernier) : 400 kilomètres de bouchons. Le directeur de l’exploitation à la direction interdépartementale des routes d’Ile-de-France (Dirif), interrogé sur la question, affirme qu’il n’y a là rien d’anormal : c’est le lot commun de toutes les agglomérations. Il y aurait ‘une stabilisation du trafic et des bouchons (stagnation sur les radiales, légère augmentation sur les rocades), après la forte augmentation des décennies 1980 et 1990.‘
Mais l’intérêt de l’article tient à la rigueur intellectuelle de son auteur. Il ne glisse pas dans la facilité habituelle. Dans ce genre de situation, d’autres que lui auraient glissé sur un autre sujet, celui de la pollution par exemple. Ce thème est infinimiment plus consensuel – personne n’affirmera que les pots d’échappement produisent de la vapeur d’eau – et donc plus inoffensif. Il n’existe en effet aucune solution alternative aux hydrocarbures ; dans l’immédiat, et à des prix concurrentiels.
Louis Andreani se place par conséquent sous l’angle économique. Le recours à l’automobile se confirme année après année malgré les embouteillages. Les réactions de lecteurs du Monde indiquent clairement que les transports urbains répondent à un mécanisme concurrentiel, le métro ou le bus ne tenant pas la comparaison face à une voiture (jugée) à la fois confortable et moins onéreuse. Les bouchons coûtent cher, ajoute-t-il en substance à plusieurs reprises : non à l’automobiliste, mais aux sociétés privées qui payent des salariés absents, au contribuable qui financent de nouvelles infrastructures. Il questionne un élu PS de la région sur la note à payer : deux milliards d’euros. Mais ce dernier ratiocine : ‘si nous faisions l’économie des embouteillages, nous pourrions proposer des transports gratuits. » C’est un peu comme échafauder des projets de développement au Sahel avec de l’eau de la Seine ou de la Garonne.
L’argumentaire de l’auteur me paraît également fragile lorsqu’il rend seuls responsables ‘l’Etat et les élus‘ de la périurbanisation, de l’étalement des aires urbaines qui a conduit à une utilisation toujours plus forte de l’automobile. N’oublie-t-il pas que le modèle urbain anglo-saxon basé sur le pavillon individuel si gourmand en espace plaisait alors (et je pense, encore aujourd’hui) au plus grand nombre ? En démocratie, la majorité décide. Il me semble que de part et d’autre de l’Atlantique, la périurbanisation fait surtout la preuve que les automobilistes ont profité d’un carburant bon marché : la ville – tache d’huile ne peut renier sa génitrice, la voiture. Le directeur du département transports et infrastructures à l’Institut d’aménagement et d’urbanisme de la région d’Ile-de-France (Iaurif) ne dit pas autre chose dans l’article.
Quant à la planification urbaine, elle a stimulé l’offre de transport (individuel) en améliorant la voirie (multiplication des autoroutes et quatre voies), et donc encouragé la demande à s’ajuster constamment à celle-ci. En un mot, plus les routes s’élargissent, plus il y a de voitures. Dans les discours, le rapport s’inverse néanmoins la plupart du temps. Il apparaît alors que la congestion du réseau impose la construction de ceci, provoque l’ouverture de cela, etc. Au lecteur de rétablir l’ordre de causalité ! Comme le rappelle le journaliste, l’offre de transports en commun s’est bien sûr étoffée en Ile-de-France. Elle demeure pourtant inopérante dans les banlieues plus ou moins éloignées, à chaque fois que les densités urbaines se révèlent trop basses : l’offre – ici en transports en communs – ne peut stimuler qu’une demande réelle et non par définition une demande qui n’existe pas.
A l’inverse, les demandes spécifiques – du type trajets de banlieues à banlieues – sont trop parcellisées pour susciter une offre quelconque. En bref, plus les densités urbaines diminuent, plus l’utilisation de l’automobile s’impose. Même s’il veut faire une fleur à J.P. Huchon, le journaliste égare le lecteur avec des déclarations de bonnes intentions : ’la volonté politique de la région, dirigée par Jean-Paul Huchon (PS), désormais organisatrice des transports en tant que présidente du Syndicat des transports en commun de l’Ile-de-France (STIF), existe, mais ses moyens sont insuffisants. »
Louis Andréani fait enfin un contresens quand il associe l’étalement des grandes agglomérations avec la hausse de l’immobilier. Le premier date – comme il reconnaît lui-même – des années soixante tandis que la seconde n’a qu’une quinzaine d’années. Depuis lors au contraire, une partie des ménages aisés cherchent à revenir vivre dans les centres urbains ; les Anglo-saxons parlent à propos de ce phénomène de gentryfication. Celle-ci explique justement la hausse des prix immobiliers, par la pression de la demande sur une offre limitée en logements : partout en France, mais plus particulièrement encore à Paris.
Gardons-nous en conclusion d’imaginer pouvoir concilier l’inconciliable, la généralisation de l’automobile d’une part et sa réduction de l’autre. Sur le plan de la mécanique économique en revanche, si l’on veut faire payer à l’automobiliste le prix de son déplacement, et au consommateur le prix du transport des marchandises par camion, une solution existe. Elle consiste à augmenter les TIPP, c’est-à-dire les taxes sur le carburant. Bien peu de Français approuveraient cette mesure : le lecteur notera l’usage désabusé du conditionnel...
PS./ Dernier papier sur les questions de transport : à Stockholm.

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