Le vieillissement des populations du Nord retarde-t-il le développement de celles du Sud ? Au Mozambique, « pour un médecin qui reste, deux s’en vont. » lit-on dans Savana (Maputo), cité par Courrier International [n°863 / Du 16 au 23 mai 2007 / P.27]. Mafalda Brizida, la journaliste de l’hebdomadaire mozambicain commence son article en citant un rapport britannique rendu public en mars 2005 : « environ 65 000 médecins et 70 000 infirmières africains travaillent en Afrique [L'auteur veut probablement écrire "Europe", à moins que ce ne soit une erreur de traduction ?]. Soit un cinquième du personnel médical exerçant sur le continent. ». Deux facteurs ont concouru à accentuer l’émigration : les guerres civiles d'une part, et un marasme économique persistant d'autre part. Facilité des transports et offre de salaires attractifs expliquent le reste. Mais la situation varie grandement d’un pays à l’autre ; au Libéria, les deux tiers de médecins officient à l’étranger.
Au Mozambique, les chiffres officiels prêtent presque à sourire (5 %), les ONG avançant une proportion des trois quarts de médecins et infirmières exilés. La destination la plus proche pour eux (l’Afrique du Sud) n’arrive qu’en huitième position, derrière le Royaume Uni, les Etats-Unis, la France, l’Australie, le Canada, le Portugal, la Belgique et l’Espagne. « On estime que chaque année 20 000 médecins, infirmières ou autres, quittent l’Afrique à destination de l’Europe ou de l’Amérique du Nord, ce qui signifie que d’ici à 2015 il faudrait former 1 million de nouveaux professionnels de la santé pour atteindre les fameux ‘objectifs du millénaire’. » Ces chiffres bousculent des vérités établies. En effet, les gouvernements des grands pays développés prétendent toujours venir au secours d’une partie du Tiers-monde.
Evidemment, l’aide au développement n'a pas donné les résultats longtemps espérés. Quant au co – développement souvent repris dans les discours de la campagne présidentielle française de 2007, il laisse de nombreuses questions en suspens. Les pays africains connaissant en moyenne une forte croissance économique et démographique, le nombre de diplômés augmente chaque année : ceux qui désirent prendre le chemin de l’exil aussi. Car infirmières et médecins ne recherchent pas seulement en Europe ou en Amérique du Nord un salaire attractif, mais également un cadre de vie et la promesse d’un avenir meilleur. Seuls des Etats totalitaires pourraient éventuellement leur mettre des entraves. Au regard de l’émigration chinoise clandestine, on peut même s’interroger sur l’efficacité de tels dispositifs qui, de toutes façons, ne cadrent pas avec les principes moraux généralement mis en avant par les gouvernements occidentaux. Ces derniers doivent en outre prendre en compte les besoins de leurs populations en personnels médicaux...
Un médecin ou une infirmière nés en Afrique travaillent au Royaume-Uni. Ils se félicitent chaque jour de leur choix ; admettons cette hypothèse. Doivent-ils pour autant se sentir coupable de non assistance à population en danger ? Selon toutes vraisemblances, leur départ a libéré une place vacante au profit d'un jeune médecin ou d'une infirmière sortant d’école. Leur installation en Europe ouvre des perspectives à d’autres. Ils ont rehaussé le prestige propre à leurs métiers, et ont ainsi suscité de nouvelles vocations. Plus il y a de migrants, plus il y a de candidats. En 1985, l’Egypte comptait un médecin pour 5.000 habitants et en 2002, un pour 459. L’évolution précédente se vérifie en Afrique du Sud (un pour 1.667 en 1975, et un pour 226 en 2002), en Algérie (un pour 7.692 en 1970, un pour 2.326 en 1984 et un pour 1.176 en 2002), au Maroc (un pour 12.500 en 1970, un pour 4.762 en 1987 et un pour 2.041 en 2002), ou encore au Nigeria (un pour 20.000 en 1970, un pour 8.333 en 1983, et un pour 5.263 en 2002) [sources : Etat du Monde 1992 et Atlas du 21ème siècle / Nathan 2005]
Faut-il en conclure que l’émigration constitue la panacée ? Je demeure partagé, car si les étudiants africains les plus doués choisissent les diplômes qui les amènent à pouvoir s’installer en Europe, à l'instar des informaticiens en Inde, ils feront peut-être défaut au sein d’autres filières aussi importantes. L’agronomie si nécessaire en Afrique attire-t-elle autant de candidats, pour ne citer que cette seule filière ? On pourra approfondir la démonstration au plan économique en se reportant à ce papier d’Alexandre Delaigue .
On observe une interaction entre une aide au développement (involontaire mais manifestement efficace) et une aide au vieillissement. Revenons à Mafalda Brizida : « L’Europe, les Etats-Unis et le Canada ont négligé la formation d’un nombre suffisant de professionnels pour répondre aux besoins croissants causés par le vieillissement de leur population. […] Le Royaume Uni pourrait manquer de 25.000 médecins et de 35.000 infirmières d’ici à 2008. Les Etats-Unis, pour leur part, doivent trouver 1 million d’infirmières dans les trois ans qui viennent. […] La flexibilité des professionnels africains constitue un autre avantage ; ils sont plus disposés à travailler la nuit ou à faire des heures supplémentaires. » La journaliste mozambicaine a néanmoins sous-estimé le poids des politiques de santé. Sans l’intervention des gouvernements, la pénurie évoquée de médecins et d’infirmières devrait conduire à une hausse de leurs salaires en Europe et en Amérique du Nord. Celle-ci permettrait de stimuler le recrutement dans les filières de la santé (salaires élevés = nombreuses vocations), tout en respectant les critères d’une politique migratoire restrictive. Mais dans le pays qui opterait pour cette solution, la hausse des salaires produirait une explosion des dépenses de santé incompatible avec les objectifs de maîtrise des coûts. Dans le même temps, les besoins en médicaments, personnels et infrastructures de santé croissent au même rythme que le vieillissement de la population occidentale. Le recours à une main d’œuvre africaine constitue le recours ultime…
Il convient donc de ne pas prendre au pied de la lettre la conclusion de la journaliste : « le continent africain devient une proie facile pour les économies des pays riches, qui attirent les professionnels de la santé notamment grâce à des salaires sans commune mesure avec ceux pratiqués dans leurs pays. » On vient de le voir, le pillage annoncé s’avère moins évident que prévu. Je préfère pour ma part prévoir les futurs problèmes posés par l'aide au vieillissement, les impasses que représente le choix de l’externalisation par les pays occidentaux. 1. En Occident, l’opinion publique se montre hostile à une ouverture des frontières, ce qui doit conduire à une contradiction complète à cause du déficit de main d'oeuvre. Si l’on s’en tient même à l’immigration choisie, les travers évoqués plus haut risquent d'apparaître
2. Le ralentissement démographique et l’augmentation du niveau de vie programmés pour de nombreux pays africains devraient amener Européens et Nord – Américains à anticiper les solutions de demain pour faire face au tarissement des courants migratoires, et donc au manque prévisible de personnels : augmentation des salaires dans le secteur de la santé, aide au maintien à domicile, soutien aux milieux associatifs. 3. La courbe croissance des coûts ne peut s’inverser, à moins de revenir sur certains remboursements, de supprimer la gratuité des prises en charge, ou – solution la plus extrême – de délocaliser vieillards et hospitalisations de longue durée !
Au Mozambique, les chiffres officiels prêtent presque à sourire (5 %), les ONG avançant une proportion des trois quarts de médecins et infirmières exilés. La destination la plus proche pour eux (l’Afrique du Sud) n’arrive qu’en huitième position, derrière le Royaume Uni, les Etats-Unis, la France, l’Australie, le Canada, le Portugal, la Belgique et l’Espagne. « On estime que chaque année 20 000 médecins, infirmières ou autres, quittent l’Afrique à destination de l’Europe ou de l’Amérique du Nord, ce qui signifie que d’ici à 2015 il faudrait former 1 million de nouveaux professionnels de la santé pour atteindre les fameux ‘objectifs du millénaire’. » Ces chiffres bousculent des vérités établies. En effet, les gouvernements des grands pays développés prétendent toujours venir au secours d’une partie du Tiers-monde.
Evidemment, l’aide au développement n'a pas donné les résultats longtemps espérés. Quant au co – développement souvent repris dans les discours de la campagne présidentielle française de 2007, il laisse de nombreuses questions en suspens. Les pays africains connaissant en moyenne une forte croissance économique et démographique, le nombre de diplômés augmente chaque année : ceux qui désirent prendre le chemin de l’exil aussi. Car infirmières et médecins ne recherchent pas seulement en Europe ou en Amérique du Nord un salaire attractif, mais également un cadre de vie et la promesse d’un avenir meilleur. Seuls des Etats totalitaires pourraient éventuellement leur mettre des entraves. Au regard de l’émigration chinoise clandestine, on peut même s’interroger sur l’efficacité de tels dispositifs qui, de toutes façons, ne cadrent pas avec les principes moraux généralement mis en avant par les gouvernements occidentaux. Ces derniers doivent en outre prendre en compte les besoins de leurs populations en personnels médicaux...
Un médecin ou une infirmière nés en Afrique travaillent au Royaume-Uni. Ils se félicitent chaque jour de leur choix ; admettons cette hypothèse. Doivent-ils pour autant se sentir coupable de non assistance à population en danger ? Selon toutes vraisemblances, leur départ a libéré une place vacante au profit d'un jeune médecin ou d'une infirmière sortant d’école. Leur installation en Europe ouvre des perspectives à d’autres. Ils ont rehaussé le prestige propre à leurs métiers, et ont ainsi suscité de nouvelles vocations. Plus il y a de migrants, plus il y a de candidats. En 1985, l’Egypte comptait un médecin pour 5.000 habitants et en 2002, un pour 459. L’évolution précédente se vérifie en Afrique du Sud (un pour 1.667 en 1975, et un pour 226 en 2002), en Algérie (un pour 7.692 en 1970, un pour 2.326 en 1984 et un pour 1.176 en 2002), au Maroc (un pour 12.500 en 1970, un pour 4.762 en 1987 et un pour 2.041 en 2002), ou encore au Nigeria (un pour 20.000 en 1970, un pour 8.333 en 1983, et un pour 5.263 en 2002) [sources : Etat du Monde 1992 et Atlas du 21ème siècle / Nathan 2005]
Faut-il en conclure que l’émigration constitue la panacée ? Je demeure partagé, car si les étudiants africains les plus doués choisissent les diplômes qui les amènent à pouvoir s’installer en Europe, à l'instar des informaticiens en Inde, ils feront peut-être défaut au sein d’autres filières aussi importantes. L’agronomie si nécessaire en Afrique attire-t-elle autant de candidats, pour ne citer que cette seule filière ? On pourra approfondir la démonstration au plan économique en se reportant à ce papier d’Alexandre Delaigue .
On observe une interaction entre une aide au développement (involontaire mais manifestement efficace) et une aide au vieillissement. Revenons à Mafalda Brizida : « L’Europe, les Etats-Unis et le Canada ont négligé la formation d’un nombre suffisant de professionnels pour répondre aux besoins croissants causés par le vieillissement de leur population. […] Le Royaume Uni pourrait manquer de 25.000 médecins et de 35.000 infirmières d’ici à 2008. Les Etats-Unis, pour leur part, doivent trouver 1 million d’infirmières dans les trois ans qui viennent. […] La flexibilité des professionnels africains constitue un autre avantage ; ils sont plus disposés à travailler la nuit ou à faire des heures supplémentaires. » La journaliste mozambicaine a néanmoins sous-estimé le poids des politiques de santé. Sans l’intervention des gouvernements, la pénurie évoquée de médecins et d’infirmières devrait conduire à une hausse de leurs salaires en Europe et en Amérique du Nord. Celle-ci permettrait de stimuler le recrutement dans les filières de la santé (salaires élevés = nombreuses vocations), tout en respectant les critères d’une politique migratoire restrictive. Mais dans le pays qui opterait pour cette solution, la hausse des salaires produirait une explosion des dépenses de santé incompatible avec les objectifs de maîtrise des coûts. Dans le même temps, les besoins en médicaments, personnels et infrastructures de santé croissent au même rythme que le vieillissement de la population occidentale. Le recours à une main d’œuvre africaine constitue le recours ultime…
Il convient donc de ne pas prendre au pied de la lettre la conclusion de la journaliste : « le continent africain devient une proie facile pour les économies des pays riches, qui attirent les professionnels de la santé notamment grâce à des salaires sans commune mesure avec ceux pratiqués dans leurs pays. » On vient de le voir, le pillage annoncé s’avère moins évident que prévu. Je préfère pour ma part prévoir les futurs problèmes posés par l'aide au vieillissement, les impasses que représente le choix de l’externalisation par les pays occidentaux. 1. En Occident, l’opinion publique se montre hostile à une ouverture des frontières, ce qui doit conduire à une contradiction complète à cause du déficit de main d'oeuvre. Si l’on s’en tient même à l’immigration choisie, les travers évoqués plus haut risquent d'apparaître
2. Le ralentissement démographique et l’augmentation du niveau de vie programmés pour de nombreux pays africains devraient amener Européens et Nord – Américains à anticiper les solutions de demain pour faire face au tarissement des courants migratoires, et donc au manque prévisible de personnels : augmentation des salaires dans le secteur de la santé, aide au maintien à domicile, soutien aux milieux associatifs. 3. La courbe croissance des coûts ne peut s’inverser, à moins de revenir sur certains remboursements, de supprimer la gratuité des prises en charge, ou – solution la plus extrême – de délocaliser vieillards et hospitalisations de longue durée !
PS./ Dernier papier sur le vieillissement : La chasse au marché cible est lancée ; Sur l'Afrique noire : La vie du Malawi (suite).
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