Quelle belle époque nous vivons ! De nouvelles nations voient le jour… Diane Cambon – de Madrid et non de Barcelone (!) – écrit (ici) pour annoncer que les Catalans votent dans leur « riche région […] sept mois après la crise déclenchée par la réforme du statut d’autonomie, qui a permis la reconnaissance par Madrid d’une ‘nation’ catalane ». S’ensuivent de nombreux détails sur la répartition des forces politiques dans l’assemblée régionale, les jeux d’alliance subtils. Mais l’article réserve une place de choix aux surenchères des plus radicaux, sans distinction de couleur politique. Sur la question de la culture catalane, ou sur celle des transferts de compétence de Madrid à Barcelone, la séparation droite (Convergencia i Unio) – gauche (Esquerra Republicana de Catalunya) s’estompe en effet.
L’ERC a ainsi indirectement provoqué ces élections en cessant de soutenir le gouvernement régional jugé par ses dirigeants trop pondéré vis-à-vis de l’Etat espagnol, tandis qu’Artur Mas, le successeur de Jordi Pujol (CiU) « rompt avec le style traditionnel des nationalistes modérés. » Diane Cambon illustre en conclusion ce premier commentaire plutôt flatteur, en rapportant une de ses brillantes (…) promesses électorales : Artur Mas a en effet proposé pour les immigrés un « carnet à points ». Je cite la journaliste : « Les ‘bons’ immigrés, parlant catalan ou faisant des efforts pour s’intégrer, gagneraient des points leur permettant de bénéficier de droits sociaux. Les nationalistes veulent ainsi que les étrangers démontrent leur attachement à la Catalogne, qui compte 940 000 immigrants pour 7 millions d’habitants. » Magnifique. Mais comment jugera-t-on « des efforts pour s’intégrer » ? On attend avec impatience les propositions afférentes : regroupement géographique desdits immigrés, et pourquoi pas – soyons fous – port obligatoire d’un signe distinctif visible sur la veste pour les récalcitrants non linguistes ? [Dans le dernier numéro de Courrier International, un article traite du boom économique de l’Espagne… En partie lié aux quatre millions d’immigrés]
L’auteur de ces lignes reste coi devant la démagogie de ces régionalistes prêts à flatter leur électorat dans ce qu’il a de moins reluisant. Ils se constituent une clientèle qui pèserait mathématiquement bien peu à l’échelle de l’ensemble de la population espagnole ; (presque) grands parmi les petits. Mais allons au-delà. Au fond, de quelle histoire autonome (du reste de la péninsule) se réclament les indépendantistes catalans, si ce n’est d’une histoire tronquée ? Il faut d’abord chercher une CARTE, puis remonter à l’époque carolingienne (période comprise entre les VIII et Xèmes siècles), lorsque les califats arabo – berbères contrôlent une grande partie de la péninsule ibérique. Ce que l’on appelait pas encore Catalogne, les « Marches hispaniques » jouissent d’une prospérité à la fois économique et intellectuelle : mais en grande partie grâce au commerce avec l’Espagne musulmane. Plus tard, les Aragonais s’intéressent à la Méditerranée occidentale, conquièrent les Baléares ou la Sardaigne, n’hésitant pas à tisser des liens commerciaux avec les Barbaresques. L’indépendantiste catalan se livre par conséquent à un exercice délicat, en brocardant l’Espagne mélangée, mauresque (impure ?), mais en présentant la richesse de la région sans en détailler les origines.
De peur de lasser mon lecteur, je sauterai les époques intermédiaires pour en arriver directement au vote de 1932 des statuts spéciaux. Aux Cortes, la Chambre des députés espagnols, des hommes politiques prennent à l’époque le risque de mécontenter une partie de la population espagnole pour garantir une autonomie. La guerre civile, en 1936, trouve finalement une de ses origines dans ce séparatisme : plus encore celui de la Catalogne que celui des provinces basques. Mais cela n’incite guère par la suite Companys, le président de la Generalitat, à faire preuve d’une reconnaissance rétroactive. La guerre entre nationalistes et républicains se passe et les nationalistes catalans se gardent d’affronter directement les armées nationalistes avant la mi – 1937, à l’exception de combats localisés en Aragon. A cette date, Madrid est alors encerclée et les provinces septentrionales (Biscaye) ont succombé aux assauts du général Mola (nationaliste) et de la légion Condor… Le monde s’écroule, et à Barcelone rien n’en serait changé ; à tort. Il ne faut pas s’étonner si beaucoup de Républicains ne pleurent guère en contrepartie lorsque les troupes de Franco rentrent à Barcelone en février 1939.
Mais je fais sans doute preuve d’étroitesse d’esprit. Car géographiquement, la Catalogne constitue une nation tellement originale : sa langue romane (unique), son littoral méditerranéen opposé à l’intérieur des terres montagneux (sans pareil), son grande port cosmopolite… ! La délimitation de la Catalogne pose en outre quelques problèmes. Car au nord de la frontière jusqu’ici retenue comme internationale, des Français et des Andorrans parlent le catalan. A l’ouest, la ligne de séparation entre l’Aragon – un tout petit peu catalane, quand même – coupe la vallée de l’Ebre (dans le sens nord / sud), fleuve qui ne respecte rien puisqu’il s’écoule dans le sens est / ouest. Au sud et à l’est enfin, restent les Valenciens et les habitants des Baléares, dont les dirigeants à tendance régionaliste se montrent plus circonspects vis-à-vis des Catalans que de Madrid. Sur ce point, voir (P.90-91) Yolaine Cultiaux : Le nationalisme comme différentialisme intégrateur : le catalanisme face à l’Etat espagnol et à la construction europénne (Thèse de doctorat / IEP – Aix-Marseille).
PS./ Dernier article sur l’Espagne : ici.
L’ERC a ainsi indirectement provoqué ces élections en cessant de soutenir le gouvernement régional jugé par ses dirigeants trop pondéré vis-à-vis de l’Etat espagnol, tandis qu’Artur Mas, le successeur de Jordi Pujol (CiU) « rompt avec le style traditionnel des nationalistes modérés. » Diane Cambon illustre en conclusion ce premier commentaire plutôt flatteur, en rapportant une de ses brillantes (…) promesses électorales : Artur Mas a en effet proposé pour les immigrés un « carnet à points ». Je cite la journaliste : « Les ‘bons’ immigrés, parlant catalan ou faisant des efforts pour s’intégrer, gagneraient des points leur permettant de bénéficier de droits sociaux. Les nationalistes veulent ainsi que les étrangers démontrent leur attachement à la Catalogne, qui compte 940 000 immigrants pour 7 millions d’habitants. » Magnifique. Mais comment jugera-t-on « des efforts pour s’intégrer » ? On attend avec impatience les propositions afférentes : regroupement géographique desdits immigrés, et pourquoi pas – soyons fous – port obligatoire d’un signe distinctif visible sur la veste pour les récalcitrants non linguistes ? [Dans le dernier numéro de Courrier International, un article traite du boom économique de l’Espagne… En partie lié aux quatre millions d’immigrés]
L’auteur de ces lignes reste coi devant la démagogie de ces régionalistes prêts à flatter leur électorat dans ce qu’il a de moins reluisant. Ils se constituent une clientèle qui pèserait mathématiquement bien peu à l’échelle de l’ensemble de la population espagnole ; (presque) grands parmi les petits. Mais allons au-delà. Au fond, de quelle histoire autonome (du reste de la péninsule) se réclament les indépendantistes catalans, si ce n’est d’une histoire tronquée ? Il faut d’abord chercher une CARTE, puis remonter à l’époque carolingienne (période comprise entre les VIII et Xèmes siècles), lorsque les califats arabo – berbères contrôlent une grande partie de la péninsule ibérique. Ce que l’on appelait pas encore Catalogne, les « Marches hispaniques » jouissent d’une prospérité à la fois économique et intellectuelle : mais en grande partie grâce au commerce avec l’Espagne musulmane. Plus tard, les Aragonais s’intéressent à la Méditerranée occidentale, conquièrent les Baléares ou la Sardaigne, n’hésitant pas à tisser des liens commerciaux avec les Barbaresques. L’indépendantiste catalan se livre par conséquent à un exercice délicat, en brocardant l’Espagne mélangée, mauresque (impure ?), mais en présentant la richesse de la région sans en détailler les origines.
De peur de lasser mon lecteur, je sauterai les époques intermédiaires pour en arriver directement au vote de 1932 des statuts spéciaux. Aux Cortes, la Chambre des députés espagnols, des hommes politiques prennent à l’époque le risque de mécontenter une partie de la population espagnole pour garantir une autonomie. La guerre civile, en 1936, trouve finalement une de ses origines dans ce séparatisme : plus encore celui de la Catalogne que celui des provinces basques. Mais cela n’incite guère par la suite Companys, le président de la Generalitat, à faire preuve d’une reconnaissance rétroactive. La guerre entre nationalistes et républicains se passe et les nationalistes catalans se gardent d’affronter directement les armées nationalistes avant la mi – 1937, à l’exception de combats localisés en Aragon. A cette date, Madrid est alors encerclée et les provinces septentrionales (Biscaye) ont succombé aux assauts du général Mola (nationaliste) et de la légion Condor… Le monde s’écroule, et à Barcelone rien n’en serait changé ; à tort. Il ne faut pas s’étonner si beaucoup de Républicains ne pleurent guère en contrepartie lorsque les troupes de Franco rentrent à Barcelone en février 1939.
Mais je fais sans doute preuve d’étroitesse d’esprit. Car géographiquement, la Catalogne constitue une nation tellement originale : sa langue romane (unique), son littoral méditerranéen opposé à l’intérieur des terres montagneux (sans pareil), son grande port cosmopolite… ! La délimitation de la Catalogne pose en outre quelques problèmes. Car au nord de la frontière jusqu’ici retenue comme internationale, des Français et des Andorrans parlent le catalan. A l’ouest, la ligne de séparation entre l’Aragon – un tout petit peu catalane, quand même – coupe la vallée de l’Ebre (dans le sens nord / sud), fleuve qui ne respecte rien puisqu’il s’écoule dans le sens est / ouest. Au sud et à l’est enfin, restent les Valenciens et les habitants des Baléares, dont les dirigeants à tendance régionaliste se montrent plus circonspects vis-à-vis des Catalans que de Madrid. Sur ce point, voir (P.90-91) Yolaine Cultiaux : Le nationalisme comme différentialisme intégrateur : le catalanisme face à l’Etat espagnol et à la construction europénne (Thèse de doctorat / IEP – Aix-Marseille).
PS./ Dernier article sur l’Espagne : ici.
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