mercredi 23 juin 2010

Mengistu et Mugabe, deux dictateurs bien faits pour s’entendre. (Vues sur l’Ethiopie)

Si l’on en croit les journaux de cette semaine, les autorités éthiopiennes ont enfin organisé le procès de Mengistu Haile Mariam. Quinze années ont été nécessaires : à Addis Abeba, la justice se hâte lentement… Elle a reconnu la culpabilité de l’ancien officier de carrière installé au pouvoir en 1977. Sur le site de l’Humanité , on trouvera la biographie de l’ancien dictateur éthiopien jusqu’à cette date ; au-delà, le journal est beaucoup moins disert, passant sous silence les dizaines de milliers de morts laissés par l’ancien responsable éthiopien.
Car après 1977 (voir ici) l’Ethiopie se rapproche de l’Union Soviétique. L’Occident s’intéresse à la fin du règne de Brejnev, puis prête un vague intérêt à l’invasion de l’Afghanistan. En Ethiopie, le Derg, junte révolutionnaire au pouvoir militarise le pays. La Terreur rouge conduit au massacre de milliers d’opposants. Ce sont les rebelles séparatistes qui viennent finalement à bout du régime en 1991. Depuis sa fuite du pays, Mengistu bénéficie de la protection du président Mugabe au Zimbabwe.
Cette triste histoire conclue par cet épilogue insatisfaisant – le condamné ne purgera aucune peine dans l’immédiat – m’amène à tirer trois enseignements. Le premier concerne l’Ethiopie elle-même, qui compte environ 70 millions d’habitants sur un territoire grand comme deux fois et demi la France (1,22 millions de km²).
Ici, rien n’est moins précis que le mot pays pour décrire ce qui est resté un empire, aussi complexe qu’une galaxie. Elle se compose de 11 circonscriptions régionales (huit Etats et trois aires urbaines, dont celle d’Addis Abeba), 80 ethnies, 200 langues [ici] une majorité chrétienne dite monophysite (généralement classée comme orthodoxe) dans un environnement dominé par l’Islam. L’appellation ancienne d’Abyssinie a cédé la place à un terme – l’Ethiopie – qui renvoie à des données physiques : le massif éthiopien dominant (alt. max. 4600 m.) l’est de l’Afrique capte les alizés de l’océan Indien, beaucoup plus arrosé que les régions avoisinantes ; le Nil bleu y prend sa source, ainsi que certains affluents. Cet empire éthiopien paraît anachronique en ce début de 21ème siècle, ses peuples remuent et ses frontières se révèlent sujettes à discussion ; d’où des tensions persistantes avec l’Erythrée au nord.
Mais les difficultés de l’empire trouvent aussi leurs racines à l’époque de l’empereur Ménélik (deuxième enseignement). Contrairement à l’idée reçue (ici), tous les malheurs de l’Afrique ne s’expliquent pas avec l’impérialisme. En l’occurrence, Ménélik porte la responsabilité après 1889 d’incorporer le nationalisme dans son empire. Unifier pour régner semble être sa devise. Il impose à tous une langue – l’amharique – parlée par 40 % de la population. C’est son successeur Hailé Sélassié (1913 – 1974) qui est renversé par le Derg. Celui-ci pratique une politique plus machiavélienne encore – diviser pour règner – en favorisant des langues concurrentes à l’amharique pour limiter la force de nuisance des contestataires. L’Ethiopie avec ses voisins en supportent aujourd’hui les conséquences. La junte marxiste porte en outre la responsabilité d’une dégradation sans précédent de l’économie éthiopienne…
Un troisième enseignement me tient à coeur. En 1984, l’opinion publique occidentale tombe dans le panneau d’une orchestration de la famine éthiopienne. La presse se laisse flouer par des raisonneurs à la petite semaine : on explique la famine par les seuls facteurs climatiques… Dans le pays africain sans doute le mieux pourvu de l’hémisphère nord. Combien passent sous silence la guerre civile larvée, les déplacements de populations ordonnés par Addis Abeba pour faire taire les rebelles au pouvoir ? Un temps dépassés par l’ampleur des secours, les autorités parviennent même à tirer profit de l’aide internationale, en la détournant ou à la conditionnant à un retour au calme.
Pendant ce temps, durant l’été 1984, 1 500 Ethiopiens meurent chaque jour. Dans le camp de Korem, au nord, « la propagande officielle incite aux départs ‘volontaires’ vers le sud. Certains s’en vont, les autres restent, sans imaginer l’enfer qui leur est réservé en représailles : la nourriture est désormais réservée à certains, l’aide alimentaire détournée vers le sud. […] En août 1985, alors que les autorités viennent de refuser à MSF l’ouverture d’un centre de nutrition pour 8 000 enfants en danger de mort, » l’organisation proteste. Elle se fait expulser le 2 décembre. Le seul épisode de 1984 – 1985 cause 100 000 morts. (pour plus de détails, voir ici ).
La justice est-elle de ce monde ? En tout cas, Mengistu et Mugabe s’étalonnent mieux que n’importe quel procureur, en constituant ce curieux attelage.
PS./ Dernier article sur le Zimbabwe : ici

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