Les mafieux siciliens quittent l'Amérique. Bye bye New York, avertit Marie-Claude Decamps dans Le Monde. Entendons-nous bien sur l'origine géographique des candidats au retour. Leurs ascendants traversent naguère l'Atlantique, en quête d'une vie meilleure qu'en Sicile. Naples s'est éclipsée. Elle a décliné en même temps que le commerce s'effondrait en Méditerranée et que la République française exportait sa révolution. Les armées napoléoniennes précédant de trois quarts de siècle les volontaires garibaldiens ont bouleversé le destin du sud de l'Italie. Le bout de la botte depuis des décennies au centre du monde, se métamorphose alors en une excroissance inutile.
A la fin du XIXème siècle, l'Italie unifiée ne fait plus le bonheur de ses enfants, de ceux du Sud. A Rome, l'Etat nouveau crée une administration, envoie son armée en Afrique et édifie même une machine à écrire ; elle multiplie les taxes et impôts. Les produits importés des grandes nations industrielles désorganisent l'économie traditionnelle. Pauvreté grandissante et forte fécondité incitent Calabrais, Napolitains et bien sûr Siciliens à s'en aller. Ils se décident dès les années 1870, puis en plus grand nombre à partir de 1890 : jusqu'à 30.000 Italiens par an traversent l'Atlantique avant la Première guerre mondiale. [source]. La dictature mussolinienne tente en vain d'interrompre cette émigration : 700.000 Italiens supplémentaires s'échappent du pays [source].
Un certain nombre de ces immigrés échappent à la misère en basculant dans le crime, tout en maintenant durablement un lien avec l'Europe. Dans les années 1970 – 1980, Marie-Claude Decamps rappelle que le trafic d'héroïne de la « 'pizza connection', 4 tonnes de blanche envoyées par an de Sicile, couvrait plus du tiers des besoins du marché américain. Même des ménagères de Torretta y ont participé. Elles s'envolaient pour New York, leurs sous-vêtements rembourrés de drogue, parfumées à outrance pour détourner les chiens des brigades anti-stupéfiants. » Les descendants de ces mafieux d'hier ou d'avant-hier prennent aujourd'hui le chemin inverse.
Des Américains dont les noms trahissent leur origine (pén)insulaire traversent l'Atlantique. Parlent-ils pour autant l'italien ? C'est douteux. Ils ne reviennent pas dans un pays un jour abandonné. Ils s'y installent. Ils quittent New York alors que personne ne les chassent, quoi qu'en pensent les réalisateurs des Soprano. A moins que la police new-yorkaise agisse efficacement, dans l'ombre, sans en avertir une presse qui omettrait de les en féliciter. En réalité, Big Apple n'offre sans doute plus les mêmes opportunités, parce que le jeu et la drogue payent moins, parce que les prostituées attirent moins de clients ? Ou bien, autre possibilité, ces Italo – américains s'exilent en Sicile pour y faire fortune, réaliser des gains aussi illégaux que fructueux. Marie-Claude Decamps succombe cependant à une tentation très cinématographique pour expliquer cette étonnante migration. Les images et la musique des films de Coppola exhalent de ses lignes.
Les criminels renonceraient définitivement aux Etats-Unis, selon la journaliste du Monde parce qu'ils assouviraient une soif de vengeance. Pour une pression sur la gachette, ils changeraient de pays... Les raisons de s'entretuer ne manquent certes pas depuis les assassinats du printemps 1981 (Bontate et Gambino) qui ont inauguré deux années sanglantes et leur cortège de victimes, un millier de morts, à la suite desquels Toto Riina s'est imposé comme le chef mafieux le plus puissant. Des familles ont littéralement disparu, dont certains membres obtiennent le droit de partir aux Etats-Unis pour sauver leur peau. « Déjà, le 31 décembre 2004, l'arrivée à Palerme de Rosario Inzerillo, frère de Totuccio, le parrain assassiné, avait mis la ville en émoi. Puis, de petits voyages fugaces en séjours discrets, d'autres sont rentrés. Franco, le neveu, puis Giovanni, l'autre fils de Totuccio, et d'autres encore. Et avec eux ont ressurgi les anciens alliés disparus, les Spatola, du quartier de l'Uditore, les Di Maggio, à Torretta. Ensuite, s'est rendu à Palerme et à Torretta ce Frank Cali, 'homme d'honneur' de New York qui a tout l'air d'un chargé d'affaires des familles américaines. »
De cet article du Monde, il ressort qu'anciens et nouveaux se concurrencent et n'hésitent pas au besoin à s'éliminer. Peu importe le nom de l'équipe gagnante, ou celui des hommes politiques pervertis. Les vingt dernières années témoignent d'un regain de vitalité des organisations mafieuses au sud de l'Italie, et c'est bien l'information la plus essentielle. Marie-Claude Decamps justifie ce succès inattendu par l'inventivité des parrains (Riina, puis Provenzano). Elle lie le blanchiment de l'argent sale à leur désir d'honorabilité, selon une interprétation tant de fois reprise par les scénaristes. « [Provenzano] avait compris que pour faire 'i bisinessi', les affaires, la Mafia devait opérer une 'plongée abyssale' dans le silence et la discrétion. Plus d'attentats ni d'attaques frontales contre l'Etat, comme l'avait fait son prédécesseur, Toto Riina. » J'incline pour une autre interprétation, car ce n'est pas le vinaigre qui attire les mouches. En sifflant la fin d'un interlude de deux siècles, quelques décennies d'hibernation économique, la mafia apporte la preuve d'un retour en grâce du Mezzogiorno. Le dollar dérape mois après mois, rendant la zone euro d'autant plus attractive que l'abaissement des frontières permet de jouer sur la TVA d'un pays à l'autre [source]. Les littoraux méditerranéens se couvrent de villas qui ont enclenché une hausse des prix de l'immobilier elle aussi propre à séduire le milieu mafieux [voir ici et là].
Il ne faut pas écarter les modes de financement traditionnel : trafic d'ordures ménagères, de contrefaçons, de cigarettes, de drogues ou de clandestins [voir développement récent de la Stidda à partir d'Agrigente et du sud de la Sicile]. La mafia capte l'argent public destiné au développement industriel, à l'agriculture traditionnelle (soutien à l'élevage de montagne), et vole les chefs d'entreprises : « Cosa Nostra tire aujourd'hui l'essentiel de ses revenus de l'extorsion (80 % des entrepreneurs palermitains sont rackettés), de l'usure et du contrôle des appels d'offres publics. » [source]. Alors, la vengeance, mobile unique d'un retour des new-yorkais en Sicile ? !
A la fin du XIXème siècle, l'Italie unifiée ne fait plus le bonheur de ses enfants, de ceux du Sud. A Rome, l'Etat nouveau crée une administration, envoie son armée en Afrique et édifie même une machine à écrire ; elle multiplie les taxes et impôts. Les produits importés des grandes nations industrielles désorganisent l'économie traditionnelle. Pauvreté grandissante et forte fécondité incitent Calabrais, Napolitains et bien sûr Siciliens à s'en aller. Ils se décident dès les années 1870, puis en plus grand nombre à partir de 1890 : jusqu'à 30.000 Italiens par an traversent l'Atlantique avant la Première guerre mondiale. [source]. La dictature mussolinienne tente en vain d'interrompre cette émigration : 700.000 Italiens supplémentaires s'échappent du pays [source].
Un certain nombre de ces immigrés échappent à la misère en basculant dans le crime, tout en maintenant durablement un lien avec l'Europe. Dans les années 1970 – 1980, Marie-Claude Decamps rappelle que le trafic d'héroïne de la « 'pizza connection', 4 tonnes de blanche envoyées par an de Sicile, couvrait plus du tiers des besoins du marché américain. Même des ménagères de Torretta y ont participé. Elles s'envolaient pour New York, leurs sous-vêtements rembourrés de drogue, parfumées à outrance pour détourner les chiens des brigades anti-stupéfiants. » Les descendants de ces mafieux d'hier ou d'avant-hier prennent aujourd'hui le chemin inverse.
Des Américains dont les noms trahissent leur origine (pén)insulaire traversent l'Atlantique. Parlent-ils pour autant l'italien ? C'est douteux. Ils ne reviennent pas dans un pays un jour abandonné. Ils s'y installent. Ils quittent New York alors que personne ne les chassent, quoi qu'en pensent les réalisateurs des Soprano. A moins que la police new-yorkaise agisse efficacement, dans l'ombre, sans en avertir une presse qui omettrait de les en féliciter. En réalité, Big Apple n'offre sans doute plus les mêmes opportunités, parce que le jeu et la drogue payent moins, parce que les prostituées attirent moins de clients ? Ou bien, autre possibilité, ces Italo – américains s'exilent en Sicile pour y faire fortune, réaliser des gains aussi illégaux que fructueux. Marie-Claude Decamps succombe cependant à une tentation très cinématographique pour expliquer cette étonnante migration. Les images et la musique des films de Coppola exhalent de ses lignes.
Les criminels renonceraient définitivement aux Etats-Unis, selon la journaliste du Monde parce qu'ils assouviraient une soif de vengeance. Pour une pression sur la gachette, ils changeraient de pays... Les raisons de s'entretuer ne manquent certes pas depuis les assassinats du printemps 1981 (Bontate et Gambino) qui ont inauguré deux années sanglantes et leur cortège de victimes, un millier de morts, à la suite desquels Toto Riina s'est imposé comme le chef mafieux le plus puissant. Des familles ont littéralement disparu, dont certains membres obtiennent le droit de partir aux Etats-Unis pour sauver leur peau. « Déjà, le 31 décembre 2004, l'arrivée à Palerme de Rosario Inzerillo, frère de Totuccio, le parrain assassiné, avait mis la ville en émoi. Puis, de petits voyages fugaces en séjours discrets, d'autres sont rentrés. Franco, le neveu, puis Giovanni, l'autre fils de Totuccio, et d'autres encore. Et avec eux ont ressurgi les anciens alliés disparus, les Spatola, du quartier de l'Uditore, les Di Maggio, à Torretta. Ensuite, s'est rendu à Palerme et à Torretta ce Frank Cali, 'homme d'honneur' de New York qui a tout l'air d'un chargé d'affaires des familles américaines. »
De cet article du Monde, il ressort qu'anciens et nouveaux se concurrencent et n'hésitent pas au besoin à s'éliminer. Peu importe le nom de l'équipe gagnante, ou celui des hommes politiques pervertis. Les vingt dernières années témoignent d'un regain de vitalité des organisations mafieuses au sud de l'Italie, et c'est bien l'information la plus essentielle. Marie-Claude Decamps justifie ce succès inattendu par l'inventivité des parrains (Riina, puis Provenzano). Elle lie le blanchiment de l'argent sale à leur désir d'honorabilité, selon une interprétation tant de fois reprise par les scénaristes. « [Provenzano] avait compris que pour faire 'i bisinessi', les affaires, la Mafia devait opérer une 'plongée abyssale' dans le silence et la discrétion. Plus d'attentats ni d'attaques frontales contre l'Etat, comme l'avait fait son prédécesseur, Toto Riina. » J'incline pour une autre interprétation, car ce n'est pas le vinaigre qui attire les mouches. En sifflant la fin d'un interlude de deux siècles, quelques décennies d'hibernation économique, la mafia apporte la preuve d'un retour en grâce du Mezzogiorno. Le dollar dérape mois après mois, rendant la zone euro d'autant plus attractive que l'abaissement des frontières permet de jouer sur la TVA d'un pays à l'autre [source]. Les littoraux méditerranéens se couvrent de villas qui ont enclenché une hausse des prix de l'immobilier elle aussi propre à séduire le milieu mafieux [voir ici et là].
Il ne faut pas écarter les modes de financement traditionnel : trafic d'ordures ménagères, de contrefaçons, de cigarettes, de drogues ou de clandestins [voir développement récent de la Stidda à partir d'Agrigente et du sud de la Sicile]. La mafia capte l'argent public destiné au développement industriel, à l'agriculture traditionnelle (soutien à l'élevage de montagne), et vole les chefs d'entreprises : « Cosa Nostra tire aujourd'hui l'essentiel de ses revenus de l'extorsion (80 % des entrepreneurs palermitains sont rackettés), de l'usure et du contrôle des appels d'offres publics. » [source]. Alors, la vengeance, mobile unique d'un retour des new-yorkais en Sicile ? !
PS./ Dernier article sur l'Italie : Anomalies normales en Italie.
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