Richard Heuzé nous fait part en fin de semaine dernière de l’inquiétude qui règne en Italie. Les pluies s’y font désirer dès le milieu du printemps. Plutôt que de s’apitoyer trop tôt, je suggère une brève révision du climat méditerranéen, et plus particulièrement italien. Commençons par les statistiques mensuelles de Rome, avec en italique les moyennes de températures, en degrés Celsius, et en gras, les moyennes de précipitions en millimètres : 8 – 79 / 9 – 73 / 11 – 77 / 14 – 47 / 17 – 34 / 22 – 20 / 24 – 7 / 24 – 35 / 21 – 76 / 17 – 83 / 13 – 127 / 9 – 109. Si l’on trace les deux courbes du diagramme ombrothermique, on observe une cloche (°C) et une cuvette (mm) : les températures moyennes augmentent fortement dès la fin d’un hiver recherché pour sa douceur, puis retombent en pente douce à l’automne ; a contrario, les précipitations diminuent nettement en été, provoquant une mini – saison sèche. Car l’absence de pluies se combine avec une forte évaporation.
Un bref aperçu des données climatologiques de la station de Venise s’impose toutefois, pour incorporer tout de suite l’idée de l’hétérogénéité du climat méditerranéen (apparaissent en surligné les données égales ou proches de celles relevées à Rome) : 2 – 60 / 4 – 58 / 8 – 55 / 12 – 72 / 17 – 73 / 21 – 70 / 23 – 62 / 23 – 87 / 19 – 59 / 13 – 72 / 8 – 100 / 4 – 49. Les deux villes se différencient nettement, ne partageant que les chaleurs estivales, la comparaison s’arrêtant aux précipitations : rares à Rome, abondantes dans la cité des Doges. Les villes françaises connaissant le même mois de janvier se situent beaucoup plus au nord : Cambrai (2,5 – 47,5), Besançon (1,6 – 91) ou encore Macon (2,1 – 66). Pour revenir aux écarts entre les deux villes italiennes, la courbe pluviométrique de Venise ne dessine pas de cuvette comme celle de Rome ; à peine observe-t-on un affaissement entre novembre et décembre, le mois vénitien le moins arrosé. Les géographes parlent de continentalité pour qualifier la réduction des influences océaniques qui se renforce en pénétrant à l’intérieur de l’Europe ; phénomène dont témoigne Venise, avec ses hivers rigoureux, ses automnes pluvieux austro-hongrois et ses mois d’août orageux.
Plus globalement, que signifient ces moyennes, pour un climat (méditerranéen) qui ne se réduit à aucune d’entre elles ? En simplifiant à l’excès, l’anticyclone dit des Açores – qui est tout aussi bien celui du Sahara – bloque en été les masses nuageuses atlantiques à l’extérieur de la Méditerranée : mais qu’il se positionne plus au sud, ou qu’il perde en puissance, et les perturbations atteignent l’Italie ; d’où une irrégularité imprévisible. Au risque d’assommer mon lecteur, je le confronte une dernière fois à l’incertitude des statistiques météorologiques, en reportant ici les températures mensuelles minimales et maximales enregistrées cette fois à Naples: 4 – 12 / 5 – 13 / 6 – 15 / 9 – 18 / 12 – 22 / 16 – 26 / 18 – 29 / 18 – 29 / 17 – 26 / 12 – 22 / 9 – 17 / 6 – 16 [statistiques Quid]. En prenant un mois minimal au hasard, Naples a ainsi connu un mois de janvier digne de Deauville (4 °C) et le même mois d’août qu’à Metz (18°C). A l’inverse, lors de mois exceptionnellement chauds, Naples a bénéficié d’un mois de janvier aussi agréable qu’au Caire (12°C) et subi une canicule aoûtienne équivalente (30°C). Je compare ici, il est vrai, une moyenne exceptionnelle à une moyenne… moyenne !
Dans mes trois exemples, on l’aura noté, les trois villes qui représentent la botte italienne bordent la Méditerranée, mais aucune ne figure l’élévation des précipitations et la diminution des températures propres aux altitudes des Apennins (Gran Sasso de Italia – 2.912 mètres) [carte] et surtout des Alpes. Cette dernière chaîne de montagne constitue au nord de l’Italie un impluvium naturel, dont le Pô sert de fleuve collecteur, qui évacue vers l’Adriatique les eaux de pluies, et les eaux de fonte. L’article de Richard Heuzé commence par ce constat qu’en ce mois d’avril 2007, le niveau de Pô se situe nettement en dessous de la normale saisonnière. Il ne précise pas qu’au printemps, le grand fleuve italien gonfle traditionnellement à cause de la neige tombée pendant l’hiver dans les Alpes. Compte tenu du médiocre enneigement des stations alpines françaises, tout laisse à supposer que l’hiver dernier a été sec. Moins de neige, donne moins d’eau de fonte, et un étiage précoce pour le Pô : le normal dans l’exceptionnel. « Le débit du grand fleuve a fondu à 379 mètres cubes par seconde contre une moyenne annuelle de 953 m3/s durant les quatre-vingts dernières années. »
Mais au lieu d’accuser les cieux incléments, les Italiens interrogés par notre journaliste s’emportent contre l’Etat accusé de tergiverser devant une grave crise hydrique, d’ores et déjà décrite comme terrible. « Juin s'annonce torride. Selon le comité de surveillance du Pô, l'eau potable pourrait manquer dans certaines communes riveraines. L'Institut de recherche appliquée sur l'état de la mer (Icram) s'attend au retour massif des algues qui asphyxient la végétation marine en Adriatique. » Or si le niveau du Pô diminue, la salinité de l’Adriatique – nord augmente : il y a un hic, car la biodiversité régresse généralement avec l’élévation de la salinité marine, algues comprises. Si elles prolifèrent, c’est donc sous l’action d’autres mécanismes : probablement grâce à des éléments nutritifs en augmentation (?) déversés dans la mer : en Bretagne, les scientifiques relient le développement des algues avec les nitrates rejetés par les exploitations agricoles dans les nappes phréatiques puis dans les fleuves côtiers bretons. Ici, j’inclinerais plutôt pour une cause touristique : combien de communes italiennes du littoral de l’Adriatique retraitent-elles leurs eaux usées avant leur écoulement en mer ? Les volumes rejetés n’ont-ils pas grossi en conséquence de l’essor touristique, avec les dégâts que l’on sait ? Ironie d’une activité victime d’elle-même.
La réflexion prend même tous son sens si l’on élargit la question de l’eau à l’hydroélectricité. L’Italie a produit moitié moins d’électricité que la France : 293 milliards de kWh (2003) dont plus de la moitié (54 %, et non 18 % comme il est dit dans l’article) provenait de centrales hydro-électriques ; Richard Heuzé fait une confusion avec l’électricité achetée au français EdF, pour 20 milliards de kWh en moyenne chaque année. A Rome, les derniers gouvernements ont toutefois décidé que le pays allait sortir du nucléaire. L’hydroélectricité profite peut-être de son image d’énergie propre, les turbines cessent cependant de tourner si les barrages ne retiennent pas assez d’eau. Elle suffirait aux besoins dans une péninsule vivant au ralenti en été ; comme dans l’immédiat après-guerre, avec un secteur primaire employant la majorité des actifs. Mais le secteur tertiaire occupe bien au contraire la première place, et l’Italie a reçu 37 millions de touristes en 2004, qui préfèrent l'été aux autres saisons. Or le tourisme est une activité gourmande en électricité… Une fois encore les contradictions apparaissent, et les premiers à se plaindre usent avec aplomb de mauvaise foi.
« Le patron des patrons dénonce l'incurie de l'État : ‘Les dépenses publiques ont atteint un record de 50,5% du PIB, mais seulement 4% sont destinés à des investissements.’ Il parle d'une ‘incapacité pathologique des gouvernements à investir de manière structurelle dans les réseaux hydriques, à la différence de la France ou l'Allemagne’ ». Certes, l’obscurantisme règne encore, et le gouvernement Prodi menace de contraindre les communes à économiser l’eau en décrétant l’état de crise. En attendant, les Italiens paient cher à leurs voisins français et suisse les milliards de kWh manquants ; ils récusent en même temps les implications de l’économie touristique, c’est-à-dire des besoins en eau et en électricité en haute saison, en été. Si la tension sur l’offre déclenchait une flambée des prix, la demande se tasserait naturellement… Entraînant l’augmentation du tarifs pratiqués par les aéroports, les compagnies de transports, les hôtels, les restaurants ou encore les musées : mesure efficace, mais déclaration de guerre au secteur touristique !
Je reviens pour terminer aux actifs du secteur primaire déjà largement subventionnés, ils se montrent à la hauteur de cette vision très contemporaine de l’Etat : exigeant moins d’impôts et de taxes, mais plus d’aides publiques ! Cueillir des subventions fonctionne plus sûrement que d’organiser des danses de la pluie. Personne n’avancera je le crains l’argument de l’irrégularité des pluies inhérente au climat méditerranéen, à seule fin de relativiser les plaintes des agriculteurs à l’approche de la saison sèche. Anomalies normales en Italie.
PS. : Dernier papier sur les questions climatiques : El Nino, synecdoque ou métonymie ?. Sur l'Italie : La mafia napolitaine, frissons sans raisons ?
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