vendredi 25 juin 2010

California nightmare : Cauchemar dans l’Etat du rêve (Des liens entre incendies et politique de l’eau en Californie)

La Californie méridionale brûle [carte]. Un vent sec et chaud (Santa Ana) attise l'incendie. Ce vent de terre traverse les Rocheuses et se réchauffe à partir des sommets montagneux, au fur et à mesure qu'il suit les pentes tournées vers le Pacifique (effet de foehn), au rythme d'un degré °C tous les 170 mètres environ. Or la Californie a reçu peu de précipitations au cours des derniers mois : les 80 mm tombés représentent pour l'heure le cinquième d'une année moyenne (chiffres La Croix / 25.10.07). Les mécanismes géo – climatiques ne suffisent cependant pas pour comprendre l'événement. Tous les milieux sub-arides souffrent en effet de l'irrégularité pluviométrique et sont donc sous la menace de grands incendies.
Dans le cas de la Californie, près de 35 millions d'habitants vivent dans un Etat encore inhabité il y a deux siècles, dont plus de la moitié dans l'aire urbaine de Los Angeles – San Diego ; je ne ne tiens pas compte ici des Amérindiens traditionnellement nombreux dans cette partie des Etats-Unis. Les feux de pampa en Amérique du Sud ou de brousse dans la savane africaine ne provoquent pas d'émoi particulier. En Californie, les incendies menacent de vastes zones périurbaines. Ils ont obligé des milliers d'habitants à fuir leurs quartiers pour laisser les pompiers contenir le sinistre et ont d'ores et déjà détruit par dizaines des pavillons souvent construits en matériaux très inflammables. Car les constructions en dur sans doute plus résistantes au feu, se révèlent plus onéreuses, et paradoxalement moins solides en cas de tremblement de terre, un risque naturel au moins autant redouté. Les maisons en bois sont en outre adaptées à des hivers californiens généralement peu rigoureux.
Le feu constitue un fléau ancien en Californie : dans un passé proche – en 2003 par exemple – il a rasé des milliers d'hectares et menacé les périphéries de Los Angeles. Les facteurs physiques comptent toutefois moins que les facteurs humains. Non seulement l'étalement urbain favorise le progrès du feu – aux maisons s'ajoutent les arbres et buissons de chaque jardin privatif – mais il complique encore la tâche des pompiers. Il les force à lutter sur des kilomètres de front sans pouvoir privilégier tel ou tel secteur. La ville s'étend partout, y compris sur les pentes dominant plaines et vallées...
L'accroissement rapide de la population californienne tient historiquement à la politique de l'eau, celle-là même qui s'avère indirectement responsable du désastre actuel. Depuis plus d'un siècle, les Californiens utilisent l'eau sans compter, le niveau des nappes (40 % de l'eau consommée à L.A.) s'abaisse, et la végétation naturelle s'appauvrit par disparition de la ressource. Les intrusions salines combinées aux effluents industriels ont également conduit à une dégradation de la qualité des eaux. Une famille californienne utilise en moyenne 617 mètres – cubes par an (163.000 gallons). [Chiffres Elissa Cohen / Los Angeles Department of Water and Power]. Toute l'histoire récente de la Californie découle des grands travaux d'adduction et de la généreuse distribution d'une eau rare et de plus en plus lointaine : total use for greater wealth, annonçait le slogan. Au début du XXème siècle, William Mulholland dirige en tant qu'ingénieur en chef et directeur de l'agence municipale de l'eau, la construction du premier aqueduc de L.A. Celui-ci alimente l'agglomération à partir d'un pompage situé à 375 kilomètres, sur la rivière Owens. Une décennie plus tard, le lac déversoir du même nom ne recevant plus d'eau a disparu de la carte, et la région se transforme en désert. Dès 1914, Los Angeles compte plus de 500.000 habitants (700.000 habitants dans les années 1920) et l'afflux de nouveaux résidents provoque une tension sur les prix du foncier favorable aux propriétaires. Mulholland préconise d'autres captages plus ambitieux encore.
L'ingénieur convainc la municipalité de détourner les eaux du Colorado, et les travaux du barrage de Boulder (Boulder Dam) et du Colorado Aqueduct River commencent rapidement. Mulholland meurt six ans avant leur achèvement, en 1941. Ce deuxième aqueduc parcourt le sud de la Californie intérieure sur 389 kilomètres. La régie métropolitaine de l'eau (Metropolitan Water District) obtient ses financements en jouant sur la peur d'une pénurie pour les habitants. Par la suite, les aménagements hydrauliques souvent combinés à la production d'hydroélectricité [voir également le rôle d'Ezra Scattergood] ont constamment pesé sur l'offre, la demande s'adaptant par contre-coup. Les opposants à cette politique de stimulation de la consommation d'eau n'y ont rien changé : dans le cas du premier barrage, les riverains du lac Owens dynamitent l'aqueduc en 1924. En mars 1928, la rupture du barrage Saint-Francis entraîne bien la disgrâce de William Mulholland, mais ne perturbe aucunement le plan général d'équipement.
Fionn Mackillop [la fragmentation urbaine et modalités de diffusion et de gestion des réseaux d'eaux : le cas du Grand Los Angeles – Etats-Unis, 1928-2003] démontre les liens entre l'étalement urbain et la gestion des eaux par le Metropolitan Water Department (MWD créé en 1928). Cet organisme chapeaute une centaine de structures privées ou publiques chargées de la distribution de l'eau. Tailles, financements, et objectifs varient, mais le MWD porte globalement la responsabilité de la politique de l'eau dans le Grand Los Angeles. Les habitants ignorent toujours le coût exact de l'adduction puisque celui-ci est mutualisé. Partisans du retour au marché et écologistes demandent aujourd'hui la suppression de l'organisme. En attendant, le MWD a contribué à « dessiner une aire métropolitaine fragmentée, notamment par le mode de financement initial (jusqu’aux années 1970) de la structure fondé sur la valeur foncière (assessed valuation) de chaque membre. De ce fait, Los Angeles, et de façon générale les villes centre de la zone métropolitaine, ont massivement financé la consommation d’eau des périphéries peu denses et suburbaines, d’abord San Diego, puis aujourd’hui le comté de Riverside par exemple. » [Mackillop]
A-t-on atteint les limites de l'expansion et d'une utilisation effrénée de la ressource en eau ? Du point de vue du fleuve Colorado, l'Etat de Californie doit désormais partager les quinze milliards de mètres – cubes annuels avec ses Etats voisins (l'Arizona ou le Nevada) devenus très gourmands en eau. Lors d'épisodes secs s'étendant sur plusieurs années (décennie 2000), on s'interroge bien sûr sur l'impact des ponctions... « Sur la période 2001-2003, le débit du Colorado est tombé à moins de 7 milliards de mètres cubes, la moitié de ce qu’il était pendant la grande sécheresse des années 1930. Pour compenser, il a fallu puiser dans les deux grands lacs réservoirs, avec des résultats catastrophiques: le niveau du lac Powell a baissé de plus de moitié, la rive du lac Mead est à 30 mètres au-dessous de la normale. »
Les mesures tardivement annoncées par les autorités laissent rêveur : Las Vegas promet une prime d'arrachage de gazon (11 $ par m²) [Nouvel-Obs]. A Sacramento, le gouverneur réglemente sur les moteurs de tondeuses [source]. Pendant ce temps la Californie s'assèche et s'enflamme. Les prochains épisodes pluvieux risquent en outre de provoquer des glissements de terrain et des coulées de boues. Cauchemar dans l'Etat du rêve.

PS./ Dernier papier sur la Californie : Schwarzenegger et le 'Beau Danuble bleu'.

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