« La malbouffe, les méfaits du marketing et de la publicité, qui vantent produits gras et sucrés au détriment des fruits et légumes, sont à l'origine de l'épidémie. » Catherine Petitnicolas ne perd pas de temps dans des analyses alambiquées. Elle sermonne les coupables d’un crime contre la société, l’obésité juvénile (« Cinq millions d’enfants trop gros en Europe »). Il y a cinq mois, à la mi – novembre, le Figaro répercutait déjà les conclusions d'une grande campagne de l’OMS sur ce thème, marquée par la charte contre l’obésité signée par quarante – huit pays. Si l’on en juge par la tonalité de l’article de Catherine Petitnicolas, rien n’a changé, sauf peut-être dans le sens d’une aggravation : « débauche d'alimentation trop grasse et sucrée […], augmentation préoccupante de la sédentarité ». « Si l'on n'adopte pas des mesures radicales pour lutter contre l'obésité et le surpoids qui menacent plus d'un milliard de personnes sur la planète, en particulier les plus défavorisées. » L’extrapolation de l’Europe à l’ensemble du monde déclenche le sourire, de nombreux pays en voie de développement redoutant surtout les famines. La journaliste signale en tout cas la tenue d’un congrès international… sur la place insuffisante laissée aux fruits et légumes. D’après l’Aprifel, plus on en mange, mieux on se porte ; impossible de ne pas souscrire à cet engagement…
L’obésité entraîne en cascade l’apparition de pathologies indirectes, mortelles (infarctus, attaques cérébrales, diabète de type 2, cancers) ou handicapantes (problèmes articulaires ou respiratoires). Celles-ci ou celles-là pèsent financièrement sur les dépenses générales de santé. Les mauvaises habitudes se prennent tôt. « Il y a aujourd'hui 5 millions d'enfants concernés dans l'Union européenne et 330 000 nouveaux cas apparaissent chaque année » Mais le médecin interrogé par Catherine Petitjean sort bien maladroitement de son champ de compétence pour se livrer à une analyse panoramique en forme d’enfilage de perles. Parlant du désastreux modèle américain, il dénonce la junk food, et dresse une liste de produits (dangereux ?) : « sodas, hamburgers, pizzas, chips, crèmes glacées. » Or junky signifie drogué. Par extrapolation, l’expression junk food ne décrit pas un type précis d’aliments, mais quelque chose qui se mange sans assiette ni couverts, à la va-vite ou enfoncé dans un fauteuil moelleux, à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit. Cette coutume caractérise celui qui souhaite ne pas perdre du temps à préparer un plat, à mettre le couvert puis à desservir la table, celui qui ne supporte pas l’idée d’avoir faim ou d’attendre – s’il y en a – les autres membres du foyer. Du saucisson, des biscuits d’apéritif, des olives vertes ou encore des confiseries satisferont tout aussi bien l’appétit du junky. Au plan médical, la prise de poids intervient par le dérèglement du cycle repas – digestion, et non par la faute de tel ou tel produit. Et si les sodas contiennent des forts taux de sucre, nul ne souhaitera - je suppose - promouvoir la consommation de bière ou de vin en contrepartie ; va-t-on pour finir fixer des quotas de litres d’eau à boire obligatoirement ? La junk food renvoie à l’idée que le temps manque, et pas seulement aux mères de famille souvent en première ligne pour les courses et la préparation des repas… Parce que les temps de trajet s’allongent [voir Si t'es pauvre, fais du sport !].
Concernant le prix des fruits et légumes, le médecin interrogé par la journaliste croit brandir un argument – massue, en avançant comme preuve irréfutable leur renchérissement de 40 % en vingt ans ; 2 % par an, c’est l’inflation normale ! Et si les prix de l’industrie agroalimentaire ont progressé plus lentement (de là à parler de baisse…), c’est en lien avec l’activité elle-même, l’amélioration de sa productivité. Et quand bien même, il est impossible d'établir une causalité entre la baisse des prix et l'augmentation de la consommation alimentaire (y compris dans les familles modestes). Lorsqu’aux lendemains des fêtes de fin d’année, les grands magasins bradent foies gras et surplus éventuels de champagne, personne ne note de ruée sur les gondoles ! Bien au contraire, les prix flambent à la fin décembre, parce qu’une masse de clients se disputent des biens en quantités limitées. En bref, les prix sont bas donc les pauvres se gavent constitue l’exemple du sophisme.
Notre médecin – économiste amateur persiste néanmoins, attaque les fast-foods sans prononcer de peine (si le mal est dans le fruit – et légume – ne convient-il pas d’interdire les enseignes criminelles ?) ni instruire le commencement d’un procès. Les amateurs de cuisine du terroir tremblent pour leurs produits caloriques : cacheront-ils comme la femme de Louis de Funès dans la cuisine de l’auberge de la Grande Vadrouille, les rillettes, les confits, les cassoulets, ou les choux à la crème ; de peur qu’on les réquisitionne ?
Au sommet du vice trône la télévision, qui porterait tout le poids de l’opprobre. La publicité fait acheter – étonnant ! – de mauvais produits : « à raison d'une pub alimentaire toutes les trente minutes, un petit Britannique aura absorbé 77 000 messages de ce type avant l'âge de 18 ans. » Regarder, c’est donc déjà grossir… On finit dans les slogans dignes des ligues de vertus héritées des Puritains anglo-saxons ; culpabilisation et inefficacité. Tous les médecins évaluent positivement l’allaitement maternel du nouveau-né. Mais l’ostracisme vis-à-vis des mères n’allaitant pas témoigne d’un contresens complet. S’il existe des formules adaptées pour une minorité de jeunes mères (cadres de grandes entreprises, ou enseignantes), il n’en existe pas pour la majorité : infirmières, caissières de supermarché, vendeuses, ouvrières à la chaîne, etc. Et la vieille rengaine sur la nécessaire diversification de la nourriture dans les cantines scolaires – « proposer aux bambins dès la crèche une nourriture très variée, riche en légumes, afin de les habituer à des goûts et des textures différents » – fait peu de cas des milliers d’assiettes pleines vidées chaque jour dans les poubelles de la restauration collective… Scène de vie quotidienne en Europe.
Les cinq millions d’enfants obèses mangent sans doute n’importe comment, ils mangent peut-être trop. Les psychologues diront qu’ils compensent (leurs angoisses), les médecins qu’ils s’adaptent (aux troubles du sommeil, à l’absence de petit-déjeuner, etc.), et les sociologues qu’ils trahissent la Catégorie Socio – Professionnelle de leurs parents ; une chose est sûre : ces millions d’enfants ne brûlent pas les calories qu’ils absorbent en contrepartie. Pas assez de marche à pied (on a vu l’effet du recours à la voiture), et pas assez d’activités à l’extérieur, dans des quartiers pourtant le plus souvent homogènes socialement. Il est moins inconfortable intellectuellement de dénoncer la malbouffe, la télévision ou les jeux électroniques que d'avouer la responsabilité des parents cloîtrant leurs enfants à la maison dès la sortie de la crèche ou de l'école : cocooning et engraissement !
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