Le « second empire colonial » – on l’appelé ainsi par opposition au premier, en partie démembré lors de la signature du traité de Paris en 1763 – se construit à peine qu’apparaissent les premières difficultés… Les corps expéditionnaires subissent de lourdes pertes, non pas à cause de la résistance des indigènes, mais à cause des fièvres, des plaies non cicatrisées et autres maladies intestinales : l’armée française conquiert de nouveaux territoires, mais se trouve en terra incognita du point de vue de l’hygiène, de la protection de l’eau potable, de l’attention à donner à l’alimentation, des soins destinés aux blessés ou aux malades.
Dès le Second Empire, l’ampleur de l’ignorance et des besoins impose la création d’écoles destinées à former un nouveau corps d’officiers ; dans l’urgence, et sans effets immédiats. A plus long terme, la médecine générale profite incontestablement des trouvailles de Pasteur (1828-1895) ou de Koch (1848-1910) dans les domaines des maladies infectieuses et tropicales. L’observation des parasites conduit aux insectes responsables de la transmission des maladies (les vecteurs), ou aux microbes (les agents).
L’Ecole de Pondichéry est ouverte en 1863 dans le chef-lieu des établissements français de l’Inde et compte 120 000 habitants à l’époque. Elle est placée sous l’autorité « du docteur Beaujean, médecin de la Marine. Beaujean enseigne la clinique médicale et chirurgicale. A ses côtés, le Docteur Huillet, médecin de la Marine, a en charge les cours d’anatomie et de petite chirurgie. » (AUBRY) Les cadres de l’Ecole – « des médecins indigènes ou officiers de santé, des sages-femmes et des vaccinateurs » – remplacent progressivement les médecins traditionnels. Jusqu’à 50 par an, ils suivent une formation de cinq ans, sur le modèle prescrit par la loi de 1802 (qui distingue les corps d’officiers de santé – supprimé en 1892 – et de docteurs en médecine).
L’Ecole de Tananarive résulte d’une décision du général Gallieni (déc. 1896) alors Résident Général à Madagascar. A la grande différence de l’école de Pondichéry, il existait auparavant une structure imaginée par des missionnaires protestants anglais dix ans plus tôt : la Medical Missionnnary Academy. « D’ailleurs, lorsque l’Ecole de Médecine française ouvre en 1896, cinquante-huit étudiants sont d’emblée admis de la 5 e à la 1ère année, compte tenu qu’il s’agit pour beaucoup d’anciens élèves de la Medical Missionnary Academy, L’Hôpital d’Etat devient la Clinique de la nouvelle Ecole de Médecine. […] Le premier directeur de l’Ecole est le docteur Mestayer, Médecin des Colonies. Deux Médecins des Colonies assurent l’enseignement, Jourdran et Rencurel, ainsi qu’un médecin malgache, le docteur Joseph Ratsimimanana, ancien élève de l’Ecole de santé militaire de Lyon et ancien Chef du Service de santé de l’armée malgache durant la campagne de 1895. […] Un des professeurs, Antoine Lasnet, médecin des Colonies, met sur pied en 1899 le premier service d’Assistance Médicale Indigène (AMI) dont se sont ensuite inspirés les responsables des services de santé d’Afrique et d’Asie. » L’année suivante apparaît le Corps des Médecins Indigènes de Colonisation, eux aussi promus au bout de cinq ans de scolarité et destinés aux « postes médicaux, hôpitaux, léproseries, chantiers du chemin de fer. »
L’Ecole de Médecine d’Hanoi est créée en janvier 1902 par le Gouverneur général de l’Indochine, Paul Doumer. Son objectif est de « de former des médecins asiatiques capables d’assurer avec les médecins français et sous leur direction le service de santé en Indochine et dans les postes de l’extérieur, de contribuer aux recherches scientifiques intéressant l’étiologie et le traitement des maladies qui affectent en Extrême-Orient les européens et les indigènes. » La plus grande proximité de la Chine expliquerait le choix d’Hanoi par rapport à Saigon. Le premier directeur – Alexandre Yersin – découvre le bacille pesteux en 1894 et avec Albert Calmette participe à la fondation des premiers instituts Pasteur hors de métropole (Saigon 1891 et Nha Trang 1895). Recrutés par concours, 29 élèves boursiers constituent la première promotion. On note une tendance à privilégier la recherche (cursus de trois ans). « L’Ecole formait des Officiers de santé pour le Viêt Nam, le Cambodge et le Laos. Mais, les médecins nouvellement diplômés pourront ensuite concourir pour être placés pendant 2 ans comme internes à l’Hôpital indigène ou comme répétiteurs de cours à l’Ecole de Médecine. » (id.)
En somme, les écoles de médecine tropicale voient le jour une fois que leur utilité diminue. Les colonies pacifiées donnant une fausse impression de pérennité de la présence française, Paris restreint au minimum la présence militaire sur place, du point de vue des armes (troupes coloniales et régiments indigènes) comme du point de vue des effectifs. Il reste qu’au-delà des questions militaires, les écoles de médecine coloniale ont promu l’avancement des connaissances générales sur les maladies et sur leurs traitements ; celles-là même qui ont fauché par centaines les soldats français engagés dans des corps expéditionnaires.
Plutôt que la variole ou le choléra (à l’origine de six pandémies au 19ème siècle, et lui aussi originaire de l’Inde, et très actif au cours de la mousson d’été sur les axes fluviaux comme le Mékong), il convient d’insister au plan des opérations militaires sur le paludisme. A Madagascar, il est identifié dès la fin des années 1870, mais ne rentre pas dans les plans de conquête des Français. La diffusion de la riziculture et les brassages de main d’œuvre (avec le continent africain) en a accéléré la diffusion. Pour le corps expéditionnaire de Gallieni, on déplore 5.731 morts (contre 25 au combat…) pour 21 600 hommes embarqués.
« La mortalité sera importante dès le début de l’expédition prés de Majunga, port du débarquement, dans les marais du delta de la Betsiboka. L’explication est simple : alors qu’il y avait un accord des médecins français sur l’efficacité de la quinine dans le traitement du paludisme, certains refusaient encore à la quinine toute efficacité dans la prophylaxie du paludisme. Pourtant, la démonstration de l’efficacité de la quinine prophylactique avait été faite sur le terrain au Tonkin quelques années auparavant. Une deuxième épidémie surviendra sur les Hautes Terres lors de la construction de la ligne ferroviaire entre Tananarive et Tamatave en 1896. »
Un père Spiritain témoigne des ravages du paludisme. « Lors de la guerre de Madagascar, il [le révèrent – père Préfet ] dut se rendre à Nossi - Comba, où le gouvernement avait fait installer un sanatorium. Il aida d'abord, puis remplaça tout à fait l'aumônier militaire. Il avait à desservir 28 baraques échelonnées sur le versant de la colline, le long d'un chemin de 1.500 mètres, et abritant près de 600 malades. Les enterrements étaient en moyenne trois ou quatre par jour. Vers la Toussaint, une amélioration générale de l'état sanitaire permit d'organiser une petite fête religieuse. Il y eut un certain nombre de communions. Le lendemain, jour des morts, grande procession à laquelle assistent le médecin en chef et ses aides, les Sœurs, les infirmiers et près de 400 convalescents. »
Pour l’armée française, les maladies tropicales constituent le lourd tribut payé en contrepartie d’une l’impréparation prévalant à chaque nouvelle étape de cette aventure coloniale souvent irréfléchie et lancée presque à la légère. Pour des générations d’officiers supérieurs bientôt placés aux plus hauts postes de responsabilité pendant la Première Guerre mondiale, leurs passages dans les corps expéditionnaires puis à des postes commandements dans les colonies les préparent mal aux défis de 1914. Pour beaucoup bons gestionnaires et bons administrateurs plutôt que chefs de troupe, ils ignorent tout de la guerre : un ennemi qui ne se débande pas au premier assaut, le feu de l’artillerie qui fait pleuvoir le fer. Contre l’Allemagne de Guillaume II, la chaleur tropicale cède vite la place au froid de l’hiver de l’est de la France. Mais dès le mois d’août 1914, les médecins militaires improvisent de nouveau : flot de blessés à transporter puis à prendre en charge en même temps, chirurgie d’urgence, soins infirmiers, etc. Il reste alors peu de choses utiles parmi les savoirs acquis dans les colonies tandis qu’une remise à niveau (des connaissances et des actes) coûte quelques milliers de vies supplémentaires…
Compléments bibliographiques : AUBRY (Pierre) : Les principales maladies ‘exotiques’ au 19ème siècle alors qu’étaient créées les trois premières Ecoles de Médecine française outre-mer. Texte rédigé le 28/01/2006.
PS./ Dernier papier : La négligence du facteur 'terrain'
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