jeudi 24 juin 2010

Ne pas confondre ‘vieille ville nouvelle’ et ‘ville nouvelle d’art et d’histoire’ (Saint-Quentin-en-Yvelines, à l’épreuve de la banalité)

A l’origine, les villes nouvelles ont surgi en Ile de France parce que des aménageurs, des urbanistes, ou encore des démographes prédisaient dans les années 1960 une croissance excessive (insupportable ?) pour l’agglomération parisienne à l'horizon de l'an 2000. Face à une menace – trop d’habitants, et pas assez de logements, au centre d’une aire urbaine en développement rapide – Melun, Evry, Marne-la-Vallée, Cergy-Pontoise et Saint-Quentin-en-Yvelines, répondaient à l’urgence du moment. Le mot Villes s’accompagne alors d’un adjectif (nouvelles) signifiant l’adjonction d’une pincée d’utopie, la réconciliation de l’ancien et du moderne, de la ville et de la campagne, de l'ouvrier et du salarié ; vaste programme.

Les villes nouvelles rompent avec l’urbanisme du passé : rejet des attributs urbains habituels (centralité, organisation en rues et en places), choix d’une spécialisation zonale (quartiers d’habitation d’un côté, espaces commerciaux), de l’horizontalité avec un bâti étalé sur une dizaine de kilomètres en moyenne, … Les densités obtenues – 2.165 habitants au km² à Saint-Quentin – n’arrivent qu’à hauteur du dixième de celles rencontrées dans Paris [ici plan détaillé de Saint-Quentin-en-Yvelines]. Elles forcent à prendre un véhicule pour se déplacer, faire ses courses. Sur l’innovation architecturale si souvent critiquée, une nuance s'impose. Reconnaissons par exemple que l’on ne pouvait pas deviner à l’avance l’échec des dalles, c’est-à-dire la séparation des espaces par niveaux indépendants et superposés (voitures, piétons, logements). Les immeubles aux formes, aux couleurs et aux aménagements intérieurs les plus divers avaient-ils forcément vocation à se dégrader ?

La ville nouvelle francilienne pêche toutefois dès le départ par son ambiguïté géographique. Ville collée à la capitale et non dissociée, comme aurait pu le laisser entendre (espérer ?) l’adjectif nouvelle : à vingt-cinq (Melun) ou à quinze kilomètres (Marne) de Paris, la distance ne sépare pas. C’est d’autant plus vrai que les autorités décident, une fois créées les villes nouvelles, de financer leur liaison avec Paris grâce aux RER et aux trains de banlieues. On vante les mérites des unes pour au bout du compte renforcer le poids – sauf en nombre d’habitants – de l’agglomération centrale. Car les villes nouvelles attirent au départ les emplois publics (universités, préfecture, etc.). Entre 1961 et 1969, Paul Delouvrier élabore un Schéma Directeur d’Aménagement et d’Urbanisme. Dans la décennie suivante interviennent le choix des emplacements, la délimitation des villes nouvelles, et la création des syndicats communautaires d’aménagement.

A peine vingt ans après, les villes sorties de terre révèlent leurs principaux défauts. Mais il faut d’abord comprendre que leur environnement ne correspond pas à la planification prévue dans les années 1960. L’explosion démographique pronostiquée (redoutée ?) de l’agglomération parisienne ne s’est pas produite. Nul n’attendait en revanche son étalement périphérique. L’urbanisme pavillonnaire non jugulé ébranle la planification à la française. On projetait plus d'habitants dans les villes nouvelles, et une part bien plus importante de la population banlieusarde (actuellement, un sur dix, environ) ; des villes - satellites, mais non des villes noyées dans la masse.

L’Etat se dessert lui-même – avant 1982, les maires doivent consulter le préfet avant de permettre toute nouvelle construction – en fermant les yeux sur la périurbanisation francilienne. Chaque commune de la première, ou de la seconde couronne concurrence plus ou moins directement les villes nouvelles. L’espace libre semble infini, et le problème de l’étirement de la ville résolu : démocratisation de la voiture, et gigantesque programme de travaux publics (tunnels, ponts, autoroutes, etc.) pour doubler, tripler, contourner, rendre plus fluide une circulation pourtant toujours plus encombrée ! A ce titre, les autorités municipales se félicitent d’avoir régulé la circulation… A l’intérieur de Saint-Quentin-en-Yvelines. A l'extérieur [voir ce sujet prévisible dans Le Petit Quentin Web TV] des bouchons se forment chaque jour sur les autoroutes adjacentes ou sur la N10 qui coupe la ville nouvelle dans le sens sud-ouest – nord-est ; comme ailleurs en banlieue parisienne.

Les habitants des villes nouvelles ne sont-ils pas des banlieusards comme les autres ? La ville conçue comme unique s’est banalisée. Et si le sel s’affadit, à quoi sert-il ? A Saint-Quentin-en-Yvelines, l'appellation ville a cédé la place à celle de communauté d’agglomération (voir ici), tandis que la toponymie apparaît bien fluctuante. Trappes, la partie centrale la plus ancienne, à l’origine ouvrière, au nord de la gare (ligne Paris – Rambouillet) n’a pas capté la fonction de centre-ville (située au cœur de Montigny – les – Brettoneaux] ; en cas de tensions dans ce quartier de grands ensembles, son nom Trappes arrive seul en tête de colonne, effaçant celui de Saint-Quentin. En 1983, le gouvernement autorise quatre communes (Bois-d’Arcy, Plaisir, Coignières et Maurepas) à sortir de l’indivis, comme pour solder l’héritage d’un défunt. Les autorités locales tentent au même moment de créer une centralité refusée au départ. Le décret d’achèvement de la ville nouvelle intervient beaucoup plus tard, en 2003. L’agglomération compte 146.000 habitants au dernier recensement.

C’est un article de Grégoire Allix dans le Monde qui m’a amené à Saint-Quentin, proclamée il y a peu ville d’art et d’histoire. Inattendu, nous dit le journaliste, vaguement convaincu. Le site consacré au patrimoine de la communauté d’agglomération livre quelques renseignements sur les atouts de Saint-Quentin. Les 147 sites classés ou simplement retenus ne se raccordent ni dans l’espace – dispersés au hasard du territoire des communes visées – ni dans le temps. L’impression de bric et de broc provient du rapprochement inattendu entre l’histoire lointaine des Templiers, l’histoire moderne avec le site de l’abbaye de Port-Royal, et l’histoire contemporaine. La disparité règne : un fort militaire de la ligne Séré de Rivière, un château pour enseignants dépressifs (La Verrière), une cité ouvrière (les Dents de Scie), un vieux wagon, des dalles funéraires, une porte à la Mansart perdue au milieu d’un golf, une cloche, ou encore une statue en pierre.

Ainsi s’est évanouie par pans successifs l’utopie des villes nouvelles – quid de l’effort financier de l’Etat ? Le classement en ville d’art et d’histoire donne artificiellement un ancrage dans un passé révolu. Parmi tous ces sites, lequel servira-t-il de moteur touristique pour Saint-Quentin, à une vingtaine de kilomètres de la capitale, et plus encore à quelques centaines de mètres de Versailles, l’ancienne ville nouvelle ? Saint-Quentin-en-Yvelines, à l’épreuve de la banalité.

PS. : Derniers papiers sur la région parisienne, son extension en Picardie : La Picardie refroidit-elle ?

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