vendredi 25 juin 2010

Dans l’Aïr, ne pas manquer d’air. (de la rébellion touarègue dans le nord du Niger)

Jean-Pierre Tuquoi n’écrit pas seulement un article, il clame l’insatisfaction des Touaregs entrés en rébellion contre le pouvoir central de Niamey et l’exploitation de l’uranium nigérien. Il se plie à l’exercice du porte-parole sans chercher de contradiction. « ‘Nous contrôlons militairement tout le nord du Niger, la partie utile du pays. L'armée ne peut pas nous déloger’ », annonce Mohamed Acharif, ancien capitaine de son état, qui se présente comme le numéro deux du Mouvement des Nigériens pour la justice (MNJ) créé en début d’année. La vision géographique du chef de guerre a de quoi surprendre. Car dans le nord du Niger – le pays – s’étend le désert, au contraire de la région sud-ouest traversée par le fleuve Niger [voir carte]
Si l’on suit au pied de la lettre le reître saharien, le désert aride serait plus utile qu’une région sahélienne ouverte aux activités d’élevage, aux cultures pluviales et / ou irriguées ? D’un côté les cailloux, de l’autre la végétation : le choix semble évident, dans le sens inverse de celui proposé. Alors s’agit-il d’un lapsus ? Imaginons que non, et que l’interlocuteur du journaliste ne divague pas. Même s’il ne livre aucun chiffre précis, Mohamed Acharif sous-entend que l’on peut bien gagner sa vie dans le Sahara, grâce aux voies caravanières, aux trafics plus ou moins tolérés. Comme je me penchai au début du mois d’avril sur le devenir de l’ex – Groupement Salafiste pour la Prédication et le Combat, je constatai à l’époque l’importance des trafics de cigarettes, le transit des voyageurs clandestins, ou encore les bénéfices réalisés par la revente au marché noir du pétrole algérien bon marché revendu en dessous des cours officiels dans les pays voisins situés plus au sud [ voir ici ]
Les Touaregs du Niger, si j’en juge par ce qu’écrit JP Tuquoi, s’adaptent eux – aussi parfaitement au contexte géopolitique, en se jouant des frontières arbitraires : sortant de nulle part (ou d’Algérie), dénichant là (en Côte d’Ivoire) des armes présentées comme bon marché, sabotant ailleurs les installations minières de l’industriel français Areva spécialisé dans l’uranium, faisant plus loin prospérer leurs affaires. « Les dirigeants du mouvement assurent être financés par les commerçants touaregs installés dans les pays limitrophes. ‘Nous ne recevons pas d'aide financière extérieure d'un Etat. On ne veut compter que sur nos propres forces’, affirme l'adjoint du chef du MNJ, Abubacar Alambo. »
Comble de tout, les rebelles touaregs s’évaporent mystérieusement dans le décor, rendant vaines les opérations diligentées contre eux depuis Niamey : « ‘Nous sommes disséminés dans les montagnes du massif de l'Aïr (certaines culminent à 2 000 mètres)’ » explique la même source. Personne ne peut donc les atteindre. Mais plus que l’altitude de l’Aïr, rempart bien dérisoire contre d’éventuelles attaques aériennes gouvernementales, les membres du MNJ ne doivent-ils pas leur impunité et leur assurance à un autre facteur plus imparable ? Ne peuvent-ils compter sur la frontière nord-ouest du Niger, au-delà de laquelle l’armée régulière nigérienne cesse les poursuites, sous peine de provoquer un incident diplomatique ? Or cent cinquante kilomètres suffisent pour rallier la mine d’uranium d’Arlit à partir de l’Algérie (à comparer avec les sept cents kilomètres séparant Arlit de la capitale Niamey) ; il faut compter le double de distance entre les sommets de l’Aïr et la même frontière…
Le fléau de la corruption tant de fois dénoncé dans les pays en voie de développement apparaît clairement ici. En rapportant les exigences du MNJ, JP Tuquoi lève un pan du voile sur le fonctionnement des affaires au Niger. Que verse Areva au régime de Niamey pour qu’on lise ensuite « ‘Nous exigeons seulement un meilleur partage des richesses de l'uranium. Les Touaregs n'en profitent pas’ » ? A chacun sa part de gâteau croit-on entendre ; il n’y a pas de raisons que nous aussi Touaregs, nous ne recevions pas autant que les autres… Simple supposition de ma part, bien entendu. Le gâchis tant de fois dénoncé dans le Tiers monde semble à nouveau se jouer ; le journaliste compare lui-même Areva aux groupes pétroliers du golfe de Guinée rackettés par des groupes terroristes aux obscurs objectifs politiques.
Au-delà des soupçons de corruption, on peut simplement craindre que l’argent gagné illégalement (ou non) ne procure un sentiment de puissance au MNJ, l’impression qu’il peut pousser plus loin ses avantages, et développer ses activités au détriment d’un groupe exploitant un uranium dont les prix internationaux augmentent régulièrement ; quitte à recourir à l’intimidation parée d’altruisme. Rien ne garantit en effet que l’obole éventuellement versée par Areva profitera réellement aux populations touarègues, et non aux chefs du MNJ. La tranquille assurance du leader touareg au sujet de leurs approvisionnements en armes – « ‘Avec 6 000 euros, on peut se procurer une mitrailleuse lourde et avec 100 000 euros, on a de quoi équiper des troupes pour faire du mal aux forces régulières’ » – devrait heurter le lecteur attentif au niveau de vie des populations sahéliennes. Les sommes évoquées représentent plusieurs vies de travail [ici ] ; elles disent à elles seules les bénéfices réalisés au cœur du Sahara, pourtant si loin de l’Europe. Il faut en outre réfléchir à la pauvreté de l’équipement moyen dans les armées régulières des pays considérés. Iil est vrai que ce fossé entre riches truands surarmés et forces de l’ordre mal dotées caractérise souvent les pays en voie de développement.
Interrogé par JP Tuquoi sur ses visées politiques, Mohamed Acharif ne s’étouffe manifestement pas d’une contradiction. Le combat du MNJ ne relèverait pas de l’islamisme, comme les Touaregs maliens : « La question le surprend, tant leur mode de vie et leurs pratiques religieuses diffèrent, explique-t-il ». Un peu après, l’ancien capitaine déclare toutefois mener un combat non contre Areva, mais contre l’Etat nigérien. A l’écouter, le gouvernement français devrait naturellement se mêler de cette affaire car « ‘c'est la France coloniale qui a confié notre sort à un pouvoir distant de nous de plus de 1 000 kilomètres’ ». Visiblement, les frontières n’existent que quand cela arrange le chef rebelle ! Un coup, les nomades du Niger vivent sur une autre planète que celles des nomades maliens, et un coup le Niger n’est qu’un pays artificiel créé de toutes pièces lors de la décolonisation. Dans l’Aïr, on ne manque pas d’air.

PS./ Derniers papiers sur le thème des réseaux illégaux dans le Sahara : Désert connu et mélodie terroriste.

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